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La première fois, c’était en jouant au Scrabble (marque déposée sur la table). Toutes les portes de l’appartement étaient ouvertes. Pas de rideau. Pas de pudeur. Pas de danger.
C’était un peu fébrile. Mais tellement doux. Une découverte. Et puis il y a eu les autres fois. Dans le salon. Sur le canapé, bien sûr, mais aussi sur le tapis, sur le fauteuil, sur la petite table à café qui a failli craquer, devant la télé, en écoutant la radio. Et sur le comptoir de la cuisine, pendant que tu épluchais les patates, et par derrière pendant que tu faisais la vaisselle. Il y a aussi la fois où l’on n’a même pas fini le souper, on a tassé les assiettes, les verres, les bougies et les bouteilles. Il y a aussi toutes ces fois dans l’escalier, trop pressés d’y arriver, avant de recommencer, une marche à la fois. Et la fois entre Montréal et New York. Il y a les vêtements abandonnés à travers la maison, les étreintes sans raison, les baisers infinis, les corps à corps improvisés. Dans mon bureau. Et sur mon bureau. Et sous le bureau. Dans la salle de bains, un classique. Sous la douche, sur le bol de toilette, sur le lavabo, contre le mur, devant le miroir. Même sur la terrasse des soirs d’été. Et ailleurs. Dans un stationnement, près de la mer, dans un bois, au Vermont, dans un champ, en Lorraine, sur une plage, en Nouvelle Angleterre. C’était n’importe quand, tout le temps, n’importe où, partout.
Maintenant, tout ça n’est plus possible. À cause des enfants.
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Allez savoir pourquoi, mais désormais, ça se passe aux abois, l’oreille tendue, l’œil attentif, tous les sens en émoi. Le moindre craquement de plancher fait débander. Une porte qui s’ouvre, c’est une chemise qui se referme. Des pas qui descendent l’escalier, c’est un pantalon qui remonte. Et quand, malgré le danger, on prend le risque de se rapprocher, le souffle est court, le désir pressé, le geste discret, la tendresse timide et le plaisir silencieux. Quand la pièce en un seul acte n’est pas écourtée, elle est tout simplement annulée. Tout est prétexte à repousser le doux moment de l’exquise extase. L’heure du coucher, l’heure du bain, l’heure du réveil, l’heure du boire, l’heure du pipi, l’heure de l’école, l’heure qu’il est,… ce n’est plus jamais la bonne heure pour l’ultime bonheur. Et le pire de tout, l’appel des rêves brisés, le cri qui refroidit, le mot de tous les désenchantements, « Mamaaaaaan ! ».
On peut bien se faire surprendre par le facteur, le locataire, le gros chien de la voisine ou même une ex-flamme ça ne nous dérange (presque) pas. Mais par les enfants, ça, jamais !
On n’a pas plus envie que nos rejetons assistent à nos ébats qu’on a envie d’imaginer papa dans maman ou maman sur papa. Malaise. La peur du regard interrogatif. La crainte des questions embarrassantes. Le trouble de devoir trouver l’explication la plus précise et pourtant la moins explicite possible. Et surtout la déception d’interrompre l’action en pleine ascension.
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Mais pourquoi tant de chichis face à quelque chose de si beau et de si naturel ? Relents de notre vieille éducation judéo-chrétienne ? Résultats des pressions néo-conservatrices ? Angoisses de pousser nos petits novices trop vite dans les bras du vice ? Conséquences de siècles d’alcôves et de tonnes de romans à l’eau de rose ?
Là où il y a nos gènes, il y a de la gêne.
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