Si l’on devait observer la disposition scénique de Flore Laurentienne, on pourrait s’attendre à un concert rétro-techno à la Kraftwerk. Je compte pas moins de sept synthétiseurs vintage, en plus d’un drôle d’engin rattaché à un gong.
Toutefois, un coup d’œil vers la droite et l’on aperçoit les lutrins et les étuis du quatuor de cordes qui l’accompagnent. Le fait qu’on soit aussi dans une église nous rappelle que quelque chose d’un peu plus sérieux se trame.
Plus tard ce soir-là, le public du tout nouveau festival Archipel, à Kamouraska, assistait avec émotion à une belle démonstration de la pertinence et de l’actualité de la musique dite « classique ». Essayons d’éviter le préfixe « néo » lorsqu’on parle de Flore Laurentienne, soit le projet de Mathieu David Gagnon, puisqu’il ne tient qu’à un seul anachronisme. C’est simplement que sa musique classique à lui se manifeste avec l’aide de synthétiseurs d’époque, une passion de geek qu’il entretient depuis longtemps.
Faire se rencontrer des mondes distincts
Cet usage de claviers anciens ne découle pas d’une volonté manifeste de nouveauté et son idée n’était certainement pas de convertir les jeunes au classique (même si ça a assez bien fonctionné!). Chaque instrument utilisé a son utilité, sa chaleur, son ton et sa texture. Et il s’explique mal pourquoi autant de puristes voient une hérésie dans le fait de se servir de synthétiseurs.
« Je pense que c’est peut-être à cause des compositeurs, suppose-t-il. C’est rare les compositeurs de “musique classique” qui aiment ou sont très intéressés par la synthèse des instruments électroniques. Moi, j’ai une grande connaissance en orchestration et je suis un geek des vieux synthés. C’est la rencontre de ça qui fait Flore Laurentienne. Mais le clivage se fait aussi simplement parce que ces milieux ne se rencontrent pas, peut-être à cause des systèmes de subvention ou des publics. »
Sans nécessairement s’en donner la mission, Mathieu a effectivement réussi à faire se rencontrer ces mondes, puisqu’il a de la street cred dans les deux. Après avoir étudié l’écriture musicale à l’Université de Montréal, il alterne entre le Conservatoire de Bordeaux et celui d’Aubervilliers pour aller apprendre l’art de la fugue. De retour au Québec, il se met à travailler sur les arrangements de sa sœur, Klô Pelgag, en plus d’accompagner sur scène les Hôtesses d’Hilaire.
Peindre des paysages musicaux
Volume 1, son premier album paru à l’automne 2019, a été encensé par la critique, maintes fois primé et on a même pu entendre ses compositions lors du défilé automne/hiver de la maison Chanel, à Paris. Puis les statistiques d’écoutes le prouvent; l’album de Flore Laurentienne a accompagné beaucoup de gens durant la pandémie. Une surprise, surtout pour lui!
Le public d’ici et d’ailleurs est tombé amoureux de ses compositions qui peignent les fresques des plus beaux paysages québécois, avec toujours le Saint-Laurent comme fil rouge. Sur des morceaux comme Navigation IV, la répétition simple et rassurante des notes sur le synthétiseur fétiche de Mathieu, le Minimoog, évoque la lente ondulation des vagues qui nous mènent à bon port. Éthérée, hors du temps.
Créer sa propre voie
« J’essaie de faire des disques qui vont très bien vieillir. Mon côté classique, c’est aussi le côté classique des synthétiseurs, puisque je ne joue qu’avec de vieux claviers qu’on appelle des synthétiseurs classiques, rappelle Mathieu. C’était les premiers qui ont été mis sur le marché et on les a beaucoup entendus dans les années 70. Avec, j’aime faire des compositions très simples, qui peuvent être jouées sur n’importe quel instrument. C’est mon côté compositeur-mathématicien. »
On se met à théoriser sur la pertinence et la pérennité de la musique classique telle qu’on la connaît, mais aussi sur la capacité de formes comme les fugues, qu’aime tant Mathieu et qui forment la base de Flore Laurentienne, à être encore enseignées dans les décennies à venir. Il donne l’exemple de l’Orchestre symphonique de Longueuil dont le récent changement de nom, fait dans l’optique d’aider à démocratiser la musique classique, est loin de faire l’unanimité.
« Je ne crois pas que la musique classique a à être démocratisée, mais il y a certains éléments qui peuvent vivre à travers d’autres formes de musique. En étudiant énormément la musique classique, j’ai juste pris ce qui m’intéressait. Je ne suis pas dans un combat pour prouver que j’ai ma place là-dedans, dit Mathieu. De toute façon, je n’ai de place nulle part, parce que je ne me sens pas comme un néo-classique. Je me sens comme un compositeur vivant, qui expérimente, avec mon vécu, ce que j’ai écouté et ce que j’aime! »