Logo

GIRLS : 10 ans plus tard, la série est-elle encore la voix d’une génération?

Les journalistes Laïma et Malia se sont penchées sur l'œuvre culte de Lena Dunham.

Par
Laïma A. Gérald
Publicité

Pour écouter ce contenu :

Lancée en avril 2012 sur HBO, la série Girls est aujourd’hui considérée comme l’une des œuvres télévisuelles phares des années 2010.

Scénarisées par Lena Dunham, les six saisons suivent la vie de quatre jeunes femmes à Brooklyn, désormais perçues comme des icônes de la génération millénariale.

Mais pourquoi la série Girls connaît-elle un tel regain de popularité 10 ans plus tard?

C’est la question que se sont posées nos journalistes Malia Kounkou et Laïma A. Gérald, adeptes de la série à l’époque. En effet, on leur a donné la mission de revisionner la première saison avec une lunette contemporaine, suite à quoi elles ont réfléchi aux représentations des corps, de la sexualité, de l’amitié et de l’amour véhiculées dans la série.

Publicité

Et au cœur de ces réflexions, une question centrale : la série est-elle encore pertinente en 2023?

Ta vie ressemblait à quoi en 2012, au moment de la sortie originale de la série?

Malia : J’avais seize ans et j’étais en France, au lycée [l’équivalent du cégep québécois]. J’étais encore assez jeune. Je reconnaissais que c’était une très bonne série, que c’était super bien écrit, que c’était très bien joué. Mais je n’avais pas encore eu ce petit déclic qui me faisait m’identifier aux personnages. Je dirais que je reconnaissais la valeur de la série sans vraiment comprendre son essence.

« En 2012, j’avais précisément l’âge des personnages […] La série me montrait ma vie. »

Publicité

Laïma : Moi, en 2012, j’avais précisément l’âge des personnages. Quand la série est sortie, je terminais l’université, je commençais à me lancer sur le marché du travail. La série parlait précisément des enjeux que je vivais : galérer avec l’argent, questionner ses passions, son avenir. On y parlait d’amitié, d’amour, de relations complexes. La série me montrait ma vie.

En quoi Girls est-elle une série culte?

Laïma : Je ne suis pas la seule à faire le parallèle, mais la série a beaucoup été comparée à Sex and the city dont j’étais déjà une grande fan à l’époque. Mais tout d’un coup, Girls nous montrait un New York plus réaliste. Les gens avaient des vrais struggles avec leur loyer, par exemple. Dans Sex and the City, les femmes ont beaucoup plus d’argent et de privilèges.

Publicité

Malia : Il y avait quelque chose d’un peu plus lisse, dans Sex and the City. Pas par rapport aux sujets, mais peut-être par rapport à l’esthétique. Je sais que moi, sur le coup, c’est quelque chose qui m’avait vraiment bouleversée avec Girls. J’avais eu un petit choc, je pense bien. Pour moi, la série était en ovni à sa sortie.

Malgré tout, je considère que Girls est dans la continuité, et non dans une rupture, de Sex and the city. Comme si Girls était devenu le Sex and the city des séries de maintenant. L’exemple le plus contemporain qui me vient en tête, c’est Fleabag. Sans Sex and the city en 1998, il n’y aurait pas de Girls en 2012. Et sans Girls en 2012, pas de Fleabag en 2016.

Ce sont trois œuvres qui ont marqué leur époque, avant d’inspirer la prochaine.

Laïma : Malgré le côté très avant-gardiste de la série, il y a quand même une dimension qui avait été lourdement critiquée : le manque de diversité culturelle. Tous les personnages principaux sont blancs, c’est frappant. Donc oui, on nous présente un Brooklyn plus réaliste que bien d’autres œuvres, mais disons que la ville est pas mal white washée! Ça sautait aux yeux en 2012 et 10 ans plus tard, encore plus. Je me souviens que Lena Dunham avait dit prendre cette critique très au sérieux, à l’époque.

