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France D’Amour : plus que jamais vivante

À l’aube des 30 ans de l’album « Déchaînée », la chanteuse revient sur son incroyable parcours.

Par
Benoît Lelièvre
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Vêtue d’un blouson de cuir et d’une casquette, France D’Amour me donne l’impression d’avoir à peine vieilli depuis les trente dernières années. Elle dégage la même énergie que la jeune femme qui chantait Animal, Vivante, Mon frère, Et si c’était vrai et tous les autres succès de l’époque pré-Napster. Elle les chante d’ailleurs toujours.

Le rock, ça garde jeune.

Depuis 1992, France D’Amour chante l’urgence de vivre. On la connaît pour ses mélodies lumineuses et ses textes qui célèbrent l’expérience humaine dans ses hauts et ses bas.

Assis ensemble dans un petit coin du Café Orr sur Papineau, à Montréal, c’est une des premières questions que je lui pose. « Comment tu nourris cette urgence de vivre qui te caractérise si bien, à travers les années et les coups durs? »

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France devient silencieuse pendant un moment. Je pense qu’elle ne s’attendait pas à cette question. Si on se rencontre, en ce jeudi matin glacial de mars, c’est parce qu’elle sera à Belle & Bum le jour de son anniversaire pour fêter les 30 ans de Déchaînée (l’album qui comprend Vivante et Mon frère). Elle vient aussi de lancer son quatorzième album intitulé Quatorze, le 14 mars dernier.

« C’est une des meilleures questions que j’ai eues depuis longtemps, ça. Elle m’émeut, ta question. C’est la première fois que quelqu’un m’émeut avec une question, » avoue-t-elle en s’essuyant discrètement les yeux.

Elle poursuit avec une confidence : « Ma mère m’a appelée, hier. Elle m’a annoncé qu’elle avait le cancer de l’utérus. Elle a 83 ans. On a évalué les options ensemble : soit on peut laisser ça aller et vivre le temps qui reste ensemble, soit on peut se battre. On passe à travers l’opération, les traitements, toute la patente. Elle m’a répondu haut et fort “je veux vivre.” Je lui ai donc promis qu’on allait se battre ensemble. »

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« C’est fort, l’urgence de vivre. C’est quelque chose que tout le monde possède, et j’ai toujours été très proche de cet instinct-là. Chez moi, c’est intarissable. Assez pour que je puisse en prêter aux autres, » continue-t-elle.

Rester Vivante

« À l’époque d’Animal et Déchaînée, je faisais environ 250 spectacles par année. J’écrivais des tounes, puis je faisais des shows. C’était ça, ma vie », me raconte-t-elle d’entrée de jeu, en m’expliquant que l’épuisement extrême a rendu ses souvenirs de l’époque un tantinet brumeux. Elle faisait à la fois les bars, les festivals et même une tournée des prisons. « Osti que j’étais fatiguée. Avant un show, ça m’arrivait de m’enfiler deux-trois boulettes de steak haché. Je savais plus où prendre mon énergie. »

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Hautement symbolique, encore aujourd’hui, de la place qu’elle occupe dans l’imaginaire culturel québécois, l’époque de Déchaînée a mis à l’épreuve la flamme intérieure de France D’Amour.

L’épuisement, une rupture amoureuse difficile et les contrats de disques louches l’ont amenée à écrire, en 1997, son album Le silence des roses, qu’elle considère comme le plus sombre de son catalogue.

« La chanson Mon bonheur, c’est dark. C’est d’une violence. Beaucoup de gens me disent que c’est leur album préféré. C’est très rock. Je l’aime musicalement, mais les textes me rendent triste pour la jeune femme que j’étais. J’aurais voulu la consoler. C’est un autoportrait sonore de cette époque-là, » se souvient-elle.

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D’ailleurs, Mon bonheur est l’une des chansons de France D’Amour les moins jouées sur Spotify avec 1 998 écoutes au moment d’écrire ces lignes, comparativement à 1,1 million pour Vivante. J’ai pris sur moi de lui en donner deux autres pour arrondir le chiffre.

Je vous invite à aller l’écouter, d’ailleurs. La performance vocale y est à couper le souffle.

L’épuisement et la désillusion sont au cœur de la déroute d’innombrables musiciens et musiciennes. C’est ce qui nous amène à discuter, entre autres, de Dédé Fortin, qu’elle a brièvement connu. « Il était tellement créatif et drôle, mais il y avait cette dichotomie, dans ce gars-là. La petite voix destructrice qu’on a tous à l’intérieur de nous, la sienne s’est mise à parler plus fort que lui. »

Selon elle, son fils est l’une des raisons pour lesquelles elle ne s’est pas enlisée dans la détresse, même pendant les années les plus difficiles. Elle croit que la maternité et les sérieux problèmes d’asthme de son fils François l’ont aidée à sortir de sa tête, et d’éviter de sombrer dans la détresse.

