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« Sur le fruit »

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J’ai toujours été un peu à l’ouest.

Je gesticule en expliquant leur chemin aux passants que j’envoie, malgré moi, immanquablement s’écarter dans un caniveau. Il n’est pas rare de retrouver mon speedstick ou mes bas golf dans le panier à fruits du frigidaire et la semaine dernière, j’ai oublié le code du système d’alarme du condo de ma mère, un code que je pitonne pourtant sans hésiter depuis 13 ans. Trou de mémoire béant, brèche au cervelet, on m’aurait demandé mon prénom que j’aurais pas su quoi répondre à part hurler à m’en fendre la luette sous les puissants cris de l’alarme des chevaliers de l’Apocalypse.

MAIS. Je connais mes forces.

Je chante on key.
J’excelle dans la tresse en queue de poisson.
J’arrête pas le sang, mais presque.

Et quand il s’agit de vin, de cépages et d’œnologie (l’œnologie couvrant le vin et les cépages, voyez comme je maîtrise), je me retire avant même que le menu des drinks ait touché table. C’est pas ma tasse et je ne m’en cache pas.

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Mais attention, hein, HALTE-LÀ; je sais reconnaître et apprécier un bon vin (je pense). Je célèbre sa robe, ses tanins, le nom de jeune fille de la mère du viticulteur qui a tapoté le terreau de la première bouture et le fusain de l’étiquette d’un grand cru comme d’une sombre piquette. Tant que ça me rend heureuse, que je suis en bonne compagnie et qu’il n’y a pas de graines de toast dans ma coupe, ça le fait. J’aime les choses simples. J’aime Yves Desgagnés.

C’est pourquoi dès que, dans un petit bistrot, un convive attablé près de ma cuisse tâte le terrain de la sommellerie, je deviens blême. Je déteste ce moment. Le moment du choix. Le moment du questionnaire à la petite serveuse sur sa fin de shift et du goûtage avec tout le cérémoniel que ça implique.

Parce qu’il n’y a jamais lieu de garder ça simple. Le vin s’étant démocratisé le sulfite, TOUT LE MONDE CONNAÎT ÇA, ASTHEURE.

Tout le monde.

Et c’est toujours sur l’heure du midi, quand on mange de la poule ou dans un débit de pâtes, que les sommeliers du dimanche se manifestent le connoisseur.

Oh! Tappeu qu’ils connaissent ça. Ils feront sans souci patienter la tablée trois quarts d’heure, s’il le faut, afin de s’assurer que le nectar qui accompagnera leur pétate-en-robe-de-chambre aura été béni par un grand vizir qui passait ses étés d’enfance dans le Languedoc-Roussillon.

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Qu’importe le cépage, il doit tout savoir. Le vin est-il agressif? Gouleyant? Il est insécure. Et il ne badine pas avec les accords spaghetti-vino.

Son verre, il le fera tournailler dans les airs. Le soleil traversera le Cabernet. Et quand, après en avoir décortiqué la palette de vermeille et le pétillant avec la sophistication d’un miroir de bécosse, il finit par nous faire l’infini honneur de porter la coupe à ses lèvres, le sol se dérobe sous nos bottines.

C’est là qu’on retient notre souffle. Qu’on laisse le liquide lui tacher gencives et dents de riz, im-pa-tients de connaître son verdict, un verdict pour lequel on a tous été mis sua Terre.

Je vous dis qu’il s’en passe, de l’analyse, dans c’te bouche-là. La cuiller à thé de vin VOYAGE. Visite ses quatre estomacs. Caresse le velours de son palais et saute dans les cerceaux enflammés de son agilité buccale. Soudain, un être circassien descend doucement du plafond pour nous faire un numéro de contorsion aérienne, suspendu à un long bout de tissu soyeux. Le suspense est insoutenable.

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Puis, ses sourcils s’arquent de dédain. Le code binaire est complété. Ça a l’air grave:

« Ça se pourrait-tu que ce millésime-là soit un peu SUR LE FRUIT ? »

Un millésime sur le fruit. Chez Pacini.

Claudette ne l’a pourtant pas pris sur le fruit. La bouteille était sur le comptoir, à côté de sa boîte de tic-tacs et de la photo du proprio avec Luc Senay devant le bar à pain.

Auqué.

Je n’ai rien contre l’enthousiasme du pinard et suis toujours ravie, voire soulagée de pouvoir me fier sur une gens qui sait repérer la formidable bouteille qui nous fera passer une belle veillée.

Mais quand le sel pis le poivre sont offerts en sachets dans le centre de la table et que la salade de choux est servie, bois ton Caballero de Chile en silence et informe la petite fille suspendue au plafond qu’elle peut prendre son après-midi off.

T’es ben smatte!

La bise.

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