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J’ai eu un choc quand ma meilleure amie d’adolescence, celle avec qui j’avais fait le plus de bêtises au monde, m’a annoncé qu’elle était enceinte. Je l’avais un peu perdue de vue dans les dernières années parce qu’on avait pris des chemins différents. J’avais été étonnée de savoir qu’elle était devenue banquière. Lors d’une longue conversation sur Skype, elle m’a raconté ce qui lui était arrivé dans les 18 derniers mois, et comment elle était enfin devenue heureuse.
Voici son histoire :
“Je suis musicienne. Mais en 2008, j’ai réalisé que je ne vivais pas très bien de mon art, et qu’il fallait que je cherche une autre job qui paierait les factures. C’est comme ça que j’ai suivi une formation de banquière et que j’ai commencé à travailler en agence. J’aimais mes collègues et mon travail, sauf je n’étais pas d’accord avec tous les principes. Parfois, plutôt que de faire un travail utile, je sentais que je devenais simplement un élément de production d’une chaîne qui vise à faire rentrer de l’argent dans les caisses des banques. Si je désapprouvais ce qu’on me demandait, on me faisait comprendre que quelqu’un d’autre pourrait prendre ma place.
La grande phrase dans le milieu, c’est : «personne n’est irremplaçable».
En janvier 2014, je devais changer de poste, mais comme je rapportais de l’argent là où j’étais, ma boss a écrit aux ressources humaines pour leur dire de ne pas me donner de promotion, car je n’étais pas assez qualifiée. J’ai tenté d’avoir des explications, mais les ressources humaines ne me répondaient jamais. En parallèle, ma boss m’écrivait que j’étais une femme calculatrice; que j’étais prête à tout pour écraser les autres…Tout le contraire de moi, qui aidais souvent mes collègues et restais gérer l’agence quand tout le monde partait en vacances à Noël. Bref, je crois que c’est justement quand tu es trop gentil que tu te fais bouffer. J’ai consulté une avocate, mais je n’avais pas l’énergie de me battre jusqu’en cour.
Je suis arrivée à Sydney en novembre 2014. J’avais des amis qui avaient voyagé là-bas, et sur leur blogue, tout avait l’air tellement merveilleux…
J’avais des économies pour payer mon billet d’avion, mon visa, mon assurance de voyage et pour pouvoir vivre le temps de me trouver une job. Au tout début, je suis restée un mois à Sydney. J’étais déçue. Quand tu pars, tu crois que soudainement, tu vas avoir une révélation et que ta vie va devenir géniale. Mais en fait, rien n’a changé. Tu es toujours la même personne. Il n’y a pas de révélation dans ta vie parce que tu as fait 20 000 km. Je me suis dit : ‘J’ai dépensé plein d’argent pour partir à l’autre bout du monde, now what?’
C’est là qu’on m’a parlé d’un site qui met en contact des gens qui ont un bateau et des gens qui veulent voyager avec eux. Le site vérifie l’identité des gens avec leur passeport et l’immatriculation des bateaux, donc ça ne fait pas trop peur. Tu peux même le faire si tu ne sais pas naviguer. C’est là que mon voyage a vraiment commencé.
Moi, j’avais envie de partir en bateau à voile, mais concrètement, je ne savais rien faire. Sur mon profil, j’avais écrit que je pouvais faire la cuisine, garder des enfants, nettoyer la coque… J’ai trouvé un Australien qui cherchait juste quelqu’un pour garder l’œil ouvert quand il dormait. Il m’a fait découvrir la côte est. On s’arrêtait presque tous les jours pour faire des treks. Il m’a déposée à Byron Bay. Là-bas, il y a un lieu génial où tu peux camper. C’est rempli de musiciens. C’est là que j’ai rencontré Nicolas.
Peu à peu, on est tombés amoureux.
Avec Nicolas, on est partis voyager en 4X4. On est descendus jusqu’à Melbourne, où on a ramassé des pommes et des raisins. On gagnait 21,50$ de l’heure. C’est un salaire qui va avec le niveau de vie, bien sûr, sauf que comme on dormait dans la voiture et que je faisais la cuisine, on a pu économiser.
