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Festival REGARD 2023 : retomber sur ses pattes après la pandémie

Une histoire de courts métrages, d’insouciance et de COVID-19.

Par
Laïma A. Gérald
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Vendredi 6 mars 2020. Je suis chez moi, dans le Centre-Sud, prête à sortir souper avec des ami.e.s. Le téléphone sonne, c’est ma mère. Elle m’annonce que ma grand-mère est décédée.

J’encaisse le choc. On prépare les obsèques, on trie la paperasse, on pleure. Les funérailles auront lieu samedi prochain, le 14 mars.

Je sors quelque peu de ma torpeur. Merde, je suis supposée aller à REGARD, un festival de courts métrages au Saguenay, dans quelques jours.

J’appelle mon amie Gab. « […] Tu te doutes donc que je ne pourrai pas t’accompagner », lui dis-je dans le combiné. Elle comprend, bien sûr.

J’étais loin de me douter que la 24e édition du festival n’aurait pas lieu, du moins pas entièrement, avec ou sans moi, pour une raison qui dépasse ma petite personne.

Une semaine plus tard, sur l’autoroute 73

Jeudi 12 mars 2020. Les sapins baumiers et les épinettes noires de la réserve faunique des Laurentides se déploient sous les yeux du réalisateur Jean-François Leblanc et de son acolyte, le scénariste Alexandre Auger. La lumière de l’aube caresse doucement la neige qui revêt les conifères d’un élégant manteau blanc.

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Dans la voiture qui mène le duo de Montréal vers Saguenay, l’excitation est à son comble : les deux créateurs sont à quelques kilomètres de présenter leur court métrage Landgraves au festival REGARD, entamé la veille. Le film, dont la première projection est prévue le jour même, à 15h, cumule déjà plusieurs prix. Partout où il passe, il séduit.

Jean-François Leblanc
Jean-François Leblanc

« Pendant que je conduisais, Alexandre regardait les nouvelles sur son téléphone. On commençait à parler de la COVID, mais on n’avait jamais vécu ça, une pandémie, nous! », se remémore maintenant Jean-François Leblanc, en avouant n’avoir eu aucune idée de l’ampleur que tout cela prendrait bientôt. Comment aurait-il pu? « Entre nous, on faisait même quelques blagues. On se disait “Check ça, il n’y aura pas de festival”. À ce stade-ci, c’était très ironique. »

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En effet, de Montréal à Jonquière en passant par Beaupré, la crise qui sévissait alors en Chine et en Italie paraissait tellement lointaine.

« En quoi est-ce différent d’une grippe? » m’étais-je sincèrement demandé en achetant ma première petite bouteille de Purell sans me douter que ce serait loin d’être la dernière.

Hôtel Chicoutimi, 14h. Une heure avant la projection de Landgraves.

À peine arrivés à leur gîte, Jean-François et Alexandre tombent sur Marie-Elaine Riou, alors directrice générale du festival.

« Pis, il y a-tu un festival? », ironise Jean-François à la directrice, ce à quoi cette dernière s’empresse de répondre: « Non, on a officiellement annulé il y a littéralement trois minutes! »

Silence. Confusion. Déni.

Jean-François éclate de rire.

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Pendant ce temps, à Montréal

Je n’ai pas véritablement mangé ni dormi depuis une semaine tellement la peine est grande et le deuil, lourd. Je tourne en rond sans trop savoir quoi faire de mon corps. Chose certaine : je ne suis pas en route pour le Saguenay, comme il était prévu.

Dans mon brouillard d’après-midi, les alertes pleuvent sur mon téléphone.

« Le premier ministre, François Legault, la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann et le directeur de la santé publique, Horacio Arruda, annoncent de nouvelles directives à l’intention de la population du Québec. »

« Treize cas de COVID-19 confirmés au Québec. […] La contagion est inévitable. »

« Les organisations doivent annuler tous les rassemblements intérieurs de plus de 250 personnes, ou qui ne sont pas nécessaires, pour les 30 prochains jours. »

« Aujourd’hui, tout le Québec doit se mettre en mode d’urgence. Les prochaines semaines vont être critiques. »

Je lis les mots, mais ne comprends rien.

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Simultanément, des ami.e.s en route vers le Festival REGARD me textent : ils rebroussent chemin et rentrent à Montréal. D’autres ne sont simplement jamais partis.

Haut les cœurs!

Pendant ce temps, dans le bout de Stoneham

« Je me souviens vraiment bien du moment où j’ai appris l’annulation de REGARD et pris connaissance des premières mesures de Legault, pas mal en même temps. On devait être dans le bout de Stoneham », se remémore Emma, une Montréalaise habituée du festival depuis plusieurs années. « J’étais sur la banquette arrière de la voiture de Catherine, mon amie qui nous conduisait vers Chicoutimi. J’ai vu la publication Facebook de l’équipe du festival. Je l’ai lu à voix haute et Véro, pour qui c’était la première expérience et qui était vraiment excitée, a juste dit “Ah, tabarnak!”. Ça m’a marquée. […] On s’est semi-consolées en mangeant du Tim Hortons, pis on est rentrées à Montréal. »

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Pour plusieurs Québécois.e.s, à l’instar de Emma, Catherine et Véro, le festival REGARD est très intimement lié à l’amorce de cette pandémie qui emportera plusieurs millions de personnes sur la planète.

