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Fidel Castro: des cendres d’Histoire

Par
Pascal Henrard
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Juste avant de décoller, vendredi, j’ai lu, dans un journal qui appauvrit l’esprit critique et salit les doigts, le billet sans nuances d’une chroniqueuse qui carbure aux mojitos. La sociologue de papier racontait La Havane et les Cubains à travers son filtre cacapitaliste, en se moquant de la gaugauche à grands coups de cliclichés. La mort de Fidel Castro est une occasion en or pour les chroniqueurs de tous les horizons d’étaler pour une énième fois leur opinion noire ou blanche, gauche ou droite, pro-ceci ou anti-cela.

Mon intention n’est pas ici de refaire l’histoire, mais plutôt de la vivre. Les funérailles de Fidel Castro dépassent en effet la douleur du peuple cubain. C’est un événement historique à vivre en direct comme la chute du mur de Berlin, la fin de l’apartheid ou l’élection d’un clown à la Maison-Blanche.

Fidel Castro est la dernière figure marquante d’une époque qui disparaît. Aujourd’hui, les dictateurs ont une stature beaucoup plus télégénique qu’à l’âge du kaki. Et l’asservissement des peuples a désormais des accents de mondialisation, quand il n’a pas tout simplement le visage maquillé de la surconsommation.

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C’est sur un coup de tête que j’ai pris l’avion à l’aube pour rejoindre mon ami Étienne Savignac sur la perle des Caraïbes. C’est un habitué de Cuba. Avec lui, je savais qu’on sortirait des sentiers tout inclus.

La route est longue pour arriver à Santiago, où avait lieu samedi soir le dernier grand rassemblement avec les dignitaires et les personnalités.

Escale à Toronto. Vol pour Holguin. À peine sortis de l’aéroport, avec mon ami photographe David, on croise par hasard les prémisses du cortège funèbre. Ce n’était pas prévu à notre programme. Le voyage commence fort.
Castro

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TOUT UN PEUPLE “FIDEL”

Des centaines de personnes massées le long de la route en pleine campagne. Des pancartes en l’honneur du lider maximo. Des haut-parleurs qui déversent des discours. Des drapeaux. Des dames qui offrent des jus aux militaires. Des enfants en uniforme qui rient en groupes. Des chiens sans domicile fixe. Des photos et des tableaux du défunt.

Les cendres de Fidel traversent l’île de La Havane à Santiago dans une urne juchée sur une remorque, tirée par une jeep militaire.

Si j’en juge par le bout de route où nous nous sommes arrêtés, son peuple qui scande « Yo soy Fidel » était fidèle au rendez-vous.

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Nous avons attendu 2 h 1/2 avec la foule joyeuse et colorée. Les écoliers patients sous le soleil s’amusaient comme tous les enfants du monde, en se tiraillant, en riant, en chantant. Les militaires mélangés à la population essayaient de tuer le temps. Une dame est venue nous parler. Elle nous a offert l’hospitalité de sa salle de bain et de quoi nous rafraîchir. C’est avec émotion et fierté qu’elle m’a parlé de Fidel Castro. Mon espagnol de base ne m’a malheureusement pas permis de tout comprendre. Mais elle mettait du cœur à m’expliquer qu’en 1959, il était passé par ici pour faire la révolution et que c’est lui qui lui avait donné sa maison. Elle s’est arrêtée de parler. La caravane arrivait enfin, escortée d’un hélicoptère russe un peu déglingué qui faisait des circonvolutions sous les vivats de la foule. Une voiture de police, une poignée de motards, un fourgon cellulaire, un camion militaire, une Hyundai, deux motards, une camionnette remplie de soldats endormis, la jeep avec la fameuse remorque et l’urne, une Lada, un autobus, un autre camion militaire, une camionnette remplie de journalistes officiels, une jeep encore, deux camionnettes, une ambulance, un autre motard.

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Le tout a duré deux minutes. Peut-être trois. On aurait cru la caravane du tour de France sans les pubs de saucisson et les filles en maillot.

Ça ne faisait même pas 3 heures que nous étions arrivés à Cuba et nous avions déjà croisé le chemin de l’Histoire.

La dame à côté de moi a essuyé une larme. La foule a vidé les lieux en silence. De vieilles autos américaines et des autobus russes d’un autre temps se frayaient un passage au milieu des gens. Le taxi à qui nous avions donné rendez-vous en sortant de l’aéroport était là. La nuit tombait quand nous sommes arrivés à Holguin.

SUR LES TRACES DE FIDEL

Le lendemain, il a fallu négocier un taxi pour Santiago. 150 km. 80 $. Maikel nous a donné rendez-vous à 11 h pour éviter le chaos du cortège qui nous précédait. Pendant tout le trajet, alors que David somnolait, notre chauffeur m’a donné un cours d’histoire de la révolution et un résumé géopolitique des dernières décennies.

