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Chaque jour, 27 Canadiens encaissent le terrible diagnostic : ils sont atteints d’une tumeur cérébrale. Après le choc vient le désir de survivre. Pour les aider, un brillant professeur à Polytechnique Montréal et chercheur au Centre de recherche du CHUM a inventé un outil quasi infaillible pour détecter les cellules malades et ainsi mieux les anéantir.
Frédéric Leblond, comme le commun des mortels, mène une vie bien remplie. Il jongle pour sa part entre ses obligations de professeur, de chercheur, de gestionnaire et de papa d’une petite de 2 ans. L’homme de 44 ans ne dort pas beaucoup, ce qui, diraient tous les parents de jeunes enfants, n’a rien d’extraordinaire. Il écoute beaucoup de podcasts – rien à signaler ici : ils sont presque devenus mainstream – et suit assidûment la politique américaine – qui ne le fait pas depuis qu’un certain Donald s’est installé aux commandes des É.-U.? Ce docteur en physique aime aussi beaucoup : les voyages, le badminton et le tennis. « C’est plate, hein? », fait-il remarquer.
Malgré tout, Frédéric Leblond mène une existence hors du commun : il est un Jedi. Un vrai Jedi des temps modernes qui combat les forces du Mal avec des lasers. Celles qu’il affronte s’appellent cancer. Et il tente de les vaincre au moyen d’instruments médicaux optiques.
Le crayon laser qui voit la maladie
Vous vous souvenez de ce petit crayon muni d’une lumière rouge au bout avec lequel vous vous êtes amusé à pointer vos amis ennemis à l’école? Avec Kevin Petrecca, neurochirurgien et professeur au département de neuro de l’Université McGill, Frédéric Leblond en a inventé un qui détecte les cellules cancéreuses dans le cerveau pendant l’opération d’ablation d’une tumeur.
En réalité, leur crayon laser est une sonde qui ressemble effectivement à un stylo en métal très mince, mais celui-là contient des fibres optiques. Elle permet au chirurgien de savoir si les cellules qu’il est sur le point de retirer sont malades ou saines.
Leur crayon laser est une sonde qui ressemble effectivement à un stylo en métal très mince, mais celui-là contient des fibres optiques.
La différence est fondamentale. Les cellules cancéreuses, on veut toutes les enlever, sans quoi la rechute est garantie. Mais pas touche à celles en santé, car leur disparition pourrait affecter des fonctions cognitives ou motrices du patient.
À l’épreuve du sprint, la sonde Leblond-Petrecca remporterait la médaille d’or. « Bing, en un cinquième de seconde, c’est réglé! On a la réponse! », commente l’inventeur. La prouesse de l’outil n’est pas seulement de rendre un diagnostic en temps réel, c’est aussi de fournir de l’information qu’aucun autre instrument ne réussit à donner…
En effet, avant l’opération, le neurochirurgien effectue généralement une résonance magnétique. Il obtient une image qui délimite, grosso modo, la zone cancéreuse à enlever. Or, le diable est dans les détails, et les cellules en périphérie sont dures à étiqueter : malades ou pas malades? La sonde est en mesure de tracer cette ligne. « Elle complémente les outils existants, souligne le professeur Leblond. Elle interroge le tissu au moment critique de la chirurgie où on se demande : jusqu’où doit-on aller? »
Spectroscopie (hein?) et IA
Et comment ce petit bidule génial fonctionne-t-il? Il utilise des techniques de spectroscopie. En gros, la sonde envoie de la lumière sur un bout de tissu à une longueur d’onde donnée. Les molécules « s’excitent » et renvoient de la lumière à une longueur d’onde un peu différente. La sonde, hypersensible, détecte le spectre lumineux qui lui est retourné. C’est là qu’intervient l’intelligence artificielle. La sonde est associée à un algorithme qui est capable de qualifier le type de tissu qu’elle a devant les yeux. (Vous comprenez qu’on schématise : la sonde n’a pas d’yeux pour vrai.)
