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Frencher ou se reproduire : on est-tu obligé de choisir?

On déconstruit le commentaire-choc de Sabrina d'Occupation Double.

Par
Laïma A. Gérald
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« Si le gars veut une fille de 31 ans qui pige à gauche pis à droite, je m’en contre-C@l**&*. […] T’as 31 ans, t’es supposée penser à te reproduire […]. »

Cette phrase, prononcée par une Sabrina larmoyante dimanche soir à Occupation Double, ne cesse de faire réagir sur les réseaux sociaux depuis la diffusion de l’émission.

Petite mise en contexte avant de plonger dans le vif du sujet. Attention, c’est un peu compliqué, donc concentrez-vous!

Sabrina et Frédérick sont en « couple OD », tout comme Audrey et Nicolas. C’est alors qu’une twist de Capitaine Rebondissement envoie Sab et Nic en voyage à Terre-Neuve, province qui deviendra le théâtre d’un langoureux french kiss (ou de juste un petit bec, selon les versions de l’histoire).

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Évidemment, la nouvelle fait rapidement le tour des maisons : Audrey « casse » avec Nic en pitchant son linge du balcon tandis que Fred ne peut passer par-dessus la trahison de sa douce. Nic, de son côté, semble réellement intéressé par Sab, attribuant une signification à ce baiser terre-neuvien, mais Sab n’a d’yeux que pour Fred, qu’elle cherche désespérément à reconquérir.

Pour sa part, Audrey tombe sous le charme de Fred, qu’elle tente de séduire dans la salle de bain lors du party. La pauvre Sab, au bout de sa vie, aperçoit la scène dans le reflet du miroir, ce qui brise son petit cœur. De retour à la maison en larmes, elle parle d’Audrey dans son dos, prononçant LA phrase qui fait jaser le Québec depuis la diffusion de l’émission de dimanche.

Geneviève Jetté/Instagram
Geneviève Jetté/Instagram
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Je suis une femme, j’ai 32 ans et je ne suis pas dans une recherche active de reproduction. Je peux donc vous dire que dimanche soir, dans le 4 ½ dans lequel j’habite seule, sans chum et sans enfant, j’ai sursauté. Et à en croire mon fil Instagram ainsi que mes DM enflammés suite au partage d’un meme sur le sujet, je ne suis pas la seule.

Je ne cherche pas à m’en prendre à Sabrina, mais plutôt à déconstruire son propos qui, selon moi, révèle une vision qui persiste encore dans la société.

Je précise que je n’ai rien contre Sabrina et que je trouve d’ailleurs qu’elle en a suffisamment pris pour son rhume depuis son voyage avec Nic. Selon moi, Sab ne méritait pas le traitement que lui a réservé Fred et encore moins l’opprobre orchestré par Audrey, qui s’est attaquée à ses « valeurs à la mauvaise place ». Mais bon, c’est mon opinion (ainsi que celle d’Hugo Dumas) et c’est un autre débat.

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Je ne cherche donc pas à m’en prendre à Sabrina, mais plutôt à déconstruire son propos qui, selon moi, révèle une vision qui persiste encore dans la société.

L’origine du monde

Première chose que j’ai envie d’aborder : ce n’est parce que tu es une femme que tu veux nécessairement des enfants. Ok?

Selon des chiffres de Statistique Canada de 2011, 5,5 % des femmes âgées de 20 à 39 ans n’ont pas l’intention d’avoir d’enfant. Et depuis une trentaine d’années, le Québec, à l’instar des autres pays occidentaux, enregistre une baisse du taux de natalité. Malgré cette réalité, le choix de ne pas avoir d’enfant demeure un tabou et fait l’objet de jugement. Égoïstes, dysfonctionnelles, incomplètes, aux prises avec un grand vide : les femmes sans enfant sont souvent jugées, voire ostracisées, encore aujourd’hui, en 2021.

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Si on revient au commentaire de Sabrina, probablement lancé sous le coup de l’émotion (et de quelques Shaker), celui-ci sous-entend implicitement qu’à 30 ans, si ton projet principal n’est pas de faire des bébés, tu n’as pas de but dans la vie.

Ainsi, la candidate de 23 ans véhicule une idée très normative des étapes de la vie d’une femme, insinuant que la maternité devrait être son unique désir à partir d’un certain âge. Si on suit cette logique, une femme dans la vingtaine a le droit de vivre des expériences, telles que frencher, dater et « piger à gauche pis à droite », mais une fois dans la trentaine, elle doit se caser au plus vite, trouver the one et se « reproduire ».

En affirmant qu’une femme de 31 ans devrait exclusivement consacrer sa vie à la poursuite de la maternité, on la prive idéologiquement de la possibilité de s’épanouir dans d’autres sphères comme le travail, la vie amoureuse et sexuelle ou l’amitié.

