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Garihanna Jean-Louis : une humoriste et une pionnière à saveur mangue-érable

Nous l’avons rencontrée à l’occasion de la sortie du documentaire Une fois c’t’un Noir. 

Par
Laïma A. Gérald
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« Avec Une fois c’t’un Noir, nous avons voulu tracer une ligne du temps pour constater l’apport colossal des humoristes noirs à l’explosion de l’industrie de l’humour au Québec au cours des dernières décennies. L’humour des Noirs d’ici est rassembleur, pertinent et percutant, et ce documentaire se veut en quelque sorte un hommage à cet humour qui continue de faire rire les Québécois. » Ce sont les mots de Frédéric Pierre, réalisateur du documentaire Une fois c’t’un Noir, qui sera diffusé sur Crave dès le 4 février.

Une fois c’t’un Noir, qui paraît dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, donne la parole à Normand Brathwaite, Boucar Diouf, Garihanna Jean-Louis, Anthony Kavanagh, Eddy King, Michel Mpambara et Erich Preach, des personnalités ayant marqué et marquant toujours la scène humoristique québécoise.

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On s’est entretenu avec l’humoriste Garihanna Jean-Louis, l’une des protagonistes du documentaire. Elle est la première et la seule femme noire à être diplômée de l’École nationale de l’humour.

Parle-moi de ton parcours.

Je suis née à Montréal, de parents d’origine haïtienne. Quand j’ai eu cinq ans, mes parents ont décidé de quitter le Québec et de retourner vivre en Haïti. Pendant toute mon enfance et mon adolescence, j’ai fait des va-et-vient, je revenais souvent au Québec, surtout pour les vacances. Après plusieurs allers-retours entre les deux pays, pour des raisons familiales, politiques et personnelles, j’ai fait mes études universitaires à Montréal, en économie et en criminologie. J’ai aussi travaillé comme cadette policière pendant quatre ans.

En 2013, je suis retournée en Haïti pour donner des cours de théâtre, puisque le théâtre et la scène ont toujours fait partie de ma vie. Deux ans plus tard, l’École nationale de l’humour (ENH) est venue en Haïti pour donner des ateliers, et je m’y suis inscrite.

«j’ai obtenu mon diplôme en tant que première [et seule] femme noire de l’École nationale de l’humour.»

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Quelques jours avant la fin de la formation, Louise Richer [directrice générale et fondatrice de l’école] a décidé de recruter des aspirants humoristes haïtiens pour participer au gala Ha Ha Haïti dans le cadre du Festival Juste pour rire, que j’ai remporté avec mon premier numéro d’humour à vie. Puis, Louise Richer est venue me trouver en coulisse et m’a offert une bourse complète pour suivre le programme de deux ans pour devenir humoriste à l’ENH. J’ai accepté sans savoir dans quoi je m’embarquais!

En 2017, j’ai obtenu mon diplôme en tant que première femme noire de l’École nationale de l’humour.

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Quand tu entends l’expression « Une fois c’est un Noir… », qu’est-ce que tu te dis?

Qu’absolument rien de bon va sortir de ça! C’est comme les blagues sexistes ou misogynes, « Une fois c’t’une blonde… » : tu sais que ça va mal finir, que rien d’intelligent ne va sortir de ça et que ça va voler très bas. J’ai jamais entendu une seule bonne blague qui commence par « Une fois c’est un Noir… ».

Dans le documentaire, tu t’exprimes aux côtés de grosses pointures comme Normand Brathwaite, Boucar Diouf et Anthony Kavanagh. Ça représente quoi pour toi?

Oh my god! Pour ma mère, je serai au summum de ma carrière quand je jouerai aux côtés d’Anthony Kavanagh! (rires) Laisse-moi te dire, chère, que ma maman a vu le documentaire et elle ne fait que parler d’Anthony Kavanagh et de Normand Brathwaite, en disant à quel point ce sont ses idoles et qu’elle se souvient de toutes les archives qu’on montre. Et moi, je suis comme : « Euh maman, est-ce que tu as vu que moi aussi, je suis dans le documentaire? »

«Quand Boucar Diouf dit dans le documentaire qu’il me trouve drôle, je suis comme « LISTEN!»

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Blague à part, c’est vraiment un rêve parce que j’ai des souvenirs d’enfant d’Anthony Kavanagh. J’ai de beaux souvenirs des débuts des carrières de Boucar Diouf et Eddy King. Quand j’étais petite, je regardais ces hommes-là et je me disais : « Quand je serai grande, je veux faire ça! » Donc quand Boucar dit dans le documentaire qu’il me trouve drôle, je suis comme « LISTEN! ». Mon coeur d’enfant, d’adolescente, de jeune femme est en joie, je suis honorée de faire partie de cette magnifique brochette d’artistes, de pionniers.

Tu dis que « le rire est universel alors que l’humour est culturel ». Qu’est-ce que tu entends par là?

