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Festival du Nouveau Cinéma: la périlleuse épopée vers une édition miracle

Le directeur général Nicolas Girard-Deltruc nous raconte son année rocambolesque.

Par
Benoît Lelièvre
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Les anglophones ont une expression que j’aime beaucoup pour décrire ce qu’on a vécu en 2020: you don’t know what you’ve got ’til it’s gone.

Après un été sans grands rassemblements festifs pour nous faire vivre des émotions fortes, on s’ennuie ferme de notre vie culturelle d’avant. Certains événements ont au moins pu se faire en version COVID : les Francos ont présenté une édition adaptée en septembre, Fantasia a également été capable de sauver les meubles pendant les semaines plus relaxes de l’été, le FME nous a permis d’assister à des shows en présentiel (même si on déteste le mot). Et c’est sans compter tous les autres plus grands et petits événements qui se sont « revirés de bord sur un 10 cents » pour nous donner de quoi se mettre sous la dent en matière de culture. On a quand même été chanceux.

La fermeture des salles de cinéma et l’interdiction des rassemblements semblaient sonner le glas pour leur 49e édition, mais ce n’est pas ce qui s’est passé.

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Mais comment ça se passe en coulisse quand vient le temps de se « réinventer »? Le FNC, qui a eu son lot de bâtons dans les roues en 2020 a bien voulu en discuter avec nous. Avec le passage en zone rouge le 1er octobre dernier, on était en droit de s’attendre au pire pour la grande célébration montréalaise du cinéma innovant. La fermeture des salles de cinéma et l’interdiction des rassemblements semblaient sonner le glas pour leur 49e édition, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Pas du tout, même!

Avancer dans le noir

«On s’est donné trois options,» m’explique le directeur général du festival Nicolas Girard-Deltruc en direct de son salon, d’où il travaille depuis mars dernier. « La première, c’était qu’on tienne l’édition entièrement en ligne, la deuxième c’était qu’on ajoute quelques événements en présentiel et la troisième c’était qu’on puisse tenir le festival comme d’habitude.»

L’équipe du FNC s’est retrouvée au coeur de la pandémie bien malgré elle avant même l’annonce du confinement général par la santé publique, le 13 mars dernier. La gang était au festival de Berlin lorsque la pandémie a fait rage en l’Italie. Puis, Nicolas a été nommé sur le jury du festival du film de Luxembourg. À trois jours de la fin du festival, la santé publique luxembourgeoise a donné une heure au festival pour tout fermer. «Ça a été une annonce vraiment soudaine. La police passait dans les rues. Tout était fermé.»

«Le télétravail n’était pas vraiment un problème au départ. On était sur du visionnement de films et des rencontres de logistique. On était équipés pour ça.»

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Le retour à Montréal n’a pas été de tout repos et une fois en sol québécois, l’organisation a immédiatement fermé ses bureaux. C’est toujours le cas au moment d’écrire ces lignes. «Le télétravail n’était pas vraiment un problème au départ. On était sur du visionnement de films et des rencontres de logistique. On était équipés pour ça. Ça s’est compliqué lorsqu’on est passé à la phase de production. On a rapidement vu les limites.»

Rapidement, il est devenu très clair que l’édition 2020 du FNC n’allait pas être comme les autres, mais quel visage le festival pourrait-il alors prendre?

Une édition hybride

Tenir un festival de films dans le respect des consignes sanitaires de la santé publique, c’est compliqué.

L’idée de départ était de proposer des projections au Cinéma L’Impérial (un partenaire de longue date de l’événement) et d’organiser une projection publique gratuite sur la place des festivals pour le film d’ouverture. «La réponse du Quartier des spectacles a été incroyablement positive, mais c’est fou le nombre de paliers de validation nécessaires pour la tenue de cet événement. Heureusement, on a eu le soutien de la ville,» explique Nicolas.

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Avec l’aide de son équipe, il a aussi monté un ciné-parc à l’aéroport Trudeau. Encore là, il fallait tout organiser: trouver le bon format d’écran, réserver des fréquences radio auprès du CRTC pour la bande-sonore, s’assurer que ces dernières n’entrent pas en conflit avec les fréquences utilisées par les pilotes, etc. L’équipe du FNC a mis sur pied une édition hybride entre juillet et septembre qui aurait été un des festivals les plus interactifs et multiplateformes de 2020.

