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Geneviève, Paul et l’infopub
Si vous êtes branchés sur Radio-Canada d’une manière ou d’une autre, depuis la semaine passée, vous n’avez certainement pas pu passer à côté de la Grande Entrevue accordée par le Non Moins Grand Sir Paul à la Grande Intervieweuse Geneviève Borne. Un gros 22 minutes de sous-titrage pour le moins créatif (« And, um, it was a good show », qui devient dans la traduction « C’était un spectacle mémorable! »: un exemple, mais non le moindre, de la point-d’exclamatisation assez libérale de l’affaire) et de beurrage épais de courbettes face à l’organisation de McCartney. (Pensons, entre autres, aux « VIP qui ont la chance d’assister à un mini-concert privé », c’est-à-dire les tests de son, qui « ont aussi droit à un repas et à des cadeaux ». Ces chanceux, ce sont les détenteurs de forfaits VIP, qui se détaillent de 1 500$ à 2 000$ chacun.)
Cette demi-heure a été diffusée vendredi passé en français sur Espace.mu et sur Radio-Canada.ca, en anglais sur la télé de CBC, samedi soir à la télé de Radio-Canada et sur ARTV. Elle sera en reprise mardi à Radio-Canada ainsi qu’à RDI et pas moins de 4 autres fois sur ARTV. On en a fait la promo à Pénélope et à Medium Large, et on en reparlera à PM cet après-midi.
On peut être perplexe face à la nécessité de faire la promotion d’un spectacle comme celui-ci, qui a autant de chances d’être boudé par le public qu’une piscine municipale en pleine canicule. On peut aussi être perplexe face au fait que Geneviève Borne soit une employée de Quest Management, à titre de consultante/intervieweuse. Quest, c’est la compagnie de Paul. Et elle ne s’en cache pas du tout. On en a parlé un peu partout, à Pénélope et sur le Tapis rose de Catherine, entre autres. Ça ne scandalise personne.
Tout le monde trouve ça normal qu’on demande à une employée d’interviewer son boss. Et on se retrouve, comme si ça pouvait faire autrement, avec une entrevue se rapprochant grandement du pseudo-documentaire behind-the-scenes en bonus d’un DVD de show, où l’entrevue ne prend que 11:40 des 22 minutes et où on est gentil-gentil-gentil. « Aimez-vous venir jouer à Québec? Comment ça se fait qu’avec votre band, ça clique aussi bien? » Ah, come on.
Pourtant, ce n’est pas comme si Radio-Canada manquait de journalistes de talent, ou de bons intervieweurs.
Catherine Beauchamp, recevant Borne sur son Tapis rose, va jusqu’à dire que « c’est le sommet d’une carrière » de journaliste. Est-ce qu’on est vraiment rendus là? Le journalisme n’est-il qu’une porte d’entrée vers une carrière en relations publiques?
Bien sûr, plusieurs journalistes ont fait le saut en politique, surtout dans les dernières années. On s’est certes demandé comment Pierre Duchesne faisait pour couvrir l’Assemblée Nationale pour Radio-Can alors qu’il était déjà certainement en pourparlers avec le PQ. Dans le cas d’une journaliste culturelle qui devient consultante en relations publiques pour un artiste, on ne pose pourtant pas de questions. C’est un grand succès! Félicitations! On s’émeut que McCartney connaisse le prénom de son employée, qu’il la salue quand les caméras tournent. « Wow! J’en reviens pas! »
La semaine passée, Mario Charette du Métro parlait du métier de journaliste où il est de plus en plus difficile de percer, contrairement au domaine du PR où là, mes amis, ça bouge. Les diplômés en communications, selon lui, considèrent le journalisme « comme un métier plus noble, qui permet de servir le public plutôt que les intérêts d’une entreprise particulière. » Est-ce que le titre de noblesse décerné par la Reine d’Angleterre pèse plus lourd que la noblesse du métier?
Quand mon estimée collègue Judith Lussier parlait la semaine passée de la symbiose entre les relationnistes et les journalistes, elle proposait que la principale job des journalistes était de décoder les messages cachés sous la dorure des compagnies de relations publiques. Mais quand les journalistes eux-mêmes brouillent la frontière entre reportage et promotion, sous le regard complaisant des animateurs, intervieweurs et journalistes qui font des entrevues sur l’entrevue, avec l’intervieweuse, pour promouvoir l’entrevue : qu’est-ce qu’il reste à faire?
La querelle qui a, il y a quelques semaines, opposé Simon Jodoin du Voir à Marc Cassivi de La Presse quant au contenu promotionnel, avoué ou non, dans les pages culturelles des deux médias, passait donc, somme toute, à côté du problème. Pendant qu’on se demandait si la mention « publireportage » était écrite en assez grandes lettres au-dessus des articles sur le Festival de Jazz dans le Voir, Radio-Canada commandait littéralement une infopub pour un musicien pour la faire passer une dizaine de fois, sur toutes ses plateformes, du site web musical au réseau de l’information.
Quand un diffuseur (national ou autre) commande une entrevue où une employée interview son patron, et que non seulement personne ne sourcille, mais qu’on la félicite pour son excellente progression de carrière… on devrait plutôt se demander pourquoi donc existe-t-il encore des gens pour parler de culture sans être payés par les sujets de leurs articles, et si ce ne sont pas ces gens-là, en fin de compte, qui font rire d’eux.
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