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Gagner sa vie au poker, c’est pas aussi glamour que je l’aurais cru

Récit d'un été où j'étais «all in» beaucoup trop souvent.

Par
Pierre-Luc Racine
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Il est 22h30. Il fait beau et très chaud. Mes amis festoient sur les terrasses, mais moi, je suis à la guerre. Le joueur en face de moi a jeté un regard vers ses jetons immédiatement après avoir regardé ses cartes. Il est visiblement content de ce qu’il voit.

Je soulève les miennes. Une paire de rois. On peut danser, mais le prix d’entrée est maintenant de 15$. Tout le monde se couche, sauf le joueur excité. Il sort les gros canons. 60$. Merde! Il n’est pas là pour niaiser. Mon angoisse monte à chacune de mes bouffées d’air. Vais-je perdre la manche?

3 de pique. Soupir de soulagement. J’ai gagné. Le croupier pousse les jetons vers moi. Le butin frôle le 500$. Je dois décider si je prolonge ma soirée ou si je pars.

Je remets mon appât à l’eau et j’attends que ça morde.

Tout dépend de mon nouveau joueur préféré. S’il continue, ça vaut la peine de rôder autour. Il sort huit billets de 20$ qu’il dépose sur la table afin d’avoir des jetons. Le métro ferme bientôt, mais j’ai un poisson qui mord à l’hameçon. C’est intéressant de rester quelques heures de plus et de me payer un taxi pour revenir chez moi! Je remets mon appât à l’eau et j’attends.

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Ça, c’est juste une main. C’est ainsi que j’ai passé la majorité de mes soirées pendant l’été 2018. Sans contrats d’écriture, sans shows prévus, je devais faire de l’argent. Je me suis penché sur une source que je maîtrise: les probabilités.

Le boom du poker

En 2003, Chris Moneymaker a gagné 2,5 millions en remportant les World Series Of Poker alors qu’il n’avait qu’investi que 86$ dans un tournoi. Cette histoire a donné naissance au pokerboom. Si lui pouvait le faire, nous pouvions tous le faire.

Après avoir joué chez des amis, j’étais mystifié que des décisions pouvaient être prises avec deux cartes dans nos mains. Ça m’a intrigué. J’ai donc plongé dans le poker. J’ai déposé 75$ sur un site avec une promo qui me permettrait de le doubler si je jouais beaucoup. J’ai commencé très prudemment, j’y allais avec des mises de deux cents.

Ce 75$ initial est devenu un fier 1600$. Ça peut paraitre beaucoup, mais ce n’est pas un gros success story.

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Ensuite, j’ai graduellement monté les enchères avec les années alors que je devenais meilleur. J’ai fini par payer une partie du cashdown de mon condo en 2011. Ce 75$ initial est devenu un fier 1600$. Ça peut paraitre beaucoup, mais ce n’est pas un gros success story. Si je devais calculer mon taux horaire pour me rendre là, ça serait très très bas.

Vive les mathématiques

En tant qu’ancien actuaire, les chiffres, je connais ça. Même que ma spécialité personnelle, c’est les probabilités. À l’université, dans mon cours sur ce sujet, j’ai eu 106% à l’examen intrasemestriel et 120% au final (il y avait pas mal de points bonis).

Je vous ai déjà parlé de pourquoi on perd de l’argent à la loterie. La différence avec le poker, c’est qu’on est contre d’autres joueurs. Ils imposent leurs propres tables de probabilités. Si je cours après une flush avec une carte à dévoiler et il y a 100$ dans le pot, je sais que j’ai 25% de chance de réussite. Je peux facilement calculer si le montant qu’il mise sera une bonne affaire mathématiquement parlant.

Je sais, je suis un gros nerd.

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D’un site web au casino de Montréal

Au début de l’année 2018, une fois que j’ai compris les rudiments du jeu, je me suis inscrit dans un tournoi sur mon site de poker favori. Pour réussir à me qualifier 15e, j’y ai mis 17 heures de ma vie sur deux jours. Sans être dans le top 10, je gagne toutefois 2300$ US et je peux payer ma session d’école avec ce gain! Ke-ching!

