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Fidèles au poste, dans l’ombre

Les petites radios ont aussi une rentrée, même si elles n'ont pas de posters dans les abribus.

Par
Hugo Meunier
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« On éduque les nouveaux arrivants sur les lois canadiennes. Par exemple, on parle en onde du fait qu’ici un homme ne peut pas frapper sa femme. Plusieurs auditrices ont appelé pour nous remercier. »

Au bout du fil, le PDG de la station CHOU 1450AM décrit une réalité à première vue surréaliste, mais bien réelle, alors qu’on lui demande le genre de sujets abordés au fil des émissions.

Pourquoi ce coup de téléphone? C’est qu’à l’heure où les grandes radios traditionnelles et commerciales claironnent en grande pompe leur programmation, on a tendu la main à quelques radios alternatives se trouvant dans l’angle mort du party de la rentrée.

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C’est le cas de CHOU 1450AM, pourtant en ondes depuis près d’un quart de siècle. « On a un auditoire qui surpasse certaines stations de la chaîne FM », lance d’emblée Tony Karam, qui calcule rejoindre environ 500 000 auditeurs à travers le pays. La station, qui a pignon sur rue dans le quartier Ahuntsic, s’adresse notamment à la diaspora de plusieurs pays maghrébins habitant Montréal. Les émissions se déroulent en arabe à 100%, sauf pendant les segments d’entrevues avec des personnalités locales. « Faut considérer que c’est une radio canadienne en langue arabe. 95% de nos nouvelles sont locales pour informer les gens de ce qui se passe ici. On considère que les gens ont choisi de venir vivre ici. S’ils veulent des nouvelles de leur pays d’origine, il y a les canaux satellites », souligne M. Karam, dont la station embauche 27 employés à temps plein.

«Le visage de la grande région de Montréal change d’année en année, il faut s’adapter à la nouvelle réalité.»

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Il ajoute que la politique occupe une place importante sur leurs ondes, en plus d’un large volet éducatif destiné aux nouveaux arrivants. « Chaque émission comporte des lignes ouvertes, qui ne dérougissent jamais. À nos débuts, les gens étaient encore attachés à leur pays et ne voulaient rien savoir de la politique canadienne. Même chose pour le hockey. Mais là, dès qu’on parle des Canadiens tout le monde a une opinion », raconte Tony Karam, ajoutant que ses auditeurs sont aujourd’hui des immigrants de deuxième ou troisième génération. « Le visage de la grande région de Montréal change d’année en année, il faut s’adapter à la nouvelle réalité. Mes enfants sont nés ici et ne connaissent le Liban que pour les vacances. Écouter une radio dans leur langue d’origine aide à maintenir un sentiment d’appartenance », croit M. Karam.

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Pas d’angle mort

« Aucun angle ne doit rester mort. On se concentre sur les minorités et on veut les amener à s’exprimer sur toutes sortes d’enjeux.»

Se décrivant comme « la radio ethnoculturelle francophone de Montréal », la chaîne CPAM1410AM vise un retour à la normale cet automne, après le tumulte des derniers mois. « On va entre autres revenir avec l’émission Face à Face [NDLR une émission d’opinion populaire qui avait été retirée de la grille durant la COVID] et je vais pour ma part continuer Billet de retour pour faire évoluer l’actualité », annonce l’animateur et PDG de la station Jean-Ernest Pierre, qui s’engage à continuer d’exploiter des angles différents des chaînes traditionnelles. « Aucun angle ne doit rester mort. On se concentre sur les minorités et on veut les amener à s’exprimer sur toutes sortes d’enjeux. Tout ce qui touche la communauté noire nous touche », résume M, Pierre, qui voit sa station comme un contrepoids dans le paysage radiophonique.

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Évidemment les enjeux concernant Haïti – le pays d’origine d’une large proportion de l’auditoire – sont parmi les plus populaires. « Mais il ne faut pas croire que les sujets locaux de les intéressent pas. On a tendance à croire qu’on est citoyens à part, mais c’est faux », assure le patron de la station, qui compte une dizaine d’employés et plusieurs bénévoles.

Bon 40e CIBL!

