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Famille de sept enfants cherche une maison

Chercher un toit après un incendie en se faisant insulter.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Ça doit être de sept pères différents », « Vous devez être des BS tout croches », « Vous êtes artisans de vos malheurs».

Assise à la table de cuisine d’un logement un peu défraîchi de Chicoutimi-Nord, Amélie Boucher n’énumère qu’une petite fraction des commentaires qu’elle a reçus depuis qu’elle a entamé sa quête pour un toit qui saurait abriter sa famille nombreuse.

« Et encore là, je t’épargne les pires… », soupire la maman de 42 ans dont la vie a basculé, le 11 septembre dernier.

Ce jour-là, elle faisait une sieste avec les deux cadets de sa tribu, Flavie et Adrien, lorsqu’un incendie s’est déclaré dans la maison qu’elle louait depuis à peine un an à Saint-Fulgence, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. « Le feu a été tellement soudain, instantané. Les pompiers ont mis quatre heures à l’éteindre, la maison est une perte totale », résume Amélie. Sa famille a été relocalisée dans un hôtel durant 48 heures, avant de se dénicher un refuge temporaire dans le Airbnb de Chicoutimi où je l’ai rencontrée en début de semaine.

Par chance, personne n’a été blessé, incluant les poules, les canards, les deux rats de sa fille Léonie, deux chats et autant de chatons.

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Comme la thèse criminelle a vite été balayée, c’est l’un des chatons qui serait le principal suspect dans cette affaire, du moins selon Amélie. « J’allume souvent des petites chandelles dans la journée et un des chats a dû jouer avec, puisque j’ai retrouvé de la cire collée sur sa queue… »

L’incendie n’a pas mis de temps à se répandre, mais les pompiers sont vite débarqués puisque la caserne se trouve de l’autre côté de la route. « Je dormais et c’est l’odeur qui m’a réveillée. En ouvrant la porte de la chambre, j’ai vu que le divan était en feu. J’ai pensé essayer de l’éteindre, mais j’ai eu peur de tomber sans connaissance et de ne pas pouvoir sauver les enfants », raconte Amélie, qui éprouve un malaise vu la tournure des événements, mais aussi envers le propriétaire de la maison.

Surtout que ce dernier, Gilbert Turcotte, avait chaleureusement accueilli la famille en quête d’un nouveau départ. « Il nous avait organisé un party de bienvenue avec les gens du village », souligne Amélie, dont la relation avec le proprio s’est envenimée depuis le sinistre.

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Je vous épargne l’imbroglio judiciaire un brin compliqué sur fond de police d’assurance, mais en gros, la famille d’Amélie n’a pas les moyens d’allonger les milliers de dollars nécessaires pour se défendre. « Gilbert, on ne veut pas salir sa réputation. C’est un bon monsieur et on comprend sa peine, mais c’est un accident, tout ça », plaide Amélie, visiblement dépassée par l’affaire.

La générosité de Saint-Fulgence

À Saint-Fulgence, une petite municipalité située à 15 minutes de voiture de Chicoutimi, la maison placardée sent encore la boucane, deux semaines après le brasier. Autour, les oiseaux font un boucan d’enfer, mais ce n’est rien comparé aux voitures qui défilent à vive allure sur la route de Tadoussac.

La résidence en ruines se trouve à l’extrémité du terrain attenant à la Ferme du Ruisseau, une entreprise de production de fraises et de framboises bien connue du coin.

Joint pour commenter les tristes événements, le propriétaire Gilbert Turcotte n’a pas voulu s’épancher, se contentant de déplorer la perte de la maison de son enfance, où il a vécu 50 ans. « En plus, je n’ai pas de relève pour la ferme et je préparais ma retraite », déplore M. Turcotte.

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Devant la maison barricadée, on aperçoit quelques boîtes d’effets personnels qui ont échappé aux flammes, de même que des bicyclettes. Sinon, la famille a tout perdu.

Dans le voisinage, tout le monde a entendu parler de l’histoire de la famille de neuf qui s’est retrouvée à la rue. La générosité qui distingue cette communauté tissée serrée s’est donc fait sentir à coups de dons de toutes sortes. « On a tellement reçu de sacs de linge qu’on savait plus quoi en faire et on a nulle part pour entreposer ça. Mais c’est super gentil! », s’émeut Amélie.

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Autant d’initiatives qui mettent Amélie un peu mal à l’aise, incluant cette entrevue. « Je ne suis pas quelqu’un qui aime le spotlight. Je le fais parce qu’on a besoin d’un toit. »

Mission quasi impossible

Et c’est là le nerf de la guerre : trouver une maison pour héberger une aussi grosse famille. C’est déjà une mission quasi impossible de se loger à prix décent en 2024 pour quiconque, imaginez devoir le faire avec sept enfants et des revenus relativement modestes. « Ici, on paye 2000$ par mois et on peut rester jusqu’au 31 décembre maximum. Ensuite, c’est loué à d’autre monde », souligne Amélie.