Tout le monde rit. Le rire, c’est humain, ça fait du bien, c’est rassembleur. Par contre, l’humour, c’est quelque chose de culturel, voire même de personnel, dans le sens où ça appartient à chacun. Ce qui me fait rire moi ne te fera pas forcément rire toi. L’humour, c’est vraiment un système de références. Si je fais de l’humour au Québec, les mêmes blagues ne feront pas forcément rire les Haïtiens ou les Américains. Pourquoi? Parce que les gens n’ont pas les mêmes références. Puisque les références sont la base de l’humour, ça a forcément une dimension culturelle.

Garihanna Jean-Louis/Instagram
Garihanna Jean-Louis/Instagram

Comment qualifies-tu ton style d’humour?

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J’ai plusieurs styles d’humour en fonction de mon public, mais je reste toujours dans le sarcasme. Je suis ironique et pince-sans-rire. J’aime beaucoup taquiner et challenger mon public. Je fais aussi des personnages.

Je dis souvent que mon humour est à saveur mangue-érable. Ça fait référence à la combinaison de mes cultures haïtienne et québécoise. Je me considère vraiment comme une bipatride.

Dans le documentaire, tu dis que tu te sens souvent « comme un quota ». Qu’est-ce que tu veux dire par-là et as-tu des exemples?

Quand il faut remplir une case, que ce soit en audition, dans un spectacle, sur un plateau ou autre, je coche deux cases : la femme et la personne de la diversité. Parfois, on m’invite dans un show et je me dis : « Wow, je suis la seule femme. Et la femme noire, de surcroit. »

«ça m’est souvent arrivé de me présenter à une audition et d’être entourée de femmes blanches, blondes, minces. Et moi, je suis la seule avec les cheveux crépus, la peau noire.»

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Je te donne un exemple : ça m’est souvent arrivé de me présenter à une audition et d’être entourée de femmes blanches, grandes, blondes, minces. Et moi, je suis la seule avec les cheveux crépus, la peau noire. Quand tu arrives et que tu vois ça, tu sais que le rôle n’est pas pour toi. Tu n’as pas le profil voulu. Et tu sais que tu t’es déplacée pour remplir un quota et qu’on puisse dire que oui, l’audition était ouverte à tout le monde. Je n’aime pas me plaindre, mais ce sont des choses qui font mal.

Et ça me fait réaliser que quand mes parents, il y a 20 ou 30 ans, me disaient qu’en tant que personne racisée, tu dois faire le double du travail pour avoir la moitié, c’est vrai. Encore aujourd’hui.

C’est quoi les plus grands défis d’être une femme noire en humour?

Quand on est une personnalité publique et qu’on est noire, ou bien racisée en général, on porte souvent la responsabilité de représenter toute une communauté. Mais moi, je ne suis pas toutes les femmes noires. Un des impacts négatifs, c’est qu’on n’a pas droit à l’erreur.

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En tant que femme noire en humour plus spécifiquement, je dirais que le défi est de s’exprimer librement sans que l’on invalide mon vécu. Au fil de mon parcours, je me suis souvent sentie invalidée dans mon discours.

Je te donne un exemple : ma mère s’est fait kidnapper en Haïti quand j’étais plus jeune et j’en ris parfois dans mes numéros d’humour. Et les gens remettent en doute que ça puisse être vrai alors que ça fait réellement partie de mon histoire personnelle.

Je ris aussi de la mort, de la dépression et de la manière dont ma mère a réagi quand elle a su que j’en souffrais. Comment les gens peuvent me dire que mon vécu ne se peut pas? Peut-être qu’ils ne le comprennent pas, mais ça me dépasse que certaines personnes invalident mes expériences juste parce qu’elles sont différentes des leurs.

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Dans le documentaire, tu parles de faire de l’humour comme d’une responsabilité. Je trouve ça puissant. Peux-tu m’en dire plus?

Pour moi, c’est une responsabilité parce que des femmes noires humoristes diplômées au Québec, il n’y en a pas d’autres que moi. Du moment où, malgré toi, tu es une pionnière, c’est à toi de défricher la route. Il faut ouvrir les portes.

«Du moment où, malgré toi, tu es une pionnière, c’est à toi de défricher la route.»

Je me donne aussi comme mission de planter cette petite graine d’humour dans la tête de chaque enfant, chaque jeune femme que je croise, comme je suis aussi professeure. Je me donne vraiment comme mission d’accompagner, de tenir la main, parce que moi, je n’ai pas eu ça et que je sais à quel point ça a été difficile de faire mon bout de chemin.

Un cadeau m’a été donné par l’ENH et je veux donner en retour.

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Donc j’invite vraiment les gens à être curieux et à découvrir nos histoires à travers le documentaire. Ce sont des histoires de résilience, de courage et de force.

Personnellement, ça me donne hâte au futur et j’ai hâte que notre travail porte fruit. Donc awèye, regardez ça!

Une fois c’t’un Noir
Dès le 4 février 2022 sur CRAVE
Le documentaire sera également diffusé le dimanche 20 février à 21 h sur Noovo et Canal D.