Encore une fois, je sais que Sabrina a tenu de tels propos sur le coup de la colère, mais sachant qu’ils sont représentatifs de la vision d’encore beaucoup de gens, je comprends qu’ils aient pu choquer plusieurs téléspectateur.trice.s.

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Slut shaming et french kiss

Total disclosure : j’aime Audrey. Cela dit, je n’approuve pas tous ses comportements dans les émissions de la dernière semaine. Elle a été très dure avec Sabrina, même plus qu’avec Nicolas, perpétuant ainsi un double standard : la femme infidèle mérite la honte tandis que l’homme est pardonné plus facilement pour le même comportement. Et on va se le dire, si Audrey avait été en voyage avec Fred, je doute qu’elle eût résisté à la tentation de le frencher à pleine langue… My two cents!

Malgré tout, je trouve ça tellement rafraichissant de voir une femme dans la trentaine assumer ses désirs, et ce, de manière très joyeuse. « Mes passe-temps préférés sont frencher et dater. Je les aime tous, ces hommes-là », apprend-on dans le portrait de la candidate.

Au début de la saison, je me suis souvent dit que je trouvais la jeune femme très positive et ludique dans son approche des relations, de la séduction et de la sexualité. Personnellement, ça me fait beaucoup de bien de voir des femmes ainsi représentées dans la culture populaire.

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En affirmant qu’Audrey devrait « penser à se reproduire », Sabrina procède implicitement à une hiérarchisation des envies et des besoins des femmes, la maternité étant au top de la pyramide. En l’accusant de « piger à gauche pis à droite », Sab pose un jugement moral réducteur à l’arrière-goût de slut shaming.

Étant moi-même dans la jeune trentaine et majoritairement célibataire depuis mes vingt-cinq ans, j’ai souvent fait l’objet de commentaires du genre. J’ai donc eu une désagréable impression de déjà vu devant l’épisode de dimanche soir.

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Ode à la complexité

« J’flirte beaucoup pis j’aime toute ce vibe-là d’être célibataire, mais t’sais, au bout du compte, moi j’cherche comme le mien t’sais », déclarait Audrey en pleurant, peu de temps après avoir appris que Nicolas l’avait « trompé » avec Sabrina.

Quand j’ai entendu cette phrase, j’ai été très touchée de découvrir cette nouvelle dimension plus vulnérable de la candidate montréalaise. Évidemment qu’on peut avoir envie de frencher, de vivre des expériences et tout de même être ouverte à une relation plus sérieuse, ma chum!

Le jugement de Sab n’est pas sans rappeler les catégories de types « maman » et « putain » qu’on accole aux femmes depuis la nuit des temps.

Tout ça m’a fait réfléchir à la notion de célibat, un sujet auquel je pense beaucoup personnellement et professionnellement depuis quelques années. C’est intéressant de constater que le célibat est souvent perçu à travers deux pôles très binaires.

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Premièrement, il est vu comme un état d’attente : on est célibataire en attendant de rencontrer la personne qui nous en sortira enfin. On le voit comme un état indésirable, dont on veut s’extirper au plus vite. Et à l’autre extrême, le célibat est perçu comme une période sauvage, débridée pendant laquelle on est privé.e d’émotions : on ne cherche que les expériences érotiques et sexuelles.

Dans le cas d’Audrey, et de beaucoup de gens (dont moi, je vous l’avoue), le célibat est une période riche en expériences humaines, pendant laquelle on apprend à se découvrir à l’extérieur d’une relation de couple. Ce sont des mois ou des années d’exploration, de rencontres, d’essais et d’erreurs, et surtout de découvertes qui font grandir en tant qu’humain.e.

Et c’est exactement ce que décrit Audrey : oui, elle aime dater, flirter et multiplier les rencontres en tous genres, mais cela ne l’empêche pas d’être ouverte à une relation plus engageante si l’occasion se présente. Encore une fois, je me reconnais là-dedans et je trouve ça précieux d’assister à ses réflexions sur la question à Occupation Double.

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À travers le commentaire de Sabrina, Audrey est privée de la beauté de la complexité de ses envies, que l’on présente comme binaire et qu’on place dans un rapport d’opposition. Le jugement de Sab n’est pas sans rappeler les catégories de types « maman » et « putain » qu’on accole aux femmes depuis la nuit des temps.

Alors que dans la vie, c’est correct d’avoir le goût de frencher à droite pis à gauche, d’aimer ça et de vouloir trouver un.e partenaire amoureux.euse. Ou pas. C’est correct d’avoir des one night stand tout en souhaitant fonder une famille un jour. Ou pas. C’est correct d’avoir des envies complexes, sans obligation de les justifier.

C’est super correct. Ok?

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