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Fille n’est pas un gâteau

Par
Véronique Grenier
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Nowel dernier. Fille a été revêtue, par kekun d’autre que moi, de keke chose qui portait le nom de « c’t’une surprise ». C’tait framboise et noir. Tulle. Satin. Velours. Des brillants. Pas legit pantoute. Ça faisait mal. Yeux qui saignent mal. Ça venait avec des souliers luisants. De l’ostentatoire en veux-tu en v’là.

Sa face quand elle l’a vue.
La mienne quand je les ai vues, mixées ensemble.
[vomi dedans ma bouche]

Pourtant « le code » était – et est – clair. Fille n’est pas un gâteau, une affaire à crémager, à bonboner, à ceriser. Et comme elle semble le croire, un peu, on n’encourage pas, on dissuade même. Pas trop de rose, ni trop de « tu es belle », ni d’encouragements à la potiche, à la pose, aux comportements de poupée. Pis « trop » est le mot clé, ici. N’empêche, ça semble passer de travers dans la gorge du comportement moyen parce que ça l’a généré malaises, frustrations et arguments de marde :

« Tu vas en faire une lesbienne » [Dafuq.] « Tu vas en faire un gars. » [Dafuq (bis).] « Ben, là. » [Ben t’sais.] « Elle aime ça, a se trouve belle. » [Et? Elle a aimé faire de la peinture avec son popo, aussi.] « Tu penses pas que t’exagères un peu là? » [Naon.]

Répondre aux arguments de marde, entre deux gorgées de vin, c’pas évident. Je ne suis pas une experte en gender studies. Mais bon, j’ai lu des zaffaires, j’assiste à des zaffaires. Je fais des liens. Pis l’intuition forte qui me sort du ventre, c’est que ces petites choses que sont le rose en abondance, les Barbies pis toute ne sont pas inoffensives, candides, dodeline-de-la-tête-et-bat-des-cils-pas-dangereuse. Tout ça est porteur d’une réelle violence qu’on occulte parce qu’enrobée de sucre. Pourtant elle opère. Dans l’internalisation, la répétition, une empreinte dans les yeux qui laisse indéniablement des traces plein le corps, plein les idées, plein la petite personne.

C’est freakant. Son rapport au manger, à ladite petite personne, à ce qu’elle osera ou pas faire de sa vie, son regard sur elle-même, ses possibles, tout ça, ça se joue, en partie, drette maintenant. À deux ans et demie. Alarmiste? J’aimerais quasiment ça. Sauf que le réel, ce qu’il me démontre, c’est que, ô évidence, ce à quoi elle est exposée maintenant et depuis qu’elle existe déterminera en partie tout ça. Et que cet être-fille [au même titre qu’il existe un être-dude avec des devoir-être qui ont aussi leur part de complexe] auquel je devrais la soumettre, y me rend inconfortable. Parce qu’il risque notamment de l’amener à se poser des questions que j’aimerais en ta’ qu’elle ne se pose jamais : si elle devrait faire augmenter la taille de ses seins, si son vage est alright-assez-rose-tight-odeur-de-frais-name-it-yeux-en-l’air, si l’espace entre ses cuisses lui permet de manger du gâteau ou pas. Je voudrais juste qu’elle s’en calice, que ça ne lui effleure même pas l’idée.

Pis le fun du parental, il est justement pile ici.
C’est que je suis aussi au courant que nous vivons en société. Je ne peux pas l’exclure du monde dans lequel elle vit. Pis je ne veux pas ça non plus. Le shack dans le fond du bois, ermite pis toute. Bin kin. Nous passons nos vies dans le regard des autres. Bien que l’on souhaite souvent en faire abstraction, on ne peut être que pour soi. L’autre, il est là, il nous regarde et une part de soi se définit par ce regard.

En plus, évidemment que je veux qu’elle soit jolie, fière de sa personne pis toute. Le joli du dehors comme le joli du dedans, ça malheureusement compte qu’on aime le reconnaître ou pas. Je n’ai rien contre le beau. C’est facile de varger dans les diktats, les attentes. Je suis la première à le faire. Avec de bonnes raisons. Ceux et celles qui s’en extraient complètement ont toute mon admiration. Je n’en serais pas capable. J’ai un amour viscéral des talons qui claquent, des sacoches qui matchent. Et je porte cette contradiction avec tout le poids qui vient avec le fait de la voir ladite contradiction et de ne pouvoir m’y soustraire.

Sauf que. Je produis de l’humain, là. Et c’est davantage comme tel que je souhaite qu’elle se définisse et se reconnaisse. A priori. Me semble que la notion même d’égalité ne doit pas passer par une insistance sur ce qui différencie et distingue, mais bien sur ce qui unit les individus entre eux. Je cherche donc à tempérer, à limiter l’exposition à ce qui me semble nocif, le plus que je peux, pendant que je le peux.

Je me donne donc un droit de veto pour éviter que Fille ne devienne une caricature de l’être-fille. Je limite la panoplie, tempère ses envies de too-much-rose, l’aide à déconstruire sa croyance manifeste qu’elle est un gâteau full cremage avec spinkle de bonbons pis toute. Ses oreilles ne sont pas percées, a ferait un mini-miss over my dead body only. Des détails de l’existence, j’me dis. Mais j’y tiens.

Fa’que devenir femme dans le contexte qui est le nôtre. Gérer des tensions pas harmoniques, des contradictions, des incohérences. Si elle le peut, elle les balancera au bout de ses bras. Elle fera sans doute comme je fais, les embrasser, les contenir, tenter de concilier. Je lui souhaite [j’en ferais une demande à l’Univers si je croyais que ça fonctionne] d’être minimalement capable de se dire « fuck le patriarcat », surtout si elle le fait du haut de ses talons qui claquent.

Fille n’est pas un objet de révolution. Mais si elle porte la conscience de son objectification, j’me dis que ça me suffira. Auto-tapote su mon épaule maternelle.

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