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Féminisme, solidarité sociale, même combat

Par
Sarah Labarre
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Fa’que là, cette semaine, je me suis mise au défi de faire une lecture féministe d’un ouvrage intitulé LIBERTÉ ÉGALITÉ SOLIDARITÉ : Refonder la démocratie et la justice sociale, pondu par l’inégalable Christian Nadeau, professeur au département de philosophie à l’Université de Montréal ainsi que l’un de mes êtres humains préférés.

Fa’que là, Christian Nadeau te parle de justice sociale. Héééé boy, de s’exclamer la droite. Encore une affaire de gauchistes! Ben oui : pour Nadeau, l’idée même de justice sociale, c’en est une, affaire de gauchistes, ou, plutôt même, une affaire de progressistes. C’est un mot qui fait peur, ça. Surtout à la droite qui affirme que […] c’est l’utopie des désoeuvrés, tout juste bonne à éblouir quelques troupeaux de jeunes naïfs ou à conforter les vues d’ancêtres gâteux et agités du bol (p.9). Selon ce mode de pensée, l’idéal de justice sociale des sales gauchistes irait à l’encontre des libertés individuelles, il flirterait même avec le socialisme, le communisme, alouette!

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Or, selon Nadeau, la gauche et ses projets représentent l’âge adulte de la démocratie, et c’est ce qu’il tente de te démontrer dans son livre en traçant les liens essentiels entre liberté et égalité, le tout soutenu par le principe de solidarité, qui […] incarne le principe même de réalisation de l’égalité et de la liberté (p.11), afin que tous soient traités également, et ce, peu importe leur classe sociale ou encore leur sexe, comme m’orientait ma lecture.

Solidarité, de kessé? Pas comme les socialistes ou les communistes, là?

Même pas. Nadeau nous explique que […] nous devons prendre garde à toute uniformisation sociale : contestations et dissensions incarnent des éléments essentiels d’une société démocratique et pluraliste (p.23). C’est tout le contraire, si je puis remarquer, de chez une droite complètement désinhibée où l’on voit dans l’idée même de regroupement de contestations sociales (ex. syndicats, assos étudiantes, ou groupes féministes) au mieux une crise de bébés gâtés, au pire une incitation au désordre, à la violence et même au terrorisme. Il s’agit plutôt d’une solidarité où nous serions tous partenaires, sans toutefois laisser avaler nos différences et nos rêves par cette idée de collectivité qui prendrait le dessus sur tout.

La gauche, donc, […] se réclame […] d’une solidarité dont l’instrument préféré est l’égalité (p.38). Allô, le féminisme! Il ne s’agit pas de niveler par le bas, en retirant ressources et privilèges aux uns juste « pour faire plus égal ». C’est plutôt le respect et l’égal accès aux chances à tous et toutes, et même, le balancement des relations afin qu’il n’y ait plus de domination des uns sur les autres. Nous luttons contre les inégalités pour réduire, voire si possible éradiquer les rapports de pouvoir arbitraires entre nous (p.39).

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Genre, tsé, assurer à chacun des droits semblables. Ark! Quel complot de socialistes! Heu. Non. On appelle ça l’égalitarisme pis ça veut juste dire que chaque citoyen devrait pouvoir […] se prévaloir des moyens nécessaires à ses choix de vie en raison d’un certain niveau d’égalité sociale et économique (p.41).

Ce qui est cool, si on suit ce raisonnement, c’est de réaliser qu’une certaine forme de solidarité – voire de collaboration – se porte garante d’une expression plus sincère de l’égalité, et donc – es-tu ben assis – des libertés individuelles, parce que, par définition, elle les protège contre le monopole du pouvoir des uns sur les autres, monopole qui serait exercé au simple nom d’un libertarisme exacerbé.

Ben là. Nos lois et valeurs sont choisies démocratiquement par la majorité!

Scusé, fallait juste que je plogue le mot « valeurs ». Juste pour le fun. Plus sérieusement, maintenant : sur la forme, il n’y aurait pas de faille dans ce système, dans la mesure où la démocratie servirait uniquement à ce que la majorité élise un gouvernement, qui, lui, à son tour, prendra les décisions qu’il a promis de prendre (ou pas). Seulement, sur le fond, cela permet justement la domination de la majorité sur la minorité. Malgré les formidables gains sociaux que nous ont permis les démocraties d’aujourd’hui, il existe encore des choix démocratiques qui ont pour effet de limiter nos droits, pourtant indispensables à la qualité de notre vie démocratique (p.71).

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Par exemple : le règlement P-6 et la loi 78, qui limitent les droits d’expression démocratique par la rue à presque rien. Ou encore, pour rejoindre ma lecture féministe, l’élection majoritaire d’un gouvernement conservateur qui tente de revenir en arrière sur les questions de droits des femmes; celui-ci, malgré la promesse de Stephen Harper de ne pas s’attaquer au droit à l’avortement, a déposé en mai 2012 la motion 312 (déposée par Stephen Woodworth), qui visait à restreindre ce droit en révisant quel était le statut légal du fœtus.

WÔ LÀ. Fa’que t’es en train de me dire que si on se voit retirer nos droits morceau par morceau, on n’a pas notre mot à dire parce que la majorité a élu ces représentants? Eh bien non : la démocratie ne se limite pas qu’au processus électoral. Il y a aussi ce qu’on appelle la désobéissance civile, qu’il faut distinguer (des) simples infractions à la loi […]. Loin d’être un prétexte à l’anarchie et au chaos; il s’agit plutôt d’une dénonciation des lois et politiques publiques qui sont contraires au bien commun. On dénonce l’abus de l’autorité, une corruption du bien commun. (Ataboy, je déborde du sujet. Scusé.)