Trois «autres» options

C’est exactement là qu’on est rentrés en zone jaune. Un bon timing de m-.

Trois autres options pas mal moins le fun se sont imposées à l’équipe: des représentations avec 250 spectateurs, 50 spectateurs ou en ligne seulement. La santé publique n’ayant pas encore statué à quelques semaines de la tenue du festival, le FNC a donc décidé de prendre des précautions supplémentaires et de faire des plans de salle pour chaque représentation question de sécuriser au maximum les projections à L’Impérial.

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Puis, on est entré en zone orange… puis en zone rouge quelques jours plus tard et cette édition hybride audacieuse, innovante et porteuse d’espoir pour la suite des choses est un peu partie en fumée.

Terminées les représentations à L’Impérial. Il fallait donc appeler les maisons de productions impliquées afin de leur proposer un passage à l’édition en ligne. C’était 33 appels à faire ça, mais des appels fructueux puisque la plupart des oeuvres ont pu être récupérées. Mais l’équipe n’était pas au bout de ses peines : la même semaine (genre, la semaine dernière), la Place des festivals retirait le permis nécessaire à la présentation du film de Sophie Dupuis en ouverture à cause de la maudite COVID.

«On voulait surtout donner un symbole d’espoir. MontREr que malgré les restrictions, c’est possible d’organiser quelque chose de manière responsable, sans qu’il n’y ait d’impact.»

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«On a décidé de se concentrer uniquement sur le ciné-parc,» raconte Nicolas, visiblement fier de la résilience de ses troupes. «On voulait surtout donner un symbole d’espoir. Montrer que malgré les restrictions, c’est possible d’organiser quelque chose de manière responsable, sans qu’il y ait d’impact.» Après être montée jusqu’au salon bleu pour obtenir l’autorisation en règle pour tenir l’événement d’ouverture, l’équipe a malheureusement dû l’annuler… pour cause de forts vents.

Ouais, j’sais. #2020.

Le FNC a lieu quand même, parce que fuck 2020

Tout n’est pas perdu pour Nicolas Girard-Deltruc. Il aura réussi à présenter la 49e édition du festival, sauver à peu près tous les emplois et à rester optimiste dans les circonstances.

«Le moral des troupes est important. Dans le milieu culturel, on est plusieurs à devoir composer avec une certaine précarité d’emploi. Beaucoup d’entre nous vivent encore en appartement, certains en colocation même. L’incertitude a beaucoup d’emprise. Il fallait que tout le monde sache qu’on allait se battre et trouver des solutions, » me dit-il. Il ne dort plus beaucoup, par exemple. «Quatre ou cinq heures par nuit environ. Il y a une partie de stress, mais les longues heures sont aussi liées à mon travail. Je dois souvent faire des conférences avec des gens qui ne sont pas sur le même fuseau horaire.»

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Qu’est-ce qu’on peut faire pour aider le festival à part louer les films sur leur plateforme en ligne?

«Dans le milieu culturel, on est plusieurs à devoir composer avec une certaine précarité d’emploi. Beaucoup d’entre nous vivent encore en appartement, certains en colocation même. L’incertitude a beaucoup d’emprise.»

«Il y a quelque chose qui s’appelle l’échange solidaire. Un billet en salle coûte 14$ alors qu’un billet en ligne n’est que 10$. On propose alors aux gens de faire l’échange direct et d’utiliser le 4$ restant pour soutenir le FNC,» m’explique-t-il. Nicolas espère aussi rentabiliser la location de sa plateforme sur un an en présentant des films sur une base mensuelle. «On a aussi un partenaire-brasseur, Riverbend, qui fait une bière thématique chaque année pour le festival. Ça nous permet d’avoir des revenus de plus. Elle sera disponible partout au Québec en dépanneur spécialisé.»

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L’année aura été difficile pour tout le monde, mais elle aura été particulièrement rude pour les gens comme Nicolas Girard-Deltruc, qui s’acharnent à ce qu’on puisse conserver un certain niveau de normalité et de plaisir dans nos vies. Ne tenons pas la culture pour acquise, gang. Et ne nions pas l’importance des gens qui se battent pour qu’on ait droit à un p’tit rayon de soleil.