Insouciance sur fond de fin du monde

La nuit tombe sur Chicoutimi. Jean-François Leblanc, Alexandre Auger et une petite centaine d’autres artistes et festivalier.e.s ont déjà posé leurs pénates à Saguenay pour la fin de semaine.

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Le festival est annulé, certes, mais une résistance festive s’organise en marge du festival.

« On était insouciants, on ne savait pas encore c’était quoi, la COVID […] Ce soir-là, on s’est organisés entre nous et on a vraiment fait beaucoup la fête! », admet le réalisateur à qui l’on doit également le court métrage Le Prince de Val-Bé. Il prend toutefois bien soin de rappeler le contexte : les annonces du gouvernement entrent au compte-goutte, les rassemblements de moins de 250 personnes sont permis et aucun confinement n’est encore annoncé.

« Landgraves a été sélectionné dans 57 festivals à travers le monde. Je ne suis allé à aucun. C’est d’une grande tristesse. »

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« On a même projeté Landgraves dans le sous-sol d’un bar de manière un peu clandestine – dans une qualité moindre, mais franchement pas si pire – à une poignée de personnes. […] La réaction a été vraiment bonne et il y a eu un petit buzz autour du film grâce à ça! »

Bien qu’il qualifie cette fin de semaine de mars 2020 de « douce-amère », le réalisateur, qui travaille actuellement sur son premier long métrage – une adaptation au grand écran de la bande dessinée Vil et Misérable de Samuel Cantin –, se remémore la naïveté qui l’habitait alors.

« Alexandre et moi, on était déçus de ne pas avoir présenté notre film sur grand écran comme prévu, mais on se disait qu’il y aurait d’autres festivals, que tout ça ne durerait que quelques semaines, confie-t-il, le parcours d’un court métrage en festival durant grosso modo deux ans. Auréolé de succès et couronné de prix, Landgraves fut d’ailleurs l’un des courts métrages les plus populaires et encensés, cette année-là. « Il a été sélectionné dans 57 festivals à travers le monde. Je ne suis allé à aucun. C’est d’une grande tristesse. »

« Je repense à nous, dans cette soirée clandestine. Le monde dansait, on se passait des verres et des topes, il y a sûrement du monde qui se frenchait. Mais il y avait la fucking pandémie qui commençait. »

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Point positif, s’il en est un : puisque la majorité desdits festivals ont eu lieu en formule virtuelle, davantage de gens ont pu visionner le film dans le confort de leur salon.

Quand je lui demande ce qu’il retient de tout ça, Jean-François ne peut s’empêcher de puiser dans les codes du cinéma de genre.

« Je repense à nous, dans cette soirée clandestine. Le monde dansait, on se passait des verres et des topes, il y a sûrement du monde qui se frenchait. Mais il y avait la fucking pandémie qui commençait, se souvient le cinéaste. Dans les jours qui ont suivi, je me suis dit : “On était-tu la gang d’épais dans un film catastrophe, genre Godzilla?” Dans ce genre de films, il y a toujours une scène au début avec des caves qui font le party pendant que le monstre arrive et ils se font tous manger. C’était-tu nous, ce monde-là? »

Trois ans plus tard, à Chicoutimi

Vendredi 24 mars 2023. Chicoutimi. Jean-François se tient fièrement sur la scène du Théâtre C, quelques instants avant la projection de son plus récent court métrage, Virga.

Virga (2023)
Virga (2023)
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« Je suis vraiment content d’être ici, ce soir », déclare le cinéaste ému en appuyant chaque syllabe devant les milliers de spectateur.trice.s rassemblé.e.s. Je suis l’une d’entre elles. « J’étais ici en 2020, l’année qu’il ne faut pas nommer. Quand le festival a été annulé, mon film passait dans une demi-heure. […] Je suis très heureux de présenter mon dernier film devant de vrais humains. »

Tonnerre d’applaudissements.

La veille, le réalisateur de Element, Will Niava, prononçait un discours similaire à propos de Zoo, annulé in extremis en 2020.

C’est donc cette année que je vis enfin mon baptême de REGARD, qui battra d’ailleurs des records d’assistance sous mes yeux cinéphiles.

« Il s’agit d’un retour à la normale, presque anormal pour nous. Un retour à la puissance 10, au-delà de tout ce que l’on connaissait avant la pandémie. »

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« C’est une année record. On a eu énormément de monde […] on n’avait pas prévu autant de [gens], témoigne la directrice générale et artistique, Justine Valtier, à Radio-Canada. Le public est au rendez-vous. C’est génial. »

Pour sa part, la directrice de la programmation, Mélissa Bouchard, affirme qu’il s’agit d’« un retour à la normale, presque anormal pour nous. Un retour à la puissance 10, au-delà de tout ce que l’on connaissait avant la pandémie. »

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Dans les rues animées de Chicoutimi, j’aperçois une vieille dame marchant bras dessus, bras dessous avec celle qui semble être sa petite fille. J’ai une pensée pour ma grand-mère, dont nous soulignons cette année le troisième anniversaire de décès, presque en synchronicité avec celui de la pandémie.

Malgré les deuils, les pertes, les soirées confinées et les déceptions, je me dis qu’après la pluie vient inévitablement le beau temps.

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