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« J’étais à l’ADISQ, je chantais Vivante. Plus tard dans la soirée, j’ai chanté Boomerang avec Kevin Parent. Michel Tremblay était dans l’assistance. J’étais dans une passe où je lisais tous ses romans et j’avais très hâte d’aller lui parler, » me raconte-t-elle avec nostalgie. « Mon frère m’a dit que mon garçon était à l’hôpital et je suis partie immédiatement. Je suis arrivée là-bas toute grimée. Je me rappelle encore que je mangeais mon petit sac de chips au ketchup en tenant mon fils par la main. Ça te ramène tellement, des moments comme ça. Mon gars avait besoin de sa mère. Ça guérit. Peut-être pas totalement, mais les autres problèmes s’estompent. »

Beaucoup plus qu’une rockeuse

Ce ne sont pas les épreuves qui ont manqué sur le chemin de France D’Amour au fil des années. Sa première étiquette de disque a vendu son catalogue sans le lui demander. Beaucoup de matériel de l’époque a disparu. « Xavier Dolan a essayé d’avoir Je n’irai pas ailleurs pour un film, mais on ne l’a jamais rappelé. Ça a été très difficile, aussi, pour que Telus ait les droits d’Animal pour une pub. Je touche quand même de l’argent sur ces chansons-là parce que je suis autrice-compositrice, mais je n’ai plus la liberté d’en faire ce que je veux. »

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Les mauvaises expériences et les multiples changements dans l’industrie de la musique l’ont d’ailleurs amenée à s’autoproduire et ce, depuis une dizaine d’années.

« C’est beaucoup d’ouvrage, mais c’est toujours mieux d’être au courant. Tu sais ce que t’as fait de mal quand ça fonctionne pas et tu sais ce que t’as fait comme il faut quand ça fonctionne. T’as le contrôle, quand tu t’autoproduis. Quand tu l’as pas, des fois, un album fonctionnera pas et tu vas te demander pourquoi et la réponse est aussi simple que : personne n’a rien fait pour l’aider. Y a des artistes qui ont été déclarés finis dans ces circonstances du genre alors qu’ils ne l’étaient pas du tout, » m’explique-t-elle.

Tout le monde parle de France D’Amour comme d’une rockeuse emblématique du Québec, mais la vérité est que sa musique a beaucoup évolué avec les époques. Quatorze, c’est d’abord et avant tout des chansons à textes intimistes et intemporelles, qui s’écoutent mieux dans un café comme celui où nous nous trouvons que dans un aréna. Je lui ai demandé si ça la dérangeait que cette étiquette lui colle à la peau.

« Je pense que les gens font beaucoup l’association parce que je suis une femme qui joue de la guitare, mais t’as raison. Ma musique a beaucoup changé depuis l’époque où je faisais du gros rock. Pour certains, j’suis une rockeuse. Pour d’autres, une chanteuse jazz. J’ai plusieurs publics. »

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France se décrit tout d’abord comme une musicienne et une passionnée, toujours à l’affût des nouvelles tendances musicales. Dans sa playlist du moment, on peut retrouver Taylor Swift, Olivia Rodrigo, Harry Styles, Foo Fighters et Snarky Puppy, mais aussi Rau_Ze, Clay & Friends, Ariane Roy et P’tit Belliveau. « J’adore son côté country jazz un peu naïf, » me dit-elle à propos du musicien acadien.

Elle profite par ailleurs de ce moment pour me partager qu’elle a récemment fait une collaboration avec un rappeur underground nommé Racine. Ce dernier lui a emprunté le refrain de Et si c’était vrai pour le mettre à bon escient.

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Avant de conclure, vous me connaissez, je demande toujours à mes invités une question un peu geek à propos de leur champ d’expertise. Pour France D’Amour, qui a écrit des chansons devenues des incontournables de la culture québécoise, j’avais envie qu’elle m’explique comment écrire un hit.

« Mais Benoît, on le sait pas, quand on écrit un hit! C’est le public qui décide, » m’avoue France D’Amour en éclatant d’un rire bon enfant.

« Sans farce, je pense que c’est le mélange d’une bonne mélodie, d’un bon texte et d’une symbiose avec ton époque. Si t’essaies d’écrire un hit, c’est sûr que ça fonctionnera pas. Parce que tu vas écrire en réponse à ce qui se passe présentement. Les gens ne veulent pas entendre ça. Les gens veulent qu’on les projette dans les possibles, » continue-t-elle.

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Nos chemins se séparent un peu avant midi. Il fait encore frette. France D’Amour disparaît au coin de la rue, mais je suis certain que je la reverrai bientôt sur mon écran de télé ou sur mes réseaux sociaux. Cette flamme intérieure qui la transporte, elle est palpable.

Trente ans après Déchaînée, France D’Amour est plus que jamais vivante.