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J’capote. J’ai eu le temps d’ouvrir les yeux, de profiter du moment somnolant, d’être juste bien dans le chaud sous la couette, faire une boule de moi-même, respirer l’odeur du matin, entendre un ou deux oiseaux gazouiller, c’tait des corneilles qui gueulaient, mais pour les besoins de mon souvenir parfait, oiseaux, c’est mieux. Là, en plus, au travers de la fenêtre, au pied du lit, j’ai eu le temps d’apprécier le dégradé de couleurs dans les feu-feuilles des arbres pis de me dire « ouin, l’automne est là ». Une considération matinale innocente. La totale.
Après quatre ans et demi de maternité, c’est le genre de moment qui te laisse une empreinte dans l’être. Parce que vient vraiment un temps où tu n’y crois plus trop que des matins où t’auras le luxe de te réveiller par toi-même, de t’étirer et t’apprécier le corps mou vont venir avant les cris, les besoins, deux paires de fesses et tout ce qui peut en sortir que tu devras torcher et commenter [parce que ça semble faire partie du renforcement positif que de magnifier consistance, odeur, couleur, quantité], avant ta première gorgée de café.
Je répète : avant ta première gorgée de café.
Je persiste encore à croire qu’il n’y a rien de légitime, là-dedans. Du fécal d’autrui dans ta face avant que tu n’aies pu t’assurer des conditions premières de ta propre existence, BAM de même, à tous les matins. Entouécas. Un jour, ça s’inscrit dans ta routine pis tu vis avec en taisant comme tu peux le « what the fuck ».
7h36.
Le Fils [dans le cadre de la porte] : « Maman. Tu dors-tu? »
Maman [a envie de feindre, mais sait que ça sert à fuckall] :
« Naon. Je ne dors pas. »
Le Fils : « Ah. Tu fais quoi? »
Maman : « Je suis bien. Viens me rejoindre, on va se coller. »
Le Fils : « Non. Ça me tente plus de jouer. Je peux-tu aller jouer?»
Maman : « Ben oui, va jouer. Mais essaie de ne pas trop faire de bruit pour ne pas réveiller ta sœur, steplait. »
Un sourire pis yé parti, en criant. Les cris ne font pas partie de sa définition du bruit. C’est sur la to-do du à-réviser. Pis le tasoeur évidemment, s’est réveillée et a voulu faire partie du parté. Fa’que je me suis levée pis juste avant que le bal des il-leur-faut et des ils-veulent commencent, je les ai regardés. Juste de même. Ils se faisaient aller, en bobettes, les cheveux emmêlés, les yeux encore petits, à peine conscients de leur étant, mais tellement dedans, en même temps. Leur ce-qu’ils-faisaient ne m’était pas clair, voire ça m’échappait big time, mais l’évidence était qu’ils avaient du fun. Du graos fun. Le genre de fun que tu n’éprouves plus vraiment à partir d’un certain moment donné de ton existence. Le genre de fun qui peut même ne plus faire de sens pantoute, si la vie pis toi, vous vous perdez de vue. Parce que le plaisir peut devenir une abstraction. On peut ne plus savoir ce que c’est, ce que ça implique, kessé faut faire pour en ressentir, en générer.
Errer, du dedans. Être là sans réellement s’habiter. Zombie de soi.
Manger, dormir. Exécuter le quotidien, y rouler, toujours un peu au-dessus du sol, espérer un basculement qui ne vient pas, une implosion, keke chose qui fera battre le cœur un peu plus vite, un peu plus fort. Même si c’est ta tête qui se pète contre un mur. Quand tu es rendu là pis qu’on te parle de chercher le plaisir, tu es désemparée en ta’. « Faut-tu je prenne un bain avec de la mousse? Une marche? Que je lance des confettis? », tu sais plus trop. Chercher le fun augmente ton malaise d’être là. Tu te sens poche, t’sais, d’avoir perdu ça.
Fa’que un jour, ce sont tes p’tits que tu regardes aller. Ils n’ont pas de délais. Entre eux et eux, rien. Y ressentent, y veulent, y font. Sourires, joie et homéostasie. Du fun à la louche, ça déborde. Sauter sul lit. Fun. Marcher vite. Fun. Boire avec une paille. Fun. Faire pepi debout. Fun. Tourner sur soi. Fun. En continu, si on ne les interrompt pas pour les empêcher, notamment, de se tuer. Ils n’ont pas à amasser du bonheur, ni à collectionner les instants pleins, dans leur mémoire. Ledit bonheur n’est pas encagé dans des vases clos. C’est là. Fa’que tu t’assois par terre pis tu oublies ce que tu es, tu prends la figurine de Yoda, la voix qui va avec, pis tu t’engages dans un combat épique contre un T-Rex sombré dans le côté obscur de la Force. Ta fille te saute sul dos parce que tu es un vaisseau-cheval qui va aussi lui manger le jambon de corps. Vous faites une bataille de bas [propres], collez des collants sul mur, avez chaud. Ton cœur bat fort. Pis tu te rends compte que tu n’es pas mal.
Depuis ce matin-là, tu as cessé de débouler la pente. Ta routine, c’est aussi le jeu avec eux. Le jeu où tu t’oublies, où tes p’tits pis toé, c’est « Occupy la vie ».