Sur l’autoroute avant d’arriver à Santiago, il y avait si peu d’autos que je me demandais comment les chiens faisaient pour se faire écraser.

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Étienne Savignac nous attendait au bar de l’hôtel où nos chambres avaient été over-bookées, à cause des équipes de télé venues couvrir l’événement. Mais les petits désagréments font partie de l’aventure.

Santiago semblait vivre normalement. Ou presque. Pas de musique derrière les volets à cause du deuil national obligatoire, pas de bar ouvert, pas d’alcool dans les frigos sauf pour les touristes dans les hôtels. Nous avons traversé une ville normale, mais silencieuse. Sans plus de policiers qu’à Montréal un jour de cônes orange.

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RENDEZ-VOUS PLACE DE LA RÉVOLUTION

L’ambiance avant la cérémonie était bon enfant. Des gens qui chantent « Yo soy Fidel! » La place de la Révolution qui se remplit. 1 million de personnes selon la télé cubaine, 100 000 à vue de nez d’après mon expérience.

Des drapeaux qui s’agitent. Des cris de ralliement. On pourrait se croire un soir de finale du Mundial. Le peuple n’est visiblement pas éploré. Hasta la victoria siempre! Il n’est pas non plus opprimé. Les dignitaires arrivent au pied de l’immense statue en l’honneur d’Antonio Maceo, héros de la lutte pour l’indépendance. Pas de signe de Justin Trudeau. Fidel Castro était pourtant allé aux funérailles de son papa. Des tas de chefs d’État sont là. Un journaliste de RTL croisé par hasard nous glisse à l’oreille que Ségolène Royale est présente. Les haut-parleurs officiels n’en ont pas fait mention.

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« Le monde est une grande famille », me dit une dame en me donnant un drapeau de Cuba. Quelle belle philosophie! Je me demande si dans d’autres grands rassemblements à travers le monde on entend ce genre de choses. Je repense à l’élection américaine où j’étais il y a moins d’un mois.

Les obsèques de Castro pour les Cubains, c’est un peu comme les funérailles de René Angélil ou de Maurice Richard pour les Québécois. C’est big. Ça dure 9 jours. La population participe en masse. Et les discours n’en finissent plus.

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Après des syndicalistes, des présidents de sections locales, un militaire, un représentant des étudiants, Raoul Castro a terminé par un discours trop long où sa voix chancelante nous faisait craindre le pire pour sa santé. « On va peut-être avoir droit à un 2 pour 1 » a ironisé Savignac. Mais vite, le respect est revenu. Et nous avons écouté Raoul jusqu’au bout. Même si ça faisait mal aux pieds. À nos côtés, RTL tentait de capter des bribes d’ambiance.

Ça s’est terminé en chanson. Le peuple entonnait en chœur « Viva la revolución ».

Et puis la Place s’est vidée. La foule est rentrée chez elle. Tranquillement. En attendant impatiemment lundi, que la vie reprenne, que la musique rejoue dans les foyers et que le rhum ressorte sur les tables.

DERNIER HOMMAGE

Dimanche le réveil a sonné à 5 h 30. Nous voulions aller au cimetière. Voir le dernier voyage. Tourner définitivement la page. Nous avons traversé Santiago endormie. Derrière la gare, après une zone industrielle, dans un petit quartier pauvre coincé entre la voie ferrée et le port, une foule compacte massée le long de la route qui mène au cimetière Santa Ifigenia, où se trouve déjà José Marti, le héros national. Nous sommes arrivés en même temps que le convoi avec les cendres de Fidel. Cette fois la foule est beaucoup plus silencieuse. Pas un cri au passage de l’urne. Un silence respectueux. On croise une vieille connaissance. RTL est là avec BFM. « Ça valait la peine d’avoir une carte de presse pour voir ce que les touristes comme nous peuvent vivre », me dis-je.

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21 coups de canon déchirent le silence. Au loin une fanfare. Un service d’ordre composé de fier-à-bras en civil empêche la foule docile de passer. C’est fini. Il ne reste que quelques centaines d’aficionados. Et une poignée de journalistes. Cinq Russes du parti communiste habillés en caricatures de mafieux endimanchés brandissent un drapeau CCCP. Nous les retrouverons plus tard à l’hôtel où ils enfileront des bières au petit déjeuner.

Santiago retrouve son rythme nonchalant qui n’attend rien. Demain, las tavernas vont rouvrir, on pourra à nouveau danser la salsa. Demain, on reprend l’avion pour Montréal.

Pour lire un autre texte du voyageur Pascal Henrard, lorsqu’il était en roadtrip à travers l’Europe: « Zone de guerre #eurotrip2CV ».

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