Cet épisode me rappelle que je suis quand même pas pire au poker. Je continue de jouer ici et là, puis l’été arrive et je dois faire de l’argent. N’ayant rien devant moi, je me dis que tous les gens sont festifs au casino, alors pourquoi ne pas aller faire un tour pour tenter de pêcher des poissons?

Merci cher Acadien qui se saoulait pendant que sa femme était partie voir Cavalia!

Et c’est ce qui se passe au début. Je joue au niveau le plus bas qu’offre le casino. Ce sont les tables où les débutants du poker face viennent faire leurs dents, où les touristes chaudailles veulent faire du social et où les joueurs qui veulent apprendre paient le gros prix.

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Rien n’est plus satisfaisant qu’un joueur s’assoyant avec une liasse d’argent tout en disant «Comment ça marche ce jeu-là?». On se lèche les babines.

À ce moment, c’est vraiment le fun. C’est nouveau. Je me sentais comme un requin des cartes. Je me fais livrer une pointe de pizza à 10$ à ma table. Elle est probablement dans les meilleures de tout le grand Montréal. Je me souviens encore des premiers gros gains, comme la fois où je suis sorti avec 800$ de plus qu’à mon arrivée. Merci cher Acadien qui se saoulait pendant que sa femme était partie voir Cavalia!

Quand ça devient un travail

C’est ce qui est le fun du poker. C’est que parfois, des mauvais joueurs se font récompenser pour leurs mauvaises décisions. Ils concluent qu’ils sont bons, conservent leurs stratégies médiocres et moi, j’en profite.

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Je reste sobre. Je ne bois jamais sur mes heures de travail. C’est un jeu de patience. L’alcool et la patience sont des ennemis jurés.

Sauf que la nouveauté s’effrite et le goût de la pizza n’est plus si spécial.

Comme le poker est aussi un jeu de hasard, parfois, il m’arrive de sortir de mes sessions de jeux avec moins d’argent que quand je suis entré au casino et ça fesse. Même si j’ai généralement fait les bons choix, le chemin du retour est long lorsque j’ai 250$ de moins dans les poches.

Toute histoire a une fin

Vers la fin de l’été, la vie retrouve son cours naturel. Les gens rentrent de vacances et constatent le résultat de leurs folles dépenses estivales sur leurs cartes de crédit. Ça parait à la table de poker. Ils sont moins téméraires.

L’ambiance autrefois enjouée et festive ressemble maintenant à celle d’un bureau. Ça ne me dérangeait pas tant de prendre l’argent d’épicuriens sur le party, mais en l’absence de ces fêtards, les mauvais joueurs, je commence à les reconnaître.

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Et ça me rend triste. Profondément triste. Je n’ai aucun plaisir à piocher dans le portefeuille de quelqu’un avec un problème de jeu.

L’accumulation du stress de toutes les mains des dernières semaines commence à me peser.

En plus, je constate que la difficulté des parties augmente. Je ne suis pas là par passion de la discipline. Je ne suis pas là pour devenir un meilleur joueur non plus. Je suis là pour faire de l’argent sans me casser trop la tête. L’accumulation du stress de toutes les mains des dernières semaines commence à me peser. Mon quotidien, c’est l’incertitude.

La vie d’artiste vient avec son lot d’inconnu : serais-je pris pour ce projet? Est-ce que cette blague est drôle? Est-ce qu’il va y avoir du monde à mon show? Toutes les variables incertaines dans ma carrière sont parfois difficiles à gérer au quotidien. Je sentais que je ne devais pas ajouter le stress de la variance par-dessus tout ça.

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Du même coup, je réalise une affaire cruciale: ça ne me tente pas de devenir un joueur de poker professionnel. Je pense un instant à l’art, les pratiques, le networking ou n’importe quoi d’autre que j’aurais pu faire pour avancer dans ma profession au lieu d’attendre des bonnes cartes.

C’est pour ça que je ne joue plus régulièrement au casino. C’est devenu difficile, angoissant et ça me distrayait de mes véritables ambitions. C’est aussi pour ça que je ne le conseille pas à personne, sauf à ceux qui veulent vraiment devenir des professionnels des cartes.

Et pour ça, bonne chance! On n’est plus en 2003!