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J’peux comprendre que la désobéissance civile, ça ne soit pas pour tout le monde. Entre ça pis le bête je-fais-un-crochet-dans-un-carré-pis-je-m’en-lave-les-mains, il y a ce qu’on appelle les corps intermédiaires. Des genres de gardiens de but de la démocratie. Ce sont des citoyens qui se rencontrent, qui s’appuient et qui forment ensemble des groupes qui cherchent à équilibrer les rapports de force. Sans remettre en cause l’État, ils défendent des intérêts particuliers qui autrement seraient négligés, voire attaqués par un État corrompu : pensons, par exemple, aux syndicats, dont le rôle est de veiller aux droits des travailleurs, ou aux assemblées de quartier qui visent à informer et à aider les citoyens, et, bien entendu, aux groupes féministes, qui agissent comme chiens de garde de nos droits, car, rappelons-nous le, bien que dans la forme l’égalité des sexes est acquise, elle ne l’est pas dans les faits, et celle-ci sera incontestablement attaquée si l’on baisse les armes. Allô, Harper, tsé?

Fa’que là, le féminisme
J’avoue avoir commencé ma lecture avec l’approche de « Qu’est-ce que le principe de solidarité peut faire pour mettre de l’avant les luttes féministes? » Or, dès les premiers chapitres, il m’est apparu que l’approche appropriée serait plutôt « Qu’est-ce que les luttes féministes peuvent faire pour l’avancement d’une véritable coopération solidaire? », car le féminisme ne s’attarde pas uniquement aux inégalités hommes-femmes : il s’attaque aux inégalités, point. Si c’était le cas, le féminisme (pourrait) très bien tolérer les pires inégalités, pourvu qu’elles n’affectent pas les rapports hommes-femmes. Il y aurait parité entre femmes et hommes riches, et parité entre femmes et hommes pauvres (p.178). Ça serait dur à avaler. Il se trouve qu’en réalité, le féminisme marche main dans la main avec l’idée de solidarité sociale dont il es t question ici. C’est tout simplement une des branches d’un courant qui s’attaque aux injustices ou aux dominations, que ce soit le maudit patriarcat, le racisme, le capitalisme sauvage, la violence, alouette. Le but, comme celui de toute lutte sociale, est (d’assurer) à chaque personne un égal respect afin qu’elle puisse jouir librement de sa vie sans se voir dominée dans ses choix par l’opinion du groupe majoritaire ou le plus puissant (p179).

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Le féminisme, c’est comme, tsé, un des maillons de la grande chaîne humaine que forme la solidarité sociale.

Ben là, franchement, vous avez déjà la belle vie, au Québec, vous, les femmes.
Pas tant que ça. Déjà que cette réplique soit attribuée en contre argument aux revendications féministes démontre clairement une forme d’antipathie à ces dernières, et donc, que nous devons redoubler de vigilance, sans quoi « trop » de droits se verraient réduits à moins de droits. Ben quin’ que la situation des femmes a beaucoup évolué en Occident. Mais y’en reste tellement à faire. Nos droits à des soins de santé sexuelle sont de plus en plus menacés chez nos voisins du sud et même chez nous, grâce à Woodworth, notamment. Il y a aussi le fait qu’à diplôme égal, l’être humain qui a des ovaires gagne présentement environ 70 sous pour le dollar que gagne celui qui a des testicules. Il y a des dossiers tragiques qui inquiètent encore bien peu nos institutions, comme les violences allant de petites et ordinaires à la brutalité crue qui frappe chaque jour.

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Et il y a la foutue instrumentalisation du corps de la femme. Et il y a le foutu « devoir » des hommes d’êtres mâles, virils, musclés pis toute. On les dévalorise dans les métiers traditionnellement réservés aux femmes. Pourquoi? Ben là. C’t’une jobbe de fille. Un vrai mâle, ça fait pas des jobbes de fille. Pis c’est mal payé. Et j’en passe.

Ce sont des inégalités, ça. Et les luttes féministes s’inscrivent dans un mouvement de solidarité qui souhaite réfuter toute forme d’inégalité. ‘Messemble que c’est pas compliqué. Et la philosophie politique peut justement jouer un rôle important dans l’éducation et dans la dénonciation de catégories sexistes, voire franchement misogynes au sein des échanges publics (p.175).

Fa’que finalement.

Lutter contre les inégalités hommes femmes, ça revient un peu au même que de lutter contre les inégalités riches-pauvres, blanc-pas blancs, en santé pas-en santé, patrons-pas patrons. Je sors de la lecture de l’ouvrage de Christian Nadeau avec la conviction que si t’es pas féministe, tu peux pas être progressiste, parce que, par définition, tu négliges ou tu encourages des inégalités contre lesquelles la gauche s’investit de lutter.

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Que ta lecture soit orientée ou non sur une des multiples facettes de la justice sociale, lis ça, man, tu vas capoter. Pis, accessoirement, de mon côté, je pense que je vais l’offrir à mes « amis » misogynes, à ma tante férocement anti carrés-rouges et adepte de la « juste part » et de la théorie du iPhone pis d’la sangria, et à ma jeune cousine pas encore politisée pis qui allait voter pour un certain nouveau parti dirigé par un certain ancien péquiste, parce que c’était la nouvelle saveur du moment pis elle n’était pas trop informée.
Je leur offrirais ce livre simplement pour faire équilibre aux arguments incohérents d’une droite de plus en plus désinhibée qui, bien qu’elle se targue de défendre les libertés individuelles, promeut tout de même des mécanismes qui au final violent l’essence même desdites libertés.

Merci à Christian Nadeau pour son ouvrage éclairant et qui, en plus, se lit comme un éclair au chocolat pis un verre de porto.