En mars, je suis partie seule en Floride. Je suis partie sans Nicolas, parce que j’avais quand même besoin de vivre ma propre aventure. J’ai rejoint un équipage qui voulait descendre dans les Caraïbes avant de rentrer en Europe. Mais au lieu de ça, on a vécu l’enfer. Arrivés loin dans la mer, le capitaine a fermé tous ses appareils de navigation parce que ça usait ses batteries. Il n’y avait aucune logique dans son raisonnement. Une nuit, quand j’étais à la barre, on a foncé dans un récif. Il n’a pas voulu qu’on aille aux îles les plus proches. On est restés 15 jours à flot. On ne prenait pas l’eau, mais on savait que la quille était fendue, et personne n’avait assez d’apnée pour constater l’étendue des dommages. On commençait à croire que le capitaine n’avait aucune intention de nous ramener à terre.
Comme on croyait tous qu’on allait mourir, j’ai essayé d’écrire une chanson gaie pour redonner le sourire à tout le monde, comme les musiciens du Titanic.
Je n’avais absolument aucun moyen de communiquer avec l’extérieur. Je rêvais toutes les nuits que j’étais en train de faire un cauchemar et que j’allais me réveiller en sueur dans la voiture à côté de Nicolas, et qu’il allait me prendre dans ses bras en disant : ‘Ne t’inquiète pas. Tout va bien, c’était juste un rêve.’
Dès qu’on a enfin mis les pieds sur une île, on a tous déguerpi. Moi, je suis allée à Porto Rico où j’ai fait du couch surfing avant de reprendre l’avion pour la Nouvelle-Zélande. De là, je suis partie en bateau à Fidji. Et c’est là que j’ai commencé à être à court d’argent. Travailler en Australie, c’est facile, mais se faire de l’argent sur une île perdue à Fidji, c’est vraiment compliqué. Je me suis mise à pleurer sur le port. Deux Australiens sont venus discuter avec moi. Ils m’ont dit : ‘T’as l’air cool! On part en Australie dans 3 jours si tu veux venir avec nous. Embarque, tu nous rembourseras plus tard.’ On est retournés en Australie en passant par la Nouvelle-Calédonie. Et c’est là que Nicolas m’a rejoint.
Peut-être que je suis trop spirituelle, mais j’ai l’impression que quand tu rencontres des gens biens, c’est que tu es ouvert pour les rencontrer. Je pense que c’est ton attitude qui va faire que tu vas t’ouvrir ou te fermer à certaines personnes pendant ton voyage.
Avec Nicolas, on a vécu dans un ranch où on aidait une famille géniale et leurs enfants. On a adoré comment ils les élevaient. Quand tu voyages, le plus excitant, c’est qu’en suivant le flot, tu te greffes à la vie de toutes sortes de gens. Après 15 mois de voyage, j’ai enfin été prête à m’installer et à créer ma propre vie.
Nicolas et moi sommes rentrés nous installer à la campagne. Moi, je suis super désorganisée, mais lui est rentré avec autant d’argent en poche que quand il est parti. Aujourd’hui, on essaie de reprendre nos jobs d’avant. Moi banquière — s’ils veulent bien me prendre enceinte — et lui ingénieur. On veut économiser pour s’acheter une ferme. Nicolas voudrait construire un gîte en bois, et moi j’aimerais créer un programme pour les gens avec des désordres alimentaires, leur permettre de se nourrir des choses de la ferme. Je suis une formation de diététicienne.
De mon expérience, j’ai retiré de la joie de vivre et de la sérénité par rapport au futur après toute cette précarité du voyage. Aujourd’hui, je suis contente, je suis prête à être maman. J’ai l’impression d’avoir vécu pleinement. Au-delà du voyage, j’ai surtout réalisé qu’il y a un nombre infini de vies incroyables qui sont possibles dans le monde. Si la nôtre ne nous convient pas, ça vaut le coup d’en changer.”