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Quand frencher devient plus intime que le sexe
Avec la trentaine et les nombreuses périodes de long célibat, la notion d’intimité change.
En fait, l’accès à l’intimité n’est plus le même et j’ai l’impression qu’être intime avec quelqu’un est, sans dire improbable, plutôt hasardeux.
Je me tourne vers les applications de rencontres pour forcer le hasard. Je garde l’œil attentif sur les médias sociaux ou dans les cercles d’amis et de connaissances.
On se donne des moyens modernes pour trouver de la compagnie et après chaque conclusion d’histoire vient un constat un peu déstabilisant : je suis de plus en plus distant. Mes sentiments, mes intentions, mes envies, tout est distance et le défi qui se pointe est de revenir à la proximité avant d’atteindre l’intimité.
C’est devant cette distance, tant physique qu’émotionnelle, qu’une question s’est invitée chez moi : pourquoi est-ce que j’ai plus de facilité à parler de sexe avec une femme que de l’embrasser convenablement? Et pas juste en parler; la réflexion me pousse à constater que les actes sexuels sont, pour moi, moins intimes que les étreintes et les baisers.
Le bon vieux french de notre adolescence, l’étape à franchir avant de voir son partenaire nu pour la première fois, est maintenant une barrière entre moi, mon corps et mes sentiments.
J’ai réalisé aussi, en fouinant un peu sur le web, que je ne suis pas seul à ressentir cette distorsion dans l’échelle d’importance des actes intimes. Parmi les nombreux articles sur l’importance des baisers dans le couple et la façon de bien les faire, il y en a plusieurs qui partagent ma constatation que le french, mouillé ou plus timide, est un acte plus intime que le sexe.
Ça s’explique de plusieurs façons selon les situations.
Certaines travailleuses du sexe, notamment, mentionnent qu’elles s’imposent une frontière avec les clients et les baisers sur la bouche sont interdits. C’est une façon de maintenir la distance, la distinction entre le travail et la vie personnelle. Sinon, les baisers peuvent aussi se monnayer comme les autres services sexuels, en extra ou non, selon les préférences. Un baiser, ici, peut devenir partie intégrale de la Girlfriend Experience qui simule, d’une certaine façon, l’intimité d’une relation amoureuse.
On ne se donne plus le temps de prendre le temps et l’intimité s’effrite avant même d’exister.
Au niveau des relations, ce que j’observe c’est qu’avec la déshumanisation de l’amorce via des applications de rencontres, une fausse abondance est projetée devant nous et on passe rapidement au suivant quand des choses concordent moins. Forcément, les rapprochements se limitent aux premières impressions, à la première baise exploratrice, maladroite et à quelques baisers où les langues se cherchent sans réellement trouver le bon rythme.
On ne se donne plus le temps de prendre le temps et l’intimité s’effrite avant même d’exister.
Exister, face à face
Dans mon cas, ça provoque cette facilité à explorer sexuellement avec l’autre, mais une certaine retenue par rapport au baiser parce que dans son essence, on ne peut pas simuler un baiser. On ne peut pas, comme avec le sexe, s’offrir en performance et se concentrer sur le plaisir mutuel. Il faut s’investir dans un baiser, regarder l’autre, pour vrai, être attentif à sa respiration et s’harmoniser avec celle-ci.
Exister, face à face, sans la distance d’un corps, d’un appendice, d’une main ou d’un jouet.
On ne peut pas simuler le désir et les intentions derrière un baiser, même lorsqu’il est anodin ou plus ludique. Il y a une transparence dans l’acte, une trahison des barrières qu’on dresse pour se protéger ou se cacher. Quand deux langues se trouvent et que les doutes prennent une pause, il y a quelque chose comme une explosion qui se produit et qui terrasse même les plus cyniques.
J’en suis – sauf que je ne me souviens plus la dernière fois où un baiser m’a terrassé.
On ne peut pas simuler le désir et les intentions derrière un baiser, même lorsqu’il est anodin ou plus ludique. Il y a une transparence dans l’acte, une trahison des barrières qu’on dresse pour se protéger ou se cacher.
Pourtant j’ai joui, j’ai joué, j’ai expérimenté, j’ai goûté, j’ai écouté et j’ai manipulé. Ma bouche s’est inventé des routes, ma langue des ruisseaux et mes doigts des projets. Mais mon cœur, via ma bouche, ne bronche plus parce qu’il y a cette frontière hermétique entre les pays de mes sentiments.
Ça m’a réconforté de voir sur le web que je n’étais pas seul à considérer les frenchs comme une plus grande démonstration d’intimité que le sexe, mais ça m’inquiète en même temps. L’impression d’être déréglé, désabusé est encore présente. L’impression d’échapper du plaisir alors qu’il ne demande qu’â être consommé. L’amertume dans la distance, comme des amours impossibles en feuilletant les catalogues Ikea émotionnels que sont les applications de rencontres.
Quand frencher devient plus intime que le sexe, est-ce parce que le manque est plus grand qu’on oserait le croire?
Chérissez vos partenaires avec qui vous frenchez sans fermer les yeux. Avec qui vous osez sourire quand les nez font obstacle. Avec qui une main se pose contre votre visage pour prendre la pleine mesure de votre présence.
Chérissez le tout et ne basculez pas de l’autre côté de l’équation. J’ai comme l’impression de par mon expérience que c’est difficile de retrouver cet abandon dans l’autre quand la distance se conjugue au quotidien.