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Fini les jokes au dîner des correspondants de la Maison-Blanche

C'est la faute de qui? L'égo fragile de Donald Trump?

Par
Pier-Luc Ouellet
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On apprenait la semaine dernière que pour la première fois depuis 2003, il n’y aurait pas d’humoriste qui viendrait faire un bien-cuit du président américain à la grande rencontre annuelle des journalistes politiques américains. Pourquoi? Et surtout, qu’est-ce que ça change?

J’en ai parlé avec Julie Dufort, doctorante en science politique, enseignante à l’École nationale de l’humour, et directrice de l’ouvrage collectif Humour et politique: de la connivence à la désillusion. Bref, c’est un peu la Yvon Deschamps de la science politique, ou la Chantal Hébert de l’humour. Comme vous préférez.

C’est quoi, le dîner des correspondants?

Avant d’aller plus loin, clarifions ce qu’est le dîner des correspondants. Non, ce n’est pas un rassemblement des 100 personnes qui s’envoient des lettres.

«L’idée, en fait, c’est un peu de célébrer le premier amendement de la constitution américaine avec la liberté de presse. C’est une trêve entre les journalistes et la Maison-Blanche».

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En fait, notre experte Julie Dufort décrit le White House Correspondents’ Diner (que je vais abrévier en WHCD parce que je suis paresseux) ainsi: «C’est un souper-bénéfice organisé par la presse, et aujourd’hui c’est l’un des plus gros événements qui a lieu à Washington, ça dure plusieurs jours, il y a plusieurs partys qui sont organisés».

Et pourquoi faire un party, à part que c’est le fun, faire un party? «L’idée, en fait, c’est un peu de célébrer le premier amendement de la constitution américaine avec la liberté de presse. C’est une trêve entre les journalistes et la Maison-Blanche».

La fin de la trève

Sauf qu’évidemment, avec Donald Trump comme président, ça ne dure pas ben ben longtemps, des trêves.

Déjà, Donald Trump refuse de participer à ces soirées, et de se prêter au jeu du bien-cuit. On dirait quasiment qu’il est susceptible.

C’est très inhabituel, qu’un président ne participe pas à ces soirées: «Tous les présidents depuis Reagan sont allé à un WHCD dans les quatre années de leur présidence, et ils se sont tous prêtés au jeu du bien-cuit».

La dernière fois que la soirée n’avait pas été animée par des humoristes, c’était en 2003.

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Mais avec Trump, c’est différent. L’an dernier, l’humoriste Michelle Wolf avait fait un discours particulièrement incisif. Trump a fait ce que Trump fait, c’est-à-dire prendre d’assaut Twitter comme un dude saoûl qui vient de se faire rejeter par son kick.

Cette année, donc, les organisateurs de la soirée ont décidé de ne pas inviter un(e) humoriste, mais bien un historien, qui va venir faire une présentation. La soirée vient de prendre une drop comme on dit.

Comme le rappelle Julie Dufort, la dernière fois que la soirée n’avait pas été animée par des humoristes, c’était en 2003. La guerre en Irak venait de débuter, paraît que Bush avait pas tant envie de rire, on avait donc invité Ray Charles à présider la soirée.

Pourquoi ne pas inviter d’humoristes?

Je pose la question directement à Julie Dufort: est-ce que l’association des correspondants de la Maison-Blanche a vraiment décidé de ne pas inviter d’humoristes pour pas faire fâcher Trump?

Devenir président parce qu’on est fâché d’une joke, faut le faire quand même.#JérémyGabrielForPM

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«Je pense que oui, on peut faire un lien. Trump a une relation vraiment très particulière avec les WHCD. Il était allé dans des WHCD dans l’assistance avant d’être président, et en 2011, Obama avait fait un espèce de sketch où il riait de Donald Trump, qui demandait son certificat de naissance.

Certains ont dit que ça a tellement rendu furieux Trump que c’est une des raisons pour lesquelles il s’est présenté à la présidence en 2016.

Il a toujours eu un espèce de rapport vraiment ambigu avec l’humour et le WHCD.

Il y a encore ce rapport qui est très difficile entre les deux. Je pense que c’est une tentative des journalistes de ramener le président».

Devenir président parce qu’on est fâché d’une joke, faut le faire quand même.

#JérémyGabrielForPM

C’est-tu si grave que ça, que le président n’assiste pas au WHCD?

Mais sérieux, c’est-tu si grave que le président ne participe pas à ce souper? C’est toujours ben rien qu’un souper, non?

«Parmi les grands discours présidentiels, il y en a deux qui sont écoutés, fignolés et vraiment travaillés. Les discours du WHCD, qui sont humoristiques, et le discours de l’état de l’Union, qui a lieu une fois par année.»

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En fait, non. C’est au contraire une occasion importante pour le président de parler à ses électeurs: «Parmi les grands discours présidentiels, il y en a deux qui sont écoutés, fignolés et vraiment travaillés. Les discours du WHCD, qui sont humoristiques, et le discours de l’état de l’Union, qui a lieu une fois par année. Beaucoup de proches de la Maison-Blanche disent que ce sont les deux discours les plus importants».

Le problème, c’est que le discours de l’état de l’Union est de moins en moins écouté. Le WHCD devient donc une occasion en or: «C’était donc une façon de passer un message politique par un discours humoristique. C’était pas juste de faire de l’humour pour faire de l’humour. Il y a quand même des enjeux qui sont importants et qui sont traités de façon humoristique ET politique dans ces discours-là».

Les humoristes ont-il de l’influence?

Mais c’est pas un peu intense, de faire tout un cas de quelques blagounettes? Est-ce que les humoristes peuvent vraiment influencer la politique?

«Est-ce que les humoristes ont un impact politique? Il n’y a pas de doute là-dessus, surtout quand il y a des controverses.»

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Julie Dufort a une réponse (après tout, c’est l’objet de ses recherches universitaires): «Est-ce que les humoristes ont un impact politique? Il n’y a pas de doute là-dessus, surtout quand il y a des controverses. Ça crée des débats politiques sur ce qui est possible de dire ou pas en humour, et ces discussions publiques, elles ont un impact sur notre façon de voir les relations de pouvoir dans notre société.

Les émissions de fin de soirée, les américains et surtout les jeunes vont écouter ces émissions-là pour apprendre des choses sur la politique.

John Oliver, c’est quasiment du journalisme ce qu’il fait. Il y a une recherche, c’est pas juste de l’humour, c’est pas juste de reprendre une nouvelle».

Curieusement, les humoristes ont peut-être une position privilégiée pour traiter de l’actualité: «À l’ère Trump des ‘fake news’, c’est difficile pour les journalistes d’avoir une crédibilité. Alors comment on fait? Ben peut-être que par l’humour, il y a des messages qui peuvent passer plus facilement que par une forme de journalisme professionnel».

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Les humoristes, eux, n’ont pas à défendre cette crédibilité. Et comme les gens sont moins sur leurs gardes, le message passe peut-être mieux.

Des fois, c’est pas juste des jokes.