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C’est la fête du Canada et moi qui profite chaque année de l’occasion pour ne pas fêter le Canada, mais plutôt me prélasser dans ma piscine en lisant le dernier Joël Dicker, je me demande : coudonc, qui célèbre la Confédération ici?
Pas de gros rassemblement au parc Maisonneuve en vue, mais j’apprends que le Vieux Port de Montréal sera le théâtre du get-together festif.
Je pars à pied, une habitude ramenée d’une escapade à Berlin, d’où je suis rentré la veille (très jet set, oui). J’ai toujours trouvé que marcher sur de longues distances est la meilleure manière de visiter un autre pays.
J’ai d’ailleurs cette impression en me dirigeant vers la fête du Canada pour la première fois de ma vie. Deux solitudes dans la même ville.
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Je mets une playlist de circonstance, soit la « Jason Priestley’s Canada Day Playlist ». Oui, cette chose est réelle. Pour les plus jeunes, Jason Priestley n’a rien à voir avec Elvis, mais il fut certainement le king de Beverly Hills! (90210).
Je sais bien que le gros party est à Ottawa (FouKi, Metric, Chromeo, Corneille, etc.), mais Montréal n’est pas en reste, avec des festivités qui s’ébranlent dès le début de l’après-midi.
Sinon, un gros point d’interrogation en rouge et blanc m’attend. L’image que je me fais de la fête du Canada à Montréal prend vaguement la forme de Wilfred LeBouthillier, des drapeaux gratuits, une queue de castor et une performance un brin sexu du chanteur Jonas.
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En arrivant aux abords du Vieux-Montréal, je croise un itinérant en crise et une dame avec un micro qui prêche la parole de Dieu. Elle nous met en garde contre l’enfer au moment où j’aperçois une marée rouge à l’horizon.
21 coups de canons
Les festivités se déroulent près du Quai de l’Horloge, à l’ombre de la tyrolienne. Il y a du monde partout, le soleil cogne et la grande roue a été décorée avec une feuille d’érable. Les commerçants vendent toutes sortes d’artéfacts canadian, des drapeaux aux casquettes, en passant par les écussons, les pins et les parapluies.
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Les hostilités s’amorcent avec la salve d’honneur de 21 coups de canon, gracieuseté des Forces armées canadiennes.
Une foule se masse autour de trois gros canons et quelques militaires attendent les premiers tirs, au garde-à-vous.
En attendant, des policiers de la GRC en uniforme se promènent sur place et s’offrent en pâture aux photographes amateurs. Il faut presque jouer du coude pour y parvenir, dans cette foule compacte.
Un exploit que j’ai relevé haut la main, vêtu de mon chandail « Où est Charlie? ».
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13h30, les gens dégainent leur cellulaire, aux aguets, pour ne rien rater des exploits d’artillerie attendus d’ici quelques secondes.
Des voix s’élèvent pour exhorter les niochons de la première rangée à fermer les parapluies qu’ils tiennent au-dessus de leur tête pour se protéger du soleil. Les responsables s’exécutent.
BOUM.
Ok, un coup de canon, ça saisit. J’ai écouté le dernier Napoléon dans l’avion et je réalise que ça devait être intense en svp des champs de bataille avec des centaines de canons en action en même temps. Les premières détonations font faire le saut, mais on s’habitue. Après une dizaine, l’odeur de la poudre flotte au-dessus de la foule satisfaite, qui applaudit comme après un atterrissage d’avion à Varadero.
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Autour de moi, les langues et les origines sont multiples.
L’anglais prédomine largement, le français local est rare, celui de la France plus répandu.
Je tombe quand même sur Marc-André et Élodie, un couple de Joliette, qui vient célébrer le Canada pour la première fois.
« J’adore l’armée, j’ai fait les cadets, puis la marine. On fête le Québec et le Canada », résume Marc-André, qui semble apprécier son baptême de coups de canon.
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« Votre bouffe est meilleure »
Après les coups de canon, la fête ne fait que commencer (genre).
Faut dire qu’on est à des années-lumières d’une bonne vieille Saint-Jean peuplée de forains intoxiqués en train de danser dans un nuage de weed devant Embarque ma belle.
Ici, l’ambiance est nettement plus familiale, si bien que j’ai pas vu la moindre bière en quatre heures. C’est plus protocolaire aussi, avec les soldats, la GRC, les drapeaux et les cérémonies de toutes sortes.
D’ailleurs, c’est l’heure de celle d’assermentation, durant laquelle seize personnes reçoivent leur citoyenneté canadienne.
Ça se passe en grande pompe, sur la scène principale.
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Un animateur invite les gens à s’approcher. Je croise Wellan et Linda, un couple du Massachusetts qui vient depuis douze ans à Montréal pour les vacances à ce temps-ci de l’année, notamment pour profiter du 1er juillet. « On aime comment vous célébrez tout le monde et toutes les cultures. C’est émouvant de voir des gens d’autres pays devenir Canadiens. On a tous les deux des ancêtres du Canada », raconte Wellan, coiffé d’une casquette de vétérans, avec une pointe de jalousie.
