Logo

La fin des records sportifs

Un jour, peut-être plus vite qu’on le pense, on ne pourra plus courir plus rapidement, sauter plus haut ou lancer plus loin.

Par
Camille Dauphinais-Pelletier
Publicité

Tous les athlètes en rêvent : établir un nouveau record et passer à l’histoire. Ça ne s’est jamais fait en criant ciseaux… et ça pourrait bientôt devenir impossible, avancent certains experts pour qui on approche des limites du corps humain. À moins d’avoir recours à bien de la techno et à un peu de bidouillage génétique.

Entre 2005 et 2007, le Jamaïcain Asafa Powell a établi quatre fois le nouveau record mondial pour le 100 mètres, retranchant chaque fois quelques millièmes de seconde à son temps. Cent ans plus tôt, c’est à coup de secondes complètes que les sprinteurs battaient le record dans cette épreuve mythique. Oui, c’est en partie parce que pour les chronomètres de l’époque, mesurer les millisecondes était un défi encore plus grand que « faker » un sourire quand on termine quatrième dans une compétition pour laquelle on s’est entraîné toute sa vie. Mais c’est aussi parce qu’on améliore maintenant les records un poil à la fois.

Car même si la performance physique brute n’est pas le seul ingrédient dans la recette du record sportif, le corps humain reste l’outil de travail numéro un ; la machine à la source de tous les exploits. Et contrairement à l’iPhone, on n’en sort pas une version améliorée chaque année.

Résultat : l’âge d’or des records sportifs serait déjà derrière nous, selon des chercheurs de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport, en France. En analysant des données en athlétisme, en natation, en cyclisme, en patinage de vitesse et en haltérophilie collectées de 1896 à 2007, ils ont trouvé que le rythme auquel on établissait de nouvelles marques mondiales a plafonné en 1988.

D’après leurs calculs, certains records ne pourront plus être améliorés d’ici 2027.

Aussi bien dire demain.

PLUS ON EST DE FOUS…

Mais ne rangez pas le maïs soufflé trop vite. Cette étude est loin de faire l’unanimité, et beaucoup de facteurs font en sorte que les records continuent de tomber — comme la croissance de la population et l’augmentation du niveau de vie. « Plus il y a de gens qui font du sport, plus on a de chances de trouver des individus avec un bagage génétique et un parcours qui “fittent” bien avec une discipline en particulier, dans laquelle ils vont exceller », explique Jonathan Tremblay, professeur au Département de kinésiologie de l’Université de Montréal.

Avec plus de 7,5 milliards de personnes sur la planète, ne craignez rien pour les Jeux olympiques qui approchent : vous devriez avoir l’occasion de crier devant votre télé en regardant quelqu’un établir un record.

D’ailleurs, c’est aussi ce que souhaitent les organisateurs de Pyeongchang 2018.

« Les records, on en parle longtemps. C’est de la bonne publicité pour les villes hôtes. Elles tentent donc de maximiser leur nombre, avec des pistes de course à la surface ultrarapide ou des piscines qui minimisent les vagues, » dit Jonathan Tremblay

Ce genre de technologie a infiltré tous les aspects du sport d’élite, des méthodes d’entraînement à l’alimentation en passant par l’équipement (voyez « Cinq essentiels pour battre un record en 2018 » plus loin).

LE POUVOIR DES GÈNES

Qui dit record dit parfois « médicaments pour l’asthme » et autres EPO. « Avec ces substances, on joue dans une zone grise où la performance est biaisée. On pourrait dire que le corps n’a pas de limites pour ceux qui utilisent des produits dopants », estime Michel Portmann, professeur retraité en sciences de l’activité physique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et entraîneur.

Selon lui, les manipulations génétiques pourraient devenir les prochaines dopes. « Comment va-t-on s’y prendre ? Cela reste à déterminer, mais on n’en est pas si loin. Et là, les records vont s’améliorer sans problème », prédit-il.

« Comment va-t-on s’y prendre ? Cela reste à déterminer, mais on n’en est pas si loin. Et là, les records vont s’améliorer sans problème »

En effet, on tente depuis plusieurs années de comprendre pourquoi, par exemple, les Kenyans sont si performants en course de fond et les Jamaïcains en sprint. Les chercheurs s’intéressent entre autres au gène ACTN3, dont une variation favoriserait l’endurance et une autre, la puissance et la vitesse.

Mais on est encore loin de pouvoir utiliser le profilage génétique pour identifier les champions de demain, croit Jonathan Tremblay — et ce, malgré les promesses de certaines entreprises peu scrupuleuses. « Pour le moment, c’est surtout du marketing. La performance, c’est très complexe ; c’est multigénique. »

UN CYBORG SUR LE PODIUM

Cela n’empêche pas Michel Portmann d’imaginer, avec un gros pincement au cœur, des athlètes génétiquement modifiés « quasiment mutants ». « Ce n’est pas ça, le sport. L’argent l’a déjà assez corrompu avec le dopage et l’obsession du gain pécuniaire », regrette-t-il.

