Depuis quelques années, on voit apparaître une multitude de films d’aventure mettant en scène des exploits repoussant les limites humaines. On n’a qu’à penser au long métrage Free Solo, qui a remporté l’Oscar du meilleur film documentaire en 2019, ou à des œuvres bien de chez nous comme Traversées et Hava.
À voir ces prouesses de haut vol déployées devant la caméra, une question demeure : comment ces crinqués et crinquées réussissent-ils à financer leur aventure? Pour avoir une idée du processus, on s’est entretenu avec Xavier Jourson, qui se prépare à sauter à pieds joints dans le triathlon le plus dur au monde, et Mylène Paquette, la première personne du continent américain à avoir réussi à traverser l’Atlantique en solo à la rame.
Sauter les yeux fermés dans l’eau glacée
Tout ça a commencé par un dare un peu arrosé à 3 h du matin avec un ami pour Xavier Jourson, ancien rugbyman reconverti en triathlète. « Il m’a parlé du Norseman, supposément le triathlon le plus difficile de la planète, qui se déroule entre les glaciers et les montagnes en Norvège. Je suis allé voir sur le site et le slogan This is not for you m’a tout de suite piqué au vif. Je me suis dit : not for me? Ok, c’est bon, je le fais », raconte le Français d’origine qui cherchait un défi sportif pour se dépasser à l’aube de ses 35 ans.
« Il y a également tout un côté sociétal derrière puisque je serai, à ce que je sache, le premier Noir à réaliser ce défi. J’aimerais donc briser les stéréotypes et encourager d’autres à suivre mes pas », confie Xavier Jourson, qui se fait suivre par une équipe de tournage afin de produire un documentaire sur son aventure.
«J’ai dû non seulement changer drastiquement mon alimentation et mon entrainement, mais j’ai même lâché mon emploi pour me consacrer à 100 % à mon projet.»
Ayant sculpté son corps selon les attributs physiques que demande le rugby pendant une douzaine d’années, Xavier Jourson a dû revoir du tout au tout son régime de vie pour arriver à ses fins. « J’ai dû non seulement changer drastiquement mon alimentation et mon entrainement, mais j’ai même lâché mon emploi pour me consacrer à 100 % à mon projet. J’ai donc assumé personnellement tous les coûts depuis le début de l’aventure au printemps 2020. »
Mis à part quelques conférences sur son projet, l’athlète n’a pratiquement eu aucun financement extérieur pour subvenir à ses besoins depuis environ un an et demi. « On parle de plus de 27 000 $ de dépenses. Heureusement, je peux compter sur des partenaires pour tout ce qui est du matériel d’entraînement… », se console Xavier Jourson.
L’athlète ne s’en cache pas, s’il ne réussit pas à amasser les 35 000 $ nécessaires à son aventure grâce à sa campagne de sociofinancement, il se peut que le rêve du Norseman s’évapore définitivement. « Je vis un mélange de stress, d’anxiété et de démotivation puisque je vois la fin de la campagne arrivée et qu’on est encore loin de l’objectif (seulement 5 % de la somme visée au moment d’écrire ces lignes). Cet argent me permettrait de survivre jusqu’à la compétition en août 2022. Si je n’arrive pas à amasser le montant, je n’ai aucune idée de ce que je vais faire. Je n’ai pas de plan B. S’il le faut vraiment, je me trouverai un emploi, mais ça me tuerait un petit peu en dedans d’avoir fait tous ces sacrifices pour rien. »
Ramer fort pour traverser les épreuves
Deux ans avant de devenir une aventurière connue du monde entier, Mylène Paquette fouillait parfois dans les poubelles de l’hôpital Sainte-Justine où elle travaillait comme préposée aux bénéficiaires afin d’y trouver des yogourts sur le point d’expirer, faute de pouvoir se payer une épicerie convenable. « J’étais épouvantablement endettée à cause de mon projet. Mes collègues infirmières me donnaient des plateaux inutilisés des patients pour m’aider parce qu’elles savaient que je ne mangeais pas à ma faim », raconte la femme qui a traversé l’Atlantique Nord à la rame en solo en 2013.
«Mes collègues infirmières me donnaient des plateaux inutilisés des patients pour m’aider parce qu’elles savaient que je ne mangeais pas à ma faim»
« J’ai commencé à interpeller des entreprises québécoises avant mon départ afin d’aller chercher du financement. Ça n’a pas pris beaucoup de temps avant que je comprenne que je devais avoir de l’aide de professionnels spécialisés là-dedans parce que c’était beaucoup plus complexe que je le croyais », confie l’aventurière et conférencière.
Un point majeur auquel Mylène Paquette ne s’attendait pas était l’ampleur des coûts que peut engendrer la recherche de financement. « On allait voir des entreprises à New York et Toronto pour les convaincre de nous appuyer. On essayait de les charmer en leur proposant des designs qui iraient sur le bateau et tout le tralala. Mais toutes ces étapes, on les payait chères », avoue l’aventurière, qui estime avoir dépensé plus de 25 000 $ seulement en recherche de financement. Au moment de larguer les amarres vers la France, elle avait amassé 21 000 $ provenant d’entreprises québécoises.
Si ce montant semble déjà salé, Mylène Paquette affirme que le coût total de son aventure outremer se chiffrait autour de 200 000 $.
Pour arriver à ses fins, la mère de bientôt deux enfants a dû faire preuve de beaucoup de créativité. « J’ai demandé des conseils à l’aventurier Frédéric Dion, qui m’a poussée à couper dans mon budget et à réduire les coûts, dit-elle. Ensuite, quelques entreprises m’ont avancé de l’argent, j’ai démarré une campagne de sociofinancement et je me suis tournée vers mes proches pour récolter quelques milliers de dollars. Le plus gros appui que j’ai reçu provenait cependant de Daniel Roch, un homme qui a été touché par mon histoire et qui a décidé de me prêter un gros montant. »
Grâce à l’intérêt médiatique qu’a suscité sa traversée, Mylène Paquette n’avait même pas encore mis le pied en France qu’elle était déjà sollicitée afin de donner une trentaine de conférences sur son expérience. « Mon équipe a vraiment été brillante. Elle a vu l’intérêt qu’on me portait et a exigé un dépôt chaque fois qu’une demande de conférence était faite afin de m’assurer d’avoir une rentrée d’argent à mon retour. »
Finalement, l’engouement fut tel que l’aventurière a été en mesure de rembourser tous ses prêteurs en une année à coups de 125 conférences et des revenus découlant de la publication d’un livre. Huit ans plus tard, elle donne d’ailleurs encore plus de 70 conférences par année dans des entreprises ou des écoles sur plusieurs thèmes entourant notamment la performance et la persévérance.
Si la conférencière et auteure avait un conseil à donner à une personne qui souhaite se lancer dans une telle aventure en ce qui a trait au financement, c’est de faire preuve de créativité. « Il faut toujours penser en termes de : qu’est-ce que je peux offrir en retour du don à ma communauté de supporteurs? Que ce soit un t-shirt personnalisé, un appel en visioconférence ou avoir son nom sur le suit de l’athlète, je crois qu’il est important d’inclure le donateur dans sa démarche. »
Conclusion : pour arriver à marquer l’histoire avec des exploits surhumains, ça prend des muscles, un moral d’acier, et une bonne dose de débrouillardise financière.