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Faites-vous confiance aux ressources humaines de votre bureau?

Deux personnes témoignent.

Par
Gabrielle Thibault-Delorme
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En conflit avec un collègue de travail, France* est allée rencontrer la représentante en ressources humaines de son employeur. «Je pense avoir dit quelque chose comme: des fois j’ai le goût de partir. Mais je n’ai pas du tout évoqué la retraite», se souvient-elle.

Elle croyait avoir trouvé une oreille attentive qui allait l’aider à trouver des solutions.

Mais quelle fut sa surprise quand son gestionnaire est venu la voir quelques jours plus tard pour lui parler de retraite. La conseillère en ressources humaines lui avait dit que France y songeait.

France n’en croyait pas ses oreilles. Non seulement la personne à qui elle s’était confiée avait mal interprété ses propos, mais elle s’était aussi permis de colporter ces aveux (inexacts) à son supérieur.

«Je n’ai pas compris, parce que je n’avais jamais parlé de retraite, je ne suis pas prête de toute façon avant plusieurs années. Mais j’ai trouvé ça vraiment bizarre.»

France a craint que la relation avec son gestionnaire soit écorchée. Elle a craint des répercussions, que ce soit d’être poussée vers la retraite ou simplement de ne plus se faire confier des dossiers importants.

«Maintenant, moi je ne vais plus voir les RH.»

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Une situation difficile au travail s’est transformée en situation intolérable.

Elle reproche à la conseillère d’avoir à la fois mal interprété ses propos, mais aussi d’avoir semé le doute dans l’esprit de son gestionnaire.

«Maintenant, moi je ne vais plus voir les RH», exprime-t-elle, affirmant qu’elle est maintenant persuadée que tout ce qu’elle pourrait dire aux RH se retrouverait aux oreilles de son patron.

Une confiance mise à mal

De tels témoignages ne sont pas rares dans les milieux de travail. Pourtant, les ressources humaines sont souvent décrites comme un pont entre les gestionnaires et les employés. Pas besoin de chercher bien loin pour s’apercevoir que le pont est en piteux état.

On n‘a qu’à se rappeler des scandales reliés à la gestion des plaintes chez Google, Ubisoft, Uber et bien d’autres, au cours desquels des gestionnaires de ressources humaines avaient été accusés de ne pas avoir fait leur travail pour protéger les employés. On leur a reproché leur inertie ou d’être carrément au service d’un système toxique.

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Résultat: la perte de confiance est importante. Selon un sondage ADP Canada réalisé en 2019 par la firme Léger, près de la moitié des travailleurs anticipent une mauvaise nouvelle quand ils sont contactés par les RH. Quant à la perception du métier de conseiller en ressources humaines, ils sont surtout considérés comme des bureaucrates, responsables de l’embauche… et c’est à peu près tout.

Mais c’est quoi la fonction première d’un département de ressources humaines au juste?

Un rôle hybride

C’est la grande question que s’est posée Patrick*, qui a travaillé comme surnuméraire pendant sept ans.

«J’avais des horaires de jour, de soir, de nuit. Ça a fini par jouer sur ma santé», raconte-t-il. «J’ai rencontré un docteur qui m’a proposé de m’arrêter pour un mois.»

«Je ne crois pas qu’ils sont là pour nous aider ou nous défendre.»

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«Mais quand j’ai remis le billet du médecin aux ressources humaines, ils l’ont refusé. J’ai dû rencontrer un médecin choisi par mon employeur. Et ce médecin l’a invalidé.»

Épuisé et sentant qu’il n’avait pas de soutien du côté de son employeur, Patrick a finalement quitté la compagnie.

«Je ne crois pas qu’ils sont là pour nous aider ou nous défendre», laisse-t-il tomber.

La directