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C’est un samedi matin de la mi-août, je viens d’atterrir à Los Angeles où je passerai le weekend à couvrir un junket de cinéma, pour mon journal. Je partage une navette d’hôtel avec une demi-douzaine de touristes qui, à travers la fenêtre du véhicule, observent intrigués et inquiets l’horizon enveloppé de smog. La fille à ma gauche, elle, a les yeux rivés sur son iPhone. Piquée de curiosité, peut-être, par mon accent québécois, elle émerge de la zone d’Instagram et engage avec moi la conversation, me dit qu’elle réside entre la Floride et New York.
Je lui confie mes plans de m’installer dans la Grosse Pomme, en septembre, lui dit que j’ai peut-être trouvé un bon plan dans Harlem: une grande chambre dans un “brownstone”, dont le loyer mensuel ne va pas me saigner à blanc.
“Harlem, oui! C’est là où j’habite, tu vas adorer les restos sur St.Nicholas et Lennox Avenue. C’est vraiment le meilleur quartier de New York en ce moment!
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Avec comme seuls guides, la recommandation de cette jeune actrice/mannequin/cinéaste et le sens de la persuasion de Doug, mon futur proprio, je m’installe quelques semaines plus tard au troisième étage d’une maison de la 153e rue, avec vue sur le cimetière Trinity. J’ai comme voisins Asma, une médecin d’origine iranienne qui travaille dans le Bronx, une famille élargie d’origine dominicaine qui, chaque samedi soir, installe les haut-parleurs sur le trottoir et une église hispanique, St.Catherine Genoa, où la messe est prononcée en anglais, en espagnol et en créole haïtien.
Juste une sortie au dépanneur pour acheter un litre de lait procure parfois une dose minute de groove.
Dans mon nouveau quartier, il n’y a pas encore de Whole Foods. On fait l’épicerie chez C-Town, où chez les commerçants dominicains, où les choux-fleurs ne sont pas bios, mais ne vous dérobent pas non plus de 4,99$ US.
Les cafés “fourth wave”, les bars à cocktails font quand même leur nid, sur Broadway et St.Nicolas, de même que le brunch dominical, et je ne vais pas m’en plaindre. Mais en marchant devant les salons de coiffure qui tressent les cheveux africains, en évitant de peu les petits gars noirs qui foncent dans le vide en skateboard entre les piétons, en choisissant ses légumes au son de la musique latino dans le tapis à l’épicerie, je me dis que je suis arrivée à temps et que l’esprit d’Harlem n’a pas encore déserté le party.
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Comme tous les nouveaux arrivants à New York qui ne sont pas parents avec Charles Saatchi ou Donald Trump, j’ai un coloc. Le mien, David, est un banquier de 24 ans né aux USA, qui a grandi à Québec, “of all places”, et a vécu à Paris et Singapour. À la maison, la langue d’usage est le français, ce qui n’a rien de très exotique dans le New York de 2015, qui a déroulé le tapis rouge de son Madison Square Garden à Stromae, en octobre dernier.
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Harlem, donc, “is having a moment”, me confirme Nicky, une maquilleuse d’origine jamaïcaine coiffée d’un mohawk violet et d’une longue tresse assortie, qui accepte de me parler du quartier où elle a grandi dans une pharmacie suréclairée aux néons de la 125e rue, à deux pas du mythique Apollo Theatre. “Je trouve ça cool, l’ouverture culturelle de Harlem”, me dit la jeune femme de 28 ans, qui aime passer ses vendredis soirs au Harlem Tavern, bar jeune et sympa emblématique de l’embourgeoisement du quartier.
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Mon coloc David et moi sommes allés au Apollo jeudi dernier, le pilier culturel de Harlem, l’épicentre de la culture afro-américaine, là où se sont produit les Ella Fitzgerald, Louis Armstrong, les Jacksons Five, Richard Prior, Jay Z.
Le soir de notre visite, c’était “Comedy Night” et la blague récurrente des stand-ups qui ont défilé sur la scène, était l’embourgeoisement “blanc” de Harlem. “Harlem is WHITE now!”, a lâché Smokie Suarez le MC de la soirée, un humoriste intense à la voix qui grésille. Suarez s’est bien amusé à se payer la tête d’un spectateur blanc distrait par son téléphone. “C’est ça que ça donne, l’embourgeoisement de Harlem! Des Blancs qui, plutôt que d’apprécier un lieu légendaire où Ella Fitzgerald et Louis Armstrong se sont produits, préfèrent avoir leur nez dans Facebook.”
Quelques minutes plus tard, un autre humoriste de Harlem, Omar Thompson, renchérit avec des clins d’oeil sur les prix des logements qui montent en flèche, dans son quartier. “Quand le crime décline, l’immobilier monte en flèche… Il est temps de ramener le crack dans la communauté!”, a-t-il ironisé.
“Qu’arrivera-t-il d’Harlem, quand le quartier deviendra Blanc?”, demandait le Guardian, en mai dernier, en référence à l’embourgeoisement de Harlem avec l’arrivée de restos branchés comme le Red Rooster, nouvelle institution du célèbre chef Marcus Samuelsson qui fait courir les foules.
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Avec le facteur “cool” et la commodification de la culture noire, les prix des loyers augmentent pendant que les revenus moyens stagnent, exprime l’auteur de cet article, qui relevait que le prix moyen mensuel d’un appartement était 2400$ et le revenu moyen par habitant, 21 000$. Et c’est inévitable: Whole Foods s’apprête à élire domicile, sur la 125e rue.
Comme touriste new-yorkaise “pré septembre 2015”, je m’étais rarement aventurée au nord de Central Park. Harlem, pour moi, ça sonnait ghetto, peu fréquentable pour la jeune femme blanche que je suis. Non, mais qu’est-ce que j’irais bien faire, moi, la Québécoise, dans une scène d’un film de Spike Lee? Le cinéaste new-yorkais, cela étant dit, s’est prononcé contre les effets pervers de l’embourgeoisement, sur la population locale.
Deux mois plus tard, je me dis que je ne voudrais pas vivre ailleurs à New York, même comme fille seule.
J’avoue avoir quand même un peu la trouille, quand j’entends dire à la fin du mois dernier qu’un policier a été abattu dans une station de métro à quelques coins de rue de chez moi, ou quand je rentre à pied à la maison, après minuit. Mais plus que les restos à la mode et les cafés fourth wave, j’aime l’esprit de communauté de Harlem, la musique sur les trottoirs, le melting pot, le boss dominicain du dépanneur du coin, qui m’a chaleureusement accueilli avec un “Welcome to the neighbourhood”.
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J’ai franchement l’impression d’être arrivée ici juste à temps.
Harlem “is having a moment”. Et je me réjouis de vivre ici, pendant sa seconde Renaissance.
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