L’année 2025 est donc synonyme d’un gros point d’interrogation.

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Amélie consacre ses journées à contacter des propriétaires via Airbnb ou des maisons à vendre qui ne trouvent pas preneurs, sans succès. « Dès que je parle d’enfants, je me fais revirer de bord », déplore Amélie, de retour aux études en ressources humaines, après avoir été coordonnatrice d’une ressource communautaire dédiée aux personnes en précarité. Alex, son conjoint, s’est aussi inscrit aux études au Cégep de Jonquière, en génie industriel.

Mais leurs prêts étudiants et dons reçus ne suffisent pas pour trouver mieux qu’un logement défraîchi dans un quartier un peu paumé de Chicoutimi. Le logement, réparti sur deux étages, comporte seulement deux chambres et un salon pour y installer huit personnes. « Ma plus vieille s’est fait offrir une résidence par son cégep », note Amélie qui n’aime pas trop le coin. « Il y a beaucoup de toxicomanie et de consommation, ce n’est pas idéal pour les enfants », souligne la maman.

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Un simple coup d’œil aux environs témoigne que le quartier est mal famé, donnant directement sur le pont Dubuc et le boulevard Sainte-Geneviève.

Plus qu’un toit

La petite Flavie s’étire le cou au-dessus de la table et me regarde avec ses beaux yeux bleus. Amélie pousse vers elle un petit bol contenant des raisins. Alex gère une couple d’affaires au téléphone dans la chambre principale.

Depuis l’incendie, le couple croule sous la paperasse. « Les premières journées après l’incendie, on n’a pas dormi, on aurait dit qu’on était sur le speed. Mais là, on réalise qu’on n’a plus de maison, plus de souvenirs. C’est pas juste un toit qu’on a perdu », laisse tomber Amélie, qui n’a pu sauver des flammes qu’une boîte de souvenirs et quelques outils.

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S’il n’en tenait qu’à elle, Amélie retournerait vivre à Montréal, dans son ancien quartier, Rosemont. Mais le marché locatif actuel l’entend autrement. C’est d’ailleurs pour cette raison que la famille s’est d’abord retrouvée à Vaudreuil, puis à Boucherville avant de finalement échouer au Saguenay, toujours à la merci des offres pouvant accommoder un tel clan. Ce n’est pas l’air pur du Saguenay, les grands espaces, la vie de banlieue ou la qualité de vie qui dictent l’endroit où la famille pose ses valises, mais simplement la rare possibilité de louer une maison munie d’au moins quatre chambres à un prix décent.

La famille a d’ailleurs coulé des jours heureux dans une maison abordable à Boucherville, jusqu’au jour où le proprio a décidé de vendre pour profiter de l’explosion des prix sur le marché immobilier. La famille a dû se rabattre sur une autre maison à Boucherville, pour vite découvrir qu’il s’agissait d’un logement insalubre.

Au Saguenay, les choses semblaient enfin au beau fixe, mais le destin avait encore d’autres plans, sous la forme d’un simple coup de patte de chaton. « Et même si je veux partir, pour la première fois de leur vie, mes enfants se sont super bien adaptés », dit Amélie non sans amertume.

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Léonie, 19 ans, va au cégep. Zack, 17 ans, est inscrit en musique et a des amis pour la première fois. À la fin de l’année scolaire, il compte faire un voyage à Nashville avec ses camarades de classe. Édouard, 15 ans, tire son épingle du jeu au basketball avec les Cyclones. Les autres, Gabriel (12 ans), Léna (9 ans), Adrien (5 ans) et Flavie (2 ans) se sont aussi bien intégrés à leur nouvel environnement. « Tout le monde s’est bien adapté sauf moi, finalement », reconnaît Amélie.

Elle poursuit malgré tout ses recherches, refusant de baisser les bras face aux nombreux obstacles qui se dressent contre elle.

Au lieu de s’apitoyer sur son sort, Amélie Boucher s’estime néanmoins chanceuse. « Ma famille peut m’aider. J’ai de l’éducation, mais je me mets à la place de quelqu’un qui n’en a pas, comme les parents du livre Rue Duplessis. Si je vis autant de préjugés, je n’imagine pas les autres », admet-elle, déplorant le manque d’empathie ambiant.

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Pour l’heure, la famille tente de mener une vie normale, malgré l’incertitude, l’anxiété croissante des enfants et les jours qui s’égrènent à toute vitesse. « On a sept lits à acheter et on n’a plus de laveuse/sécheuse! », lance Alex depuis le salon, comme s’il angoissait à voix haute.