Maintenue en vie depuis quelques années par les efforts bénévoles, la station CIBL axera la saison qui s’amorce autour de son quarantième anniversaire. « On est en redressement depuis la crise de 2018 (tous les employés avaient été mis à pied), c’est mon mandat et on est dans la bonne voie », souligne, confiante, la chargée de projets Aurélie Bédard. Première gestionnaire en poste depuis la crise, elle est épaulée dans cette tâche par ses collègues, dont l’animateur Chad Damord. « On part de loin, mais on voit la lumière au bout du tunnel », se réjouit ce dernier, saluant la fidélité du public et la solidarité des autres joueurs de l’industrie, qui n’ont jamais abandonné la station radio communautaire montréalaise quadragénaire.

«On veut toucher tous les styles et c’est très important pour nous de donner la voix à des artistes émergents, encore plus en temps de COVID.»

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La programmation consacrera à nouveau un large espace à la musique émergente d’ici, en plus des émissions populaires telles que Rajotte, Culture Rock et On s’en rap. « On veut toucher tous les styles et c’est très important pour nous de donner la voix à des artistes émergents, encore plus en temps de COVID », souligne Aurélie, qui consacrera aussi une plus grande place aux enjeux de la diversité et féministes.

Bonne nouvelle: le 40e anniversaire sera l’occasion de raconter l’histoire de la station à travers ses émissions phares comme celle de Rock et Belles oreilles.

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CISM et CHOQ: les irréductibles

Si les étudiants universitaires reprennent leurs cours à distance, CISM et CHOQ seront de retour en studio, fidèles au poste pour la rentrée. « On est revenus samedi, après cinq mois. Les 80 émissions se faisaient à distance. C’est un miracle d’avoir maintenu une programmation quasi normale », s’enorgueillit Éloi Mayano-Vinet, directeur-général à CISM, la station officielle de l’Université de Montréal.

Durant la pandémie, les émissions étaient préenregistrées, ce qui a demandé des efforts logistiques considérables, ajoute Éloi, bien heureux de ramener ses troupes en studio.

«On est revenus samedi, après cinq mois. Les 80 émissions se faisaient à distance.»

Évidemment, quelques ajustements sont à prévoir. « Nos gros shows seront là, mais les invités seront reçus au téléphone. On a aussi mis des plexiglas, du saran wrap sur les claviers communs et des flèches pour la circulation. Le port du masque est obligatoire partout, sauf devant le micro bien sûr », énumère-t-il.

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CISM soulignera ses 30 ans (déjà!) en mars prochain, une belle occasion de réaffirmer haut et fort son existence, assure Éloi. « On aura plusieurs nouveaux shows, mais aussi nos émissions classiques », résume-t-il, mentionnant au passage Les criquets crinqués, Les Charlottes, Va chercher le fusil!, Café noir, On prend toujours un micro pour la vie etc.

Crédit: Paul Pointet

À 6,7 kilomètres de là, à l’UQAM, le studio de CHOQ se prépare aussi à accueillir de nouveau ses six employés et 120 bénévoles, qui donneront vie à la soixantaine d’émissions prévues dans leur grille d’automne. « On aura accès au studio après la fête du Travail. On a hâte, ça fait six mois qu’on ne s’est pas vus, sauf par zoom », explique le DG de la station William Maurer, qui a aussi réussi l’exploit de maintenir une programmation en ondes pendant la pandémie. « On est en période de recrutement d’émissions. COVID oblige, on va encourager le préenregistrement et le podcast. On sera plus un diffuseur qu’un producteur », résume William, qui dit avoir déjà reçu plusieurs propositions. « Notre musique sera plus diversifiée, en plus d’accorder plus de places aux femmes et à la diversité », ajoute Will, qui travaille déjà avec une association spécialisée en représentation de la diversité. « On trouvait ça hypocrite de juste faire un statement. On a décidé de poser des actions concrètes. »

«Nos chiffres sont aussi bons qu’avant. On se rend compte qu’on est importants pour la scène émergente.»

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Comme à CISM, il n’y aura pas d’invité en studio pour l’instant et des formations sont offertes pour épauler les bénévoles qui travaillent à distance dans leurs défis techniques. « Nos chiffres sont aussi bons qu’avant. On se rend compte qu’on est importants pour la scène émergente. Le but quand on écoute CHOQ, c’est de ne pas entendre des choses qui ont plus de six mois », résume William Maurer.

Morale de l’histoire, au lieu de fermer la radio en entendant une blague salace au Clan MacLeod, un débat trop woke pour vous à Ici Première ou un jingle aliénant au 98,5 (quel festin et toute une ambiance…), allez faire un tour sur ces stations qui travaillent d’arrache-pied dans l’ombre, loin des campagnes publicitaires d’abribus.