« Avec la justesse d’écriture de Lena Dunham, ça semble Être du gâchis de ne s’en tenir qu’à la description de vécus blancs. »

Publicité

Malia : Oui, exact! Et elle s’est d’ailleurs rattrapée lors de la saison suivante en intégrant Donald Glover (Atlanta, Community) à la distribution… mais pour un seul épisode. Et en le faisant républicain. Donc disons qu’elle a tenu compte des critiques d’une façon très « Lena Dunham », comme toujours. Mais ce manque de diversité m’a encore plus frappée lors du récent rewatch de la première saison. J’en venais à zieuter l’arrière-fond des scènes en recherche d’un visage racisé.

C’est dommage parce qu’avec la justesse d’écriture de Lena Dunham, ça semble même être du gâchis de ne s’en tenir qu’à la description de vécus blancs. Then again, lorsqu’on connaît sa tendance à sexualiser les corps noirs… je me dis que c’était peut-être un mal pour un bien.

Publicité

De quelle manière la représentation des corps dans la série t’a-t-elle marquée?

Laïma : C’est une dimension très marquante du show. Dans presque tous les épisodes, on voit le corps de Lena Dunham qui n’est pas dans les standards de beauté. C’est un type de corps que l’on ne voyait peu (ou pas!) à la télé.

Elle apparaît à l’écran en très petite culotte, avec sa peau tatouée, ses bourrelets, ses plis. On la voit en train d’avoir des relations sexuelles avec ce corps-là. Je me souviens que j’avais trouvé que c’était vraiment libérateur.

En 2012, on parlait moins de l’importance de la diversité corporelle. Mais je pense que sans avoir le terme, j’avais le feeling. Je sentais dans mon corps qu’il y avait quelque chose d’important qui se passait sous mes yeux.

Malia : Oui, son corps existait tout simplement à l’écran. Je pense que c’était une amorce pour tous les mouvements de body positivity et body neutrality que l’on voit maintenant. Je ne dis pas que c’est Girls qui est venue mettre LA première pierre à l’édifice, mais la pierre que Girls a mise à cet édifice était importante.

Publicité

Laïma : Oui, c’est UNE pierre dans UN édifice. Et je fais ici référence à l’une des phrases cultes de la série, que Hannah adresse à ses parents : « I think that I may be the voice of my generation. Or at least a voice. Of a generation ». [ « Je crois que je suis la voix de ma génération. Ou du moins, une voix. D’une génération. »] Ce que tu dis sur la contribution au mouvement sur la diversité corporelle est une forme de mise en abîme de ce concept.

De quelle façon a évolué votre perception du personnage de Hannah Horvath, en 10 ans?

Malia : Ce qui est drôle, c’est que ça a changé sans changer. Ce qui n’a pas changé, c’est que je la trouve toujours aussi égocentrique.

Elle a quelque chose de manipulateur, il faut toujours que tout tourne autour d’elle et qu’elle retombe sur ses pattes. Elle veut toujours avoir raison et culpabilise les autres. Par contre, à cette époque, je voyais beaucoup plus ses défauts, mais aujourd’hui, je les mets davantage en contexte.

Publicité

Je pense que ce qui m’a fait changer de perspective, c’est que dans notre propre vie aussi, il y a des gens imparfaits qui ont leurs défauts, mais tu sais que c’est peut être trop tard pour que ça change et tu les acceptes comme ils sont. Parfois je ris d’elle, parfois je ris avec elle, parfois elle m’énerve et c’est comme ça.

«Aujourd’hui, les personnages nous apparaissent plutôt comme des victimes d’un système brisé»

Laïma : Je lisais un article sur New York Times et ça m’a fait réaliser que maintenant, avec le recul et l’expérience de vie, ces personnages-là nous apparaissent comme victimes d’un système qui est brisé. Je voyais Hannah comme une enfant gâtée pourrie par ses parents, mais aujourd’hui, je perçois une jeune femme qui sort de l’école, qui aimerait vivre de son art, qui fait un stage non rémunéré depuis un an, mais qui, du jour au lendemain, se fait couper les vivres.

Publicité

Elle évolue dans une ville où les loyers sont hors de prix, dans un pays où l’université coûte super cher et où les gens qui sortent de l’école se retrouvent avec des dettes d’études absolument faramineuses. En effet, j’ai moi aussi inscrit davantage les personnages dans le système dans lequel ils évoluent.