Pour y arriver, l’algorithme s’est entraîné. Il a été exposé à tout plein de données : des spectres de tissus sains d’un côté, des spectres de tissus cancéreux de l’autre. Il a fini par apprendre ce qui permet de les différencier.
« On est capables de distinguer les cellules malades avec une précision qui varie entre 90 et 96 %! », se réjouit Frédéric. Ça, c’est presque 100 %, mais l’ingénieur et physicien ne le dira pas. Parce qu’il tient à l’exactitude des chiffres. Et qu’il sait que son outil peut encore être perfectionné.
Pour l’instant, la sonde n’est utilisée qu’à l’Institut et hôpital neurologique de Montréal, où elle a déjà fait ses preuves sur 140 patients. Les étapes vers sa distribution vont toutefois bon train. D’ici trois ou quatre ans, elle devrait se trouver entre les mains de chirurgiens oncologues de partout dans le monde. Des milliers de patients en profiteront.
Du big bang au biomédical
Rien, dans le parcours de Frédéric Leblond, ne permettait de prédire qu’il se retrouverait un jour plongé au cœur d’interventions assez gore, coiffé d’un inélégant bonnet de chirurgie.
D’abord, le sang le repoussait quand il était plus jeune. Sans compter qu’après son bac en génie physique, il s’est tourné vers ce que la physique a de plus théorique. Sa thèse de doctorat et son postdoctorat ont porté sur la « théorie des cordes ». Une théorie – comment dire – cryptique, dont l’objectif ne vise à rien de moins qu’expliquer tout l’univers.
« Penser le big bang, d’où vient le monde et où il s’en va, ce sont des principes cool! », mentionne-t-il avec un enthousiasme qui ferait presque fléchir le plus fervent des créationnistes.
N’empêche qu’un jour, le théoricien a eu envie d’avoir un « impact plus concret sur la société ». Il s’est joint à une entreprise d’imagerie médicale et a mis ses extraordinaires aptitudes mathématiques, ainsi que sa formation en génie, au service de la conception d’instruments médicaux.
Quelques années plus tard, l’université américaine Dartmouth l’a recruté comme professeur en ingénierie biomédicale. Là-bas, on a libéré son horaire pour qu’il suive des cours de médecine. On lui a même adjoint un mentor, une sommité en neurochirurgie, afin d’accélérer sa transition vers le médical. (Ils l’ont-tu l’affaire, les Américains?)
La réalité humaine
À la tête d’un labo richement subventionné, Doctor Leblond s’est lancé dans des recherches visant à améliorer les procédures chirurgicales en neurochirurgie. C’est ce qu’il continue de faire aujourd’hui, mais à partir de Montréal – à bas l’exode des cerveaux! – et pas seulement en neurologie.
En plus de sa fameuse sonde, il perfectionne une panoplie d’autres outils de détection destinés aux chirurgiens oncologues : autant des aiguilles de biopsie que des microscopes et des instruments grand champ. Il y en a pour différents types de cancer (poumon, prostate, sein, ovaires), mais tous font appel à la spectroscopie des tissus.
Évidemment, Frédéric a souvent l’occasion de voir ses technologies en action. Son baptême de la salle d’opération a eu lieu en 2008. Et quel baptême ce fut : une intervention de huit heures pour retirer une tumeur cérébrale à un stade avancé.
Ce jour-là, l’ex-phobique du sang a découvert qu’en fin de compte, une chirurgie, « ce n’est pas dégueulasse ». « Tu entres dans un mindset particulier, précise-t-il. Tu n’es pas là pour rien. » Il s’est aussi frotté à une réalité qui ne fait généralement pas partie du quotidien des rats de laboratoire, et encore moins de celui des théoriciens purs : les gens.
