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Gilles Bertin a rejoint le paradis des punks

La mort, après une vie tumultueuse

Par
Éric Faucher
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Marquée par les braquages, la musique, la prison, la toxicomanie, le VIH et une longue cavale, la vie tumultueuse de l’ancien chanteur du groupe Camera Silens a pris fin le 7 novembre dernier.

Et il squattait, et il squattait

L’odeur, l’ennui des murs si gris

Et il savait, et il savait

Qu’un jour les rats boufferaient sa vie

Camera Silens, Squatt

Après un retour fracassant à la vie publique en 2016, tel un fantôme surgi du passé, Gilles Bertin a finalement rendu l’âme à Barcelone jeudi dernier, le 7 novembre, à l’âge de 58 ans. Il s’était fait connaître du grand public pour s’être rendu aux autorités après une trentaine d’années à les fuir. Ce dernier était recherché pour le vol à main armée d’un entrepôt de la Brink’s à Toulouse en 1988, qu’il avait réalisé avec l’aide d’un commando formé d’artistes, de squatteurs et de militants de la gauche radicale.

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Bertin était auparavant surtout connu pour avoir été, de 1981 à 1986, le chanteur de la défunte formation punk Camera Silens, l’une des pionnières du genre en France. L’influence de ce groupe provenant de Bordeaux est, quant à elle, toujours bien vivante, débordant des frontières de l’hexagone. Ses textes, sa musique, ainsi que la publication de son autobiographie Trente ans de cavale – Ma vie de punk lui assurent une place de choix aux côtés des légendes de la musique.

Pour la gloire

Après une enfance marquée par un père communiste et de petits actes de délinquance, Gilles Bertin s’établit à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France en 1981. Il emménage alors dans un appartement miteux en compagnie de ceux qui formeront la première mouture de son band, Camera Silens.

Sa vie de punk peut alors commencer. Virées dans les concerts, squats, pauvreté, chômage et marginalité font partie des éléments qui la caractériseront. C’est également durant cette période qu’il fait la rencontre d’une drogue des plus dévastatrices: l’héroïne. Celle-ci le rendra d’ailleurs séropositif en plus de lui léguer l’hépatite C. Il réussira cependant à se défaire de sa dépendance suite à un passage de quelques mois en prison en 1983, conséquence d’une série de cambriolages.

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En parallèle, Camera Silens connaît ses premiers modestes succès, partageant la scène avec des groupes comme Noir Désir, Bérurier Noir, OTH, Komintern Sect et bien d’autres. Influencé par les mouvements politiques radicaux, le groupe s’intéresse particulièrement aux groupes de lutte armée révolutionnaire de l’époque, principalement l’ETA (le Pays Basque étant situé tout près de Bordeaux), mais également la Rote Armee Fraktion (RAF). Le nom Camera Silens fait d’ailleurs écho à une forme de torture dont les membres de la RAF en prison feront les frais, caractérisée par une lumière constante et l’insonorisation complète de la cellule, faisant perdre toute notion du temps aux personnes qui la subissent. Pas très joyeux tout ça…

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Pas surprenant que les textes de la formation, particulièrement bien ficelés pour le genre, transpirent le nihilisme et la philosophie punk du No Future. Ces derniers sont généralement accompagnés d’une mélodie des plus mélancoliques, marque de commerce de Camera Silens. C’est d’ailleurs Gilles Bertin qui est l’auteur de la plupart des chansons de Réalité, le premier album du groupe sorti en 1985, aujourd’hui reconnu comme un véritable classique.

Recherché par la police pour des petits braquages à gauche et à droite, Bertin doit cependant s’éclipser dans la nature à partir de 1986, ce qui marque la fin de son association avec le band. Après quelques changements à la formation, cette dernière sortira un second album assez différent en 1987, Rien qu’en traînant, avant de se séparer officiellement l’année suivante.

Classe Criminelle

Trouvant refuge dans la région de Toulouse, Bertin entreprend la préparation de son plus gros coup en compagnie d’anciens compagnons de prison, d’autres squatteurs et d’amis de longue date issus du milieu punk comme lui. Leur cible est un entrepôt de la compagnie Brink’s, spécialisée dans le transport de fonds.

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Après plusieurs mois de préparation et de repérage, le commando frappe au petit matin du 27 avril 1988. Déguisés en gendarmes, ceux-ci kidnappent des employés de la compagnie, avant de s’attaquer à l’entrepôt. Sans tirer le moindre coup de feu, ils réussiront à mettre la main sur 11,7 millions de francs, l’équivalent de 4,25 millions de dollars canadiens, de quoi survivre à une longue période de clandestinité.

Ce casse met un terme à la carrière criminelle de Gilles Bertin qui s’enfuit en Espagne, puis au Portugal. Il sera le seul du commando à ne jamais se faire capturer par les autorités, beaucoup le croyant tout simplement mort. N’ayant rien perdu de sa passion pour la musique, il ouvrira une boutique de disques à Lisbonne au courant des années 90.

Dur retour à la Réalité

C’est durant cette longue cavale, s’échelonnant sur 30 ans, qu’il apprendra qu’il est atteint du VIH et de l’hépatite C. Il décidera tout de même d’avoir un enfant avec sa partenaire qui le suit depuis le début de son aventure espagnole, Cécilia. Bertin avait déjà un fils à Bordeaux, qu’il avait abandonné au tout début de sa fuite.

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Miné par une santé fragile et éprouvant de plus en plus de difficultés à se faire soigner avec de faux papiers, il vit dans la crainte, frôlant la paranoïa, d’être capturé et que Cécilia soit elle aussi accusée pour complicité faisant en sorte que son jeune fils se retrouverait orphelin. C’est ce qui le pousse finalement à se rendre aux autorités françaises en novembre 2016.

Défendu par les réputés avocats militants Christian et Marie-Christine Etelin, reconnus pour avoir plaidé la cause de nombreux anarchistes, Bertin n’écopera finalement que de 5 ans de prison à purger dans la collectivité. Une sentence bonbon qui s’explique notamment par le fait que bien de l’eau ait coulé sous les ponts depuis le fameux braquage de la Brink’s.

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Jeudi dernier, un véritable monument ayant marqué les scènes rock alternatives, punk et skinhead, mais également le milieu du grand banditisme français nous a quittés. Les chansons qu’il a écrites sont aujourd’hui reprises en coeur par de nombreux groupes aux quatre coins du globe, y compris chez nous. Gageons que loin de nuire à sa légende, ses épisodes de criminalité viendront plutôt la renforcer, le milieu de la musique ayant toujours eu un soft spot pour les bad boys.

S’il existe un paradis pour les punks, on ne peut que lui souhaiter d’y rejoindre Sid Vicious et ses compagnons de vie Grand Claude, Didier, Muriel et Iñaki. Comme on dit : Rest in Punk, mon cher Gilles.