Et votre perception de la série, elle, de quelle manière a-t-elle changé?

Malia : J’essaye de me souvenir d’autres séries qui ont reçu un accueil mitigé, mais qui ont rayonné plus tard. Ça me permettra peut-être de comprendre pourquoi maintenant, on a plus de clémence envers Girls. Est-ce que c’est le côté nostalgie? Qu’est-ce qui fait que maintenant, on arrive à avoir la grille de compréhension qu’on n’avait peut-être pas avant?

Laïma : Je suis pas la seule à le dire, mais maintenant, à 34 ans, regarder Girls, c’est presque une thérapie. Je me vois : les vêtements de Marnie, les flip phones, les statuts cryptiques sur Twitter. Poser un regard plus empathique sur les personnages, c’est poser un regard plus empathique sur moi-même, à 24 ans.

Publicité

En fait, cette série-là est le miroir de ma vingtaine. C’est très, très intimement lié à mes propres expériences… et mes mauvais choix. Mes mauvais choix en amour, en amitié, sur le plan financier et mes mauvais choix vestimentaires, aussi! Je portais des chapeaux, Malia!

Qu’en est-il des autres personnages? Vos appréciations sont-elles restées les mêmes?

Malia : Du tout! La première fois que j’ai regardé Girls, le personnage de Shoshanna ne m’intéressait absolument pas. Je ne comprenais même pas l’intérêt.

« Shoshanna encapsule parfaitement l’essence de la génération Z avant l’heure. »

Publicité

Et aujourd’hui, révélation : Shoshanna encapsule parfaitement l’essence de la génération Z avant l’heure. On le sent dans sa manière de parler, dans la rapidité et la cadence de son langage, dans ses expressions qui font penser à la manière dont la jeune génération tord et réarrange continuellement la langue, à ses moodboards et ses manifestations bien avant que toutes ces pratiques ne soient à la mode, quelques années plus tard…

Lena Dunham a vraiment mis dans sa bouche tout ce qu’on retrouve sur TikTok et Instagram, aujourd’hui. On peut dire beaucoup de choses sur elle – et à raison –, mais s’il y a un truc qu’on ne peut pas lui enlever, c’est qu’elle sait écrire des personnages que l’on pourrait croiser dans la vie réelle. C’est vraiment sa grande force.

Puis je trouve que Shoshanna encapsule bien les peurs qu’on peut avoir à cet âge-là. Elle les verbalise avec une sorte de naïveté presque enfantine, toujours très directe. Elle est un beau miroir des attentes que l’on a envers soi-même, comme la perte de sa virginité à un âge précis, la sexualité en général, la drogue, l’apparence, les goûts changeants, etc.

Publicité

Laïma : De mon côté, je suis toujours aussi amoureuse de Jessa!

Comment décririez-vous la représentation de l’amitié dans la série?

Laïma : Je me faisais la réflexion que dans Sex and the City, c’est un peu l’amitié à la vie, à la mort. Les quatre filles sont toujours ensemble et sont tout le temps dispo pour le brunch, alors qu’on sait que ça ne se passe pas nécessairement comme ça, dans la vraie vie.

Mais dans Girls, les quatre personnages principaux gravitent dans un même univers sans être tout le temps ensemble. Marnie et Hannah sont colocataires. Shoshanna et Jessa sont cousines et vivent ensemble. Mais au fil des épisodes et des intrigues, il y a des moments où elles sont très proches, d’autres où elles se détestent.

C’est un traitement plus réaliste de l’amitié, à mes yeux.

« La série offre un traitement plus réaliste de l’amitié que dans Sex and the City. »

Publicité

Malia : Je peux prendre l’exemple du livre Quatre filles et un jean où c’est vraiment quatre filles qui, autour d’un même objet, sont tellement liées que c’en devient presque un pacte. Ce type d’amitié sacralisée, très rare dans la vie réelle, peut donner envie de se demander : « Qu’est-ce qui ne va pas chez moi? Je n’ai pas d’amitiés comme ça ». Girls véhicule plus de normalité dans cette sphère-là, aussi.