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Le couple ne cache pas que la tentation est forte de changer de citoyenneté par les temps qui courent. « Notre situation politique est triste, la perspective de voir Trump revenir au pouvoir est horrible et votre bouffe est meilleure », résume Linda.
Les nouveaux Canadiens
Quelques dignitaires grimpent sur la scène au son d’une fanfare, des policiers de la GRC ouvrent et ferment la marche. Un coordonnateur de cérémonie (oui) donne quelques consignes aux 16 futurs compatriotes (provenant de six pays différents), qui prennent place sous un chapiteau sur des chaises numérotées.
Au tour du maître de cérémonie de prendre le relais, en contribuant d’emblée à entretenir notre réputation de golden retriever à l’échelle mondiale. « J’aimerais vous demander deux choses : de sourire et de vous applaudir bien fort ! »
Les gens s’exécutent dans la bonne humeur.
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Après la levée du drapeau et l’hymne national, un policier de la GRC claque sa botte sur la scène pour officialiser le début de la cérémonie.
Le protocole n’en finit plus, mais faut ce qui faut pour devenir membre en règle du plus beau pays du monde.
Une greffière (ou est-ce la juge de la citoyenneté, ça devient mêlant) mentionne que la cérémonie se déroule sur un territoire autochtone non-cédé, avant de résumer en vitesse l’histoire du pays. « La diversité est la plus grande richesse de notre pays. Ce sont les immigrants comme vous qui ont façonné ce pays », lance la greffière (ou juge de la citoyenneté).
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On présente ensuite John Nelson, un vétéran de 97 ans qui a servi pendant la Deuxième Guerre mondiale (il avait 16 ans) et celle de Corée. L’homme en uniforme se lève de son fauteuil roulant pour saluer la foule, sous les encouragements respectueux.
C’est enfin le moment de prêter serment. Oui, le bout où les gens lèvent solennellement la main droite dans les airs pour rendre allégeance à Charles III, roi du Canada etc., etc.
Les compatriotes flambants neufs ont ensuite subi leur première épreuve canadienne : les discours fleuve de tous les dignitaires, représentants tous les paliers politiques.
La foule se disperse à mesure que les élus se succèdent au lutrin. En toile de fond, des gens descendent en tyrolienne aux deux minutes, ce qui me fait pouffer de rire à chaque fois.
– Si on est là aujourd’hui, c’est à cause des sacrifices de nos vétérans!
– Ziiiizzzzzzzzzzzzz (Son d’une tyrolienne)
Le supplice prend fin avec l’hymne national, que les assermentés sont invités à entonner grâce aux paroles reproduites dans les deux langues qu’on leur a remis.
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Le policier de la GRC a de nouveau fait claquer sa botte pour marquer la fin de la cérémonie. Rideau.
J’accroche une famille de nouveaux Canadiens, originaire de la Chine. « Ça fait depuis que je suis tout petit que je veux venir ici. Le Canada soutient la paix et est accueillant », louange le papa un brin méfiant, quand je lui tend ma carte de journaliste délavée.
1451 petits gâteaux du Canada
Pour me changer les idées, je vais me perdre près des jeux gonflables. Une file immense attire mon attention, environ dix fois plus longue que celle devant le restaurant L’Avenue un dimanche.
La raison : une distribution de petits cupcakes aux couleurs du pays, à condition d’avoir d’abord été cherché un coupon (autre file monstre).
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Les responsables du kiosques calculent avoir 1451 petits gâteaux disponibles, mais l’un d’eux soupire un bon coup et lâche un « tabarnak » en voyant l’ampleur de la file.
Cette émeute sera commanditée par Duncan Hines.
Même frénésie autour d’une madame qui distribue gratuitement des mini drapeaux et collants de l’unifolié. Les gens se les arrachent comme si c’était du papier cul en spécial à la mi-mars 2020.
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À travers cette horde de hooligans, j’aperçois un festivalier trimballant un drapeau géant. « C’est moi qui l’ai fabriqué! », lance fièrement Gaston, un Montréalais, qui vient ici chaque année, sauf en cas de pluie. « J’achète toujours des choses de la GRC », ajoute Gaston, en me désignant les deux épinglettes qu’il a accrochées à son t-shirt. Il ajoute aimer le côté familial des célébrations. « Je ne reste jamais le soir, le crime a augmenté à Montréal. »
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En quittant le site, je croise Gloria et sa fille Julia, qui s’est patenté une cape avec son drapeau. « Dieu nous a donné cette terre et nous sommes fières d’être Canadiennes », résume Gloria dans la langue de Justin Bieber.
Je quitte en réalisant que c’est la première fois depuis l’âge de 14 ans que je pars d’une fête nationale aussi à jeun.
Ça prenait bien le Canada pour me ramener dans le droit chemin.