.jpg)
Festival de musique émergente 2022 : 20 ans de découvertes, de danse et de drinks
Dimanche soir dernier se clôturait à Rouyn-Noranda la 20e édition du Festival de musique émergente (FME) en Abitibi-Témiscamingue. Après deux ans de formule réduite, COVID oblige, le festival a pu retrouver son public en grand, avec plus de 32 000 festivaliers et festivalières. Au fil du weekend se sont produits plus d’une cinquantaine d’artistes, dont Hubert Lenoir, Animal Collective et Les Louanges.
Vingt ans de découvertes musicales et humaines dans le fond du Québec, c’est tout un exploit! Surtout lorsqu’on pense à tou.te.s les artistes aujourd’hui établi.e.s qui doivent au FME une grande partie de leur succès. Malgré les interminables kilomètres qui séparent la ville minière de Montréal et Québec, le FME reste l’un des événements culturels incontournables de la province.
Pour mieux comprendre ce que ça prend pour réussir un pari si osé, on a jasé avec Jenny Thibault, cofondatrice et vice-présidente du festival.
Pêcher les talents émergents
Si la programmation de cette année comptait plus de gros noms qu’à l’habitude, l’équipe du FME a aussi fait un travail de fond pour proposer de nouveaux artistes à découvrir, comme Super Plage, Abytabiss ou encore La Sécurité.
Mais dans un monde qui, cherche toujours davantage de nouveauté, il était important que le FME sache se réinventer, avoue Jenny Thibault.
« Quand on a lancé notre programmation, les gens me disaient : “Ah, mais on ne connaît rien!”, et je leur disais : “Justement, c’est un peu ça, le concept!” J’ai passé beaucoup de temps avec les délégués professionnels internationaux, et les gens étaient contents d’avoir pu faire des découvertes. Si on peut remplir cette coche-là, c’est ça, l’important. »
De plus, comme le fait remarquer celle qui a, avec un groupe d’amies, cofondé le festival il y a 20 ans, la pandémie a fait pousser de plus en plus de petits festivals à l’offre musicale underground. « Cette année, on voulait vraiment revenir à des valeurs sûres, au niveau de la découverte. On voulait vraiment repréciser notre positionnement sur l’échiquier québécois; qu’est-ce qui fait que les gens vont revenir au FME, à la fin des festivals d’été, après avoir été à La Noce, à Bleu Bleu, au Festif? Aujourd’hui, des festivals un peu boutique comme le FME, il y en a dans chaque région du Québec. »
« Je crois que notre force, c’est la découverte, le concept d’émergence qu’on avait au tout début, et qu’on a essayé de renforcer cette année, poursuit-elle. On a changé aussi l’équipe de programmation, avec une transition sur plusieurs années. L’ancienne équipe s’est un peu effacée, parce que c’est important de toujours se renouveler. »
Un franc succès, malgré les obstacles
Après tant d’années, les choses deviennent plus simples, mais les imprévus restent! Si cette année, le festival n’a pas eu à se soucier de la propagation de la COVID autant que lors des deux dernières éditions, l’équipe d’organisation a tout de même dû composer avec les crises résultantes et leurs effets sur les opérations du festival. On n’a qu’à penser aux problèmes dans la chaîne d’approvisionnement, à lapénurie de main-d’œuvre et aux coûts exorbitants causés par l’inflation.
« Oui, c’est sûr qu’après 20 ans, on est devenu une belle force de production, mentionne la cofondatrice. On est dans le détail, même quand on regarde l’affichage et la signalétique, tout est slick, beau, bien pensé. On a des équipes qui sont rodées. »
« Mais le renouvellement des talents, c’est constant, surtout pour des événements régionaux. La main-d’œuvre est une denrée rare, surtout à Rouyn-Noranda, où l’industrie minière attire beaucoup de jeunes avec de gros salaires. Rester compétitif et attractif pour garder son personnel, c’est laborieux, surtout dans un contexte de pénurie et d’inflation! C’est un défi qui touche pas mal toutes les organisations culturelles, mais particulièrement en région. On est encore plus précaire. »
Si cela représente un problème de taille pour le festival, c’est aussi un mal avec lequel doivent composer d’autres commerces de la ville qui s’appuient sur le flux de touristes amené.e.s par le FME. Dans presque toutes les vitrines de Rouyn-Noranda, comme ailleurs, on retrouve une affiche indiquant des postes ouverts. Plusieurs restaurants sont contraints de fermer plus tôt, par manque de personnel.
Comme l’explique Jenny Thibault, il faudra que les choses changent et que les régions deviennent plus attractives pour les travailleurs et travailleuses si l’on souhaite les garder actives et pertinentes, tant au point de vue économique que culturel.
« [Le FME] est l’événement le plus touristique de l’année, à Rouyn-Noranda, souligne-t-elle. Les commerçants, les taxis, les restaurateurs, c’est leur weekend payant. Les événements musicaux, plus que le cinéma, le théâtre ou la danse, sont très attractifs. Les gens vont faire beaucoup de kilomètres pour voir leur artiste préféré sur scène. Les événements musicaux en région deviennent donc réellement des moteurs pour l’industrie du tourisme. Tant que les parties prenantes n’en prennent pas conscience, ça sera compliqué. »
Rester indépendant à tout prix
Un autre enjeu important pour les festivals, les festivalier.ère.s et les musicien.ne.s est la perte d’indépendance sans cesse grandissante des festivals. Pendant la pandémie, certains festivals et salles de spectacles qui étaient indépendants depuis de nombreuses années ont dû être vendus à de grands acteurs du milieu, notamment Live Nation. Propriétaire, opérateur et promoteur de plusieurs centaines de salles à travers le monde, Live Nation inclut aussi TicketMaster, et détient sa propre compagnie de gestion d’artistes, qui compte notamment Madonna et Nickelback sur son roster. Un one-stop shop qui pourrait, à terme, avoir des conséquences désastreuses sur l’industrie musicale.
Bien que la multinationale n’ait pas (encore) approché le FME, Jenny Thibault estime qu’un événement du genre n’est pas le fruit du hasard, mais bien d’un réel et honnête désir de faire découvrir de la musique aux gens, une bière froide à la main. Et sans l’implication des habitant.e.s de Rouyn et des environs, il n’existerait simplement pas.
« Il faut des paramètres très clairs et très nobles, dès le départ, avec une posture communautaire pour faire mobiliser autant de gens. Si tu n’as pas tous ces éléments-là, je ne crois pas que ça tiendrait la route », juge la cofondatrice du festival.
« Le FME, c’est 450 bénévoles, alors qu’Osheaga, c’est zéro bénévole. Faire notre festival en payant tout le monde, c’est impensable : même si on doublait le prix de la bière, je crois pas qu’on y arriverait. Il y a des gens qui sont là depuis le début, et quand tu leur parles, c’est leur festival, ils ont un fort sentiment d’appartenance. Alors tout le monde donne le meilleur de soi pour faire rayonner l’Abitibi. »