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Faut qu’on se parle

Par
Catherine Ethier
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Il y a de ces dates qu’on n’oublie jamais. La naissance de son enfant. Sa première permanente (la sienne ou la nôtre). Moi, c’est cette fameuse fois où je me suis fait sacrer là au McDo du métro Longueuil.

J’ai toujours eu un petit quelque chose avec les chiffres. Je n’ai pas une mémoire phénoménale, j’oublie souvent les détails importants d’une confidence qu’un ami proche me fait en tremblant du mandibule et je me demande régulièrement si je débute un alzheimer précoce.

Mais demande-moi le numéro de téléphone de mes petites amies du primaire ou la date de fête du gars qui passe le balai dans l’entrée du Pharmaprix, et je te sors ça en marchant sur un ballon. Retenir les choses qui ne servent à rien et y penser souvent, c’est un mode de vie. C’est pourquoi chaque année, même si y’a pas matière à célébrer et qu’il y aurait bien plus matière à me trouver un trente sous pour aller user c’te journée-là aux machines à boules, le 23 octobre est jour de flashbacks.

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J’ignore pourquoi, mais j’ai remarqué qu’il se passe peu d’années sans que le 23 octobre soit une journée étrange (si tu es en train de lire cet article après une journée à te battre contre une octogénaire pour partir avec le dernier fer à friser au prix du gros, sache que le 23 octobre, c’était hier. Espérance que t’as passé un bien beau boxing day).

Pourquoi le 23 octobre?
Eh bien tout a commencé devant un casseau de frites. J’étais, à l’époque, follement, éperdument et viscéralement amoureuse d’un garçon. Et ça adonnait bien, parce qu’on sortait ensemble. Mon premier vrai chum.

Vous savez, le genre de garçon que tu comprends ben pas comment ça se fait que t’es avec (bon j’avais peut-être un peu le self-esteem vacillant, aussi): joueur de basket, alors que j’avais de la misère à attraper un ballon de kinball, chevelure de jeune premier, alors que j’arborais la fameuse coupe en pic-pics qui donnait l’impression que je venais de Chambly, mais que toute jeune femme en devenir se doit de porter pour se déclarer furieusement funky. Teints noirs avec des mèches rouges, à part ça. Un genre de bonne prise.

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Toujours est-il que ce jeune homme me prêtait parfois son hoodie rouge serti d’un crest à’ mode, et au moment précis où je sentais les effluves d’Acqua Di Giò imprégnées au collet, j’aurais sacré Kate et Leo en bas du bateau d’une simple jambette pour me déployer les petits bras au bout du Titanic en sifflant de la flûte de pan. La reine était loin d’être morte, pis c’était moé.

C’était moé, jusqu’au jour où j’ai reçu le pire hotmail qu’on peut pas recevoir: faut qu’on se parle.

J’avais beau être rookie en matière de Danielle Steel, je savais que c’était pas JUSTE pour que je lui redonne son beau chandail rouge avec un crest.

Et le lieu que ce formidable prince avait choisi était ma foi tout à fait indiqué pour l’objet de la conversation: le McDonald’s des années 90 du métro Longueuil. Ce lieu accueillant. Ce lieu tamisé. Mais surtout ce lieu où crissée là j’allais bientôt être.

C’est que mon petit chum de gars avait lu quelque part que pour parler des affaires importantes, t’étais mieux de faire ça dans un lieu public. Un terrain neutre où les épanchements ne figurent pas au happy meal. Un temple où toute conversation serait ponctuée de la petite sonnette du chauffe-chaussons. Une dame qui avait décidé de pas mettre de brassière sous son t-shirt Humeur Design était assise à la table de biais; sundae en main, je vous dis qu’elle aurait pas changé sa loge avec personne d’autre. Elle savait ce qui allait se passer pis le caramel était juste chaud parfait.

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Chancelante mais déterminée à faire croire que je maîtrisais parfaitement la situation, j’avais insisté pour qu’on se commande quelque chose, parce que ton premier grand amour, tu veux le faire durer le plus longtemps possible, même s’il est juste rallongé d’un McFilet. J’EN AI PRIS DEUX.

Nous sommes retournés s’asseoir à la fantastique table qu’il avait élue pour faire le sale travail, celle près des toilettes.

Quelques semaines avant, mon joueur de basket m’avait demandé de lui écrire une lettre. Vous savez, comme dans les films. Lui, m’avait envoyé une cybercarte avec un gif animé de poménarien et moi, ben je lui avais écrit cinq pages d’amour sur du papier turquouèse. C’était la toute première fois que je faisais ça. Et je vous dis que je m’étais donnée; chaque mot pesait cent livres et je nous promettais une vie à l’image de la chorégraphie de Johnny qui s’en va retrouver Bébé sur le stage. Je l’aimais assez.

Mais apparence que ça lui a fait un peu peur, puisque trois jours plus tard, je mangeais un McFilet près des bécosses.

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Sous les bruits de séchoir qui annonçaient un an 2000 pétri de percées aéronautiques, il m’a donc annoncé que je n’étais plus à la hauteur de son standing, qu’il était pas certain de m’avoir jamais aimée, mais que j’avais un beau style. J’AVAIS UN BEAU STYLE.

C’était la veille de mes premiers intras de biochimie, le genre de veille sacrée que toute étudiante devrait passer en pantoufles, le casseau plein de chocolat chaud aux guimauves à se dire que demain, c’est le jour le plus important de sa vie, celui où tu vas changer le monde et faire des schémas de transmission de virus comme un caricaturiste dessine aisément toute personne en patins de fantaisie.

À la place, je pleurais dans un filet de poisson et je restais là, assise devant lui qui me tenait théâtralement les mains qui tenaient mon sandwich humecté (que je mangeais pour me donner contenance), souverainement satisfait du niveau de drame de sa mise en scène.

Le 23 octobre.

Et les années qui ont suivi, il s’est toujours passé quelque chose d’étrange en cette douloureuse date in memorium.

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Une année, un photographe du dimanche m’a demandé de me prendre en photo dans une cabine d’autobus, alors que j’attendais la 1 en mangeant des pinottes. Et moi, gagnée de gêne et de pas savoir par où fuir, j’avais posé, sourire serti de la petite pellicule qui enveloppe les pinottes, en silence, et je dois à présent figurer dans l’album d’un Buffalo Bill, quelque part sur la rive-sud.

Une autre année, toujours le 23 octobre, je me suis disloqué le genou en servant de l’agneau dans une noce. Juste au-dessus de la cliente assise, alors que je lui tendais son plat, rotule hors de son socket, dans l’espoir qu’elle finisse par tasser ses cristi de petits bras pour que je puisse déposer les cinq livres de viande devant sa belle blouse et tomber à la renverse dans les bras d’une autre serveuse. Ce que je fis.

Et hier, j’ai croisé mon voisin étrange au coin de la rue. Comme d’habitude, nous nous sommes échangé un « bonjour » moyen franc, jusqu’à ce qu’il me réinterpelle pour approfondir la converse en ayant l’air d’avoir rassemblé tout le courage depuis la Première Guerre: « Avez-vous mangé quelque chose de délicieux, aujourd’hui? AUQUÉ CIAO !!! » rire de crécelle, puis il quitta.

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« Manger quelque chose de délicieux auqué ciao » comme on souhaite la bonne année à un collègue de travail. Douleur au genou. Flashback de pinottes. Buffalo Bill habite entsoure de chez moi. Maxime qui m’a crissée là y’a 15 ans.

J’ai hâte à l’an prochain.

La bise