En 2012, l’enfant américain le plus rapide dans la catégorie des 8 ans a couru le 100 mètres en 13,46 secondes

Même sans l’aide de la génétique, l’avenir nous réserve peut-être encore de belles performances. En 2012, l’enfant américain le plus rapide dans la catégorie des 8 ans a couru le 100 mètres en 13,46 secondes. Un temps qui lui aurait valu une médaille de bronze aux Jeux de 1896, à Athènes ! La génération à laquelle il appartient vit sa puberté et n’a pas encore montré de quoi elle était capable avec un corps développé. Elle pourrait nous surprendre.

Michel Portmann s’y connaît en matière de records. Avant de se consacrer à l’enseignement et à l’entraînement, il a lui-même battu à trois reprises le record suisse de saut en hauteur en atteignant la barre du 2,15 m (le record mondial de 2,45 m date de 1993). Il a représenté son pays d’origine aux Jeux olympiques de Mexico, en 1968. « Je n’ai pas réussi à me qualifier pour la finale en raison d’une blessure, mais j’en garde un des plus beaux souvenirs de ma vie », dit-il.

Publicité

CINQ ESSENTIELS POUR BATTRE UN RECORD EN 2018

1. LE MEILLEUR ÉQUIPEMENT

Battre un record avec de l’équipement moyen, c’est comme tenter de remporter une course de vélo en Bixi : peine perdue. Pour gagner, un athlète doit avoir un arsenal à la fine pointe.

« Les chaussures pour les sprinteurs sont faites pour empêcher le pied de s’écraser au sol, ce qui évite de perdre des centièmes de seconde », illustre Michel Portmann, professeur retraité en sciences de l’activité physique à l’UQAM. C’est sans oublier l’exemple du « maillot le plus rapide du monde », le LZR Racer, mis au point par Speedo en 2008. Cette année-là, les nageurs qui le portaient ont établi 62 nouveaux records mondiaux, dont 24 pendant les Jeux olympiques de Beijing. Certaines variantes du maillot ont d’ailleurs été bannies depuis, après avoir été considérées comme du dopage technologique.

2. UNE ÉQUIPE DE FEU

Quand Usain Bolt établit un nouveau record, c’est son nom qui passe à l’histoire. Mais, dans les coulisses, ils sont une méchante « gang » à y avoir contribué. Le sprinteur jamaïcain a évidemment un entraîneur (Glen Mills, qu’il surnomme affectueusement son « gourou »), mais aussi un coach de force physique, le « meilleur médecin du monde », un expert en technique de course, un chef et un massothérapeute, sans oublier un gérant, un gérant exécutif, une agente et un relationniste. Comme quoi même les épreuves individuelles sont une affaire d’équipe.

3. LE BON CORPS POUR LE BON SPORT

Un athlète qui choisit un sport adapté à sa morphologie part avec une petite longueur d’avance. Parlez-en à Michael Phelps, qui semble avoir été conçu sur mesure pour nager le papillon (et qui a 28 médailles olympiques pour le prouver).

En Chine, où le programme olympique créé dans les années 1970 est inspiré du modèle soviétique, les dépisteurs assignent un sport aux athlètes en devenir selon leur physique : les plus flexibles sont envoyés en gymnastique ; ceux avec les bras courts, en haltérophilie ; les épaules fortes, au tir à l’arc ; etc. Les médailles sont au rendez-vous, mais avec ses méthodes rudes, le programme s’attire son lot de critiques.

4. DE L’IMAGINATION

S’entraîner tous les jours au bobsleigh ou au ski alpin pose quelques défis logistiques. On a beau être un pays nordique, c’est quand même pas l’hiver à l’année ! Grâce à des simulateurs, les athlètes peuvent recréer un environnement de course dans le confort de leur centre de conditionnement physique, à condition de se laisser porter un peu par leur imagination. En prévision des Jeux de Sotchi, les athlètes canadiens ont ainsi pu simuler les pistes de ski de fond russes avec un écran, des skis à roulettes et un large tapis roulant. C’est moins bucolique qu’une sortie dans le bois, mais ça fait la job.

5. UN PEU DE CHANCE

Même l’athlète le mieux préparé ne lève pas le nez sur un coup de chance, comme une météo favorable. « En 1968, aux Jeux de Mexico, avec l’altitude et le vent de deux mètres par seconde qui soufflait dans le dos des athlètes (la limite maximale permise pour que les records soient valides), le record du monde de triple saut a été battu neuf fois dans la même journée », se souvient Michel Portmann.