« Comme chercheur, tu es dans ton monde, avec tes instruments et tes données. Dans la salle d’opération, tu te retrouves devant une personne qui n’en a parfois plus pour longtemps à vivre. À l’extérieur, il y a une famille qui attend. Peut-être un enfant qui ne connaîtra pas son grand-père… »
Au début, c’est émotivement très « engageant », admet-il. « Mais tu te fais une carapace. » Devant une intervention à crâne ouvert, il est effectivement mieux de se concentrer.
Honneurs et secrets
Au printemps dernier, la sonde mise au point par le tandem Leblond-Petrecca a gagné le prix du public Découverte de l’année décerné par le magazine Québec Science. Lors du gala, des témoignages de patients opérés avec l’instrument ont été lus. « Ils racontaient comment ça leur donnait de l’espoir, comment ça avait de l’impact sur leur vie », se remémore le lauréat. Pour une fois, il s’est permis d’avoir les yeux embués.
À Rivière-du-Loup, son patelin natal, son succès a fait la manchette des journaux et des émissions de radio. Frédéric reconnaît, à la blague, qu’il doit son prix à un nombre élevé de votants louperivois!
L’humilité, c’est bien, mais il ne peut nier que son invention est franchement impressionnante. ODS Medical, la compagnie qu’il a fondée avec son collègue neurochirurgien pour commercialiser leurs découvertes, vient d’ailleurs de signer un contrat de plusieurs millions de dollars avec une multinationale américaine.
Au printemps dernier, la sonde mise au point par le tandem Leblond-Petrecca a gagné le prix du public Découverte de l’année décerné par le magazine Québec Science.
Leur mandat? Hum. « Disons développer un nouveau produit chirurgical… », répond prudemment Frédéric. En tant que directeur de la technologie (ou CTO, pour chief technology officer), il ne peut pas trop en révéler à propos du deal. Entre les branches, on a entendu dire que ça concerne des robots chirurgicaux. Mais en écrivant ça, on en dit déjà trop. Chose certaine, le projet fera, encore une fois, une grande place à l’intelligence artificielle.
Apprendre d’une rockstar
Au moment où ces lignes seront publiées, Frédéric Leblond aura commencé une année sabbatique. Sauf que le prof à Polytechnique n’aura pas exactement les deux pieds dans le sable. Il sera plutôt en train de « se salir les mains », selon ses mots, dans un laboratoire montréalais d’intelligence artificielle.
« Toutes les technologies qu’on développe génèrent des ensembles de données immenses », explique-t-il. Du vrai big data, dont il veut être capable de tirer le maximum d’information. « Le but, c’est de savoir traiter nos données avec des algorithmes sophistiqués, comme les algorithmes d’apprentissage automatique en intelligence artificielle », ajoute-t-il.
C’est pour ça que Frédéric s’est booké une immersion dans un pôle d’excellence en la matière au lieu d’un séjour dans une villa en Toscane. C’est peut-être aussi parce que se frotter à de gros systèmes d’équations mathématiques, c’est une façon pour lui de se gâter. Toujours est-il qu’avec cette expertise additionnelle, l’ingénieur/physicien/CTO espère pouvoir équiper les oncologues avec des technologies encore plus précises et intelligentes.
« C’est bien beau, avoir une sonde qui détecte le cancer, dit-il, mais on est devant des possibilités énormes. Par exemple, on pourrait prédire que dans le cas d’un patient X, la maladie reviendra dans cinq ans. Ou prédire qu’un patient Y répondra bien à une chimiothérapie donnée, mais pas un patient Z. »
Tout cela est prometteur. Vraiment prometteur. Ce l’est d’autant plus que Frédéric se perfectionnera aux côtés d’une vedette mondiale de l’intelligence artificielle : nul autre que le Montréalais Yoshua Bengio, un Extraordinaire d’URBANIA de 2017. Dans les médias, celui-ci est régulièrement décrit comme une rockstar de son domaine. Une étoile montante qui rencontre une rockstar, ce n’est pas ça, au fond, le big bang?