Laïma : Mais elles sont quand même là dans les moments où ça compte. Je pense notamment à la scène où toutes les filles se présentent à la clinique d’avortement pour soutenir Jessa (qui n’est pas enceinte, finalement). Ça m’a fait un gros pincement au cœur de voir ça aujourd’hui, dans un contexte post Roe vs Wade qui restreint massivement le droit à l’avortement, aux États-Unis.

Ça m’a d’ailleurs fait penser à une scène dans la série Seinfeld, qui a un impact complètement différent quand on la regarde, aujourd’hui :

Publicité

Malia : Oui, l’avortement est complètement normalisé. En ce sens, une série comme Girls est un vrai marqueur de temps qui peut même faire avancer les conversations sociales. Ça encapsule les mentalités de l’époque et montre ce qui était considéré comme progressiste ou tabou.

Laïma : Un bel exemple de ça, c’est la masturbation féminine dans la série. Il y a une scène où Marnie se masturbe dans une toilette publique. C’était gutsy en 2012 et ça l’est encore aujourd’hui. Et c’est d’autant plus intéressant que dans cette scène, Marnie n’est pas forcément sexualisée à outrance.

Publicité

Quel est justement votre regard sur cette sexualité si présente dans Girls?

Laïma: La représentation des corps pendant la sexualité est vraiment digne d’intérêt. Ils ne sont pas mis en scène dans des angles avantageux. On assume les petites culottes coincées, les bourrelets, les plis de peau, la sueur. Le côté awkward de la sexualité, quoi!

Autre réflexion très actuelle : le personnage de Adam (Adam Driver) et celui d’Hannah sont en situationship, un mot qu’on n’employait pas à l’époque. Ils étaient tous les deux dans une espèce de zone de flou, entre l’amitié, le fuckfriend et le couple. J’adore qu’on nous montre du flou et un chaos assumé!

« Girls nous montre du sexe tel qu’il est […], on entend les corps qui baisent et les lits qui craquent. »

Publicité

Malia : Oui, Girls nous montre du sexe tel qu’il est. Moi, j’ai grandi avec Skins qui est vraiment du trash pour du trash. Et à l’autre extrême, on a Les frères Scott (One Tree Hill) où la sexualité est super lisse avec une petite musique douce en fond. D’un côté, on a la sexualité féérique et de l’autre, du sexe qui choque pour choquer.

Un vrai bon entre deux n’existait pas aussi bien avant Girls, qui est venu offrir une touche de normalité. Il me semble qu’il n’y a jamais vraiment de musique par-dessus les scènes de sexe.

Laïma : En effet, on entend les corps qui baisent et les lits qui craquent.

Malia : On entend absolument tout, en fait. Pas de paillettes!

Laïma : À un moment donné, Hannah couche avec Adam et elle dit : « It was really good, I almost came ». [C’était vraiment bon, j’ai presque joui. »] Dans la culture pop, on nous présente souvent une femme qui jouit en même temps qu’un partenaire qui a juste donné deux-trois coups de bassin. Mais ici, le personnage vient « presque ». Elle ne fake rien! Cette réplique est très bien trouvée.

Malia : C’est comme de l’éducation sexuelle sans être de l’éducation sexuelle. C’est de la réalité sexuelle. C’est une bonne chose d’avoir pu voir une série qui n’idéalise pas l’acte.

Laïma : Le résultat est très décomplexant sur le plan de la sexualité et des corps. Ça m’interpelle toujours autant, aujourd’hui.

Malia : Et puis j’aime aussi l’absence de justification, le fait que ce soit « juste comme ça ». On expose ce qui se passe, puis on passe à autre chose. Et la personne qui regarde peut en venir à ses propres conclusions et se dire : « Ah bah, c’est peut être la réalité que je suis en train de regarder ».

Laïma : Oui, une réalité imparfaite! Les gens sont imparfaits, ils prennent des décisions de marde de temps en temps. C’est correct parce que c’est aussi comme ça que ça se passe dans la vie. Les gens ont des contradictions.

Ça donne une série qui est très engageante et à plusieurs reprises, on se demande ce que nous, on ferait à la place des personnages. On se dit qu’on ne serait pas tombé dans les mêmes panneaux ou qu’on aurait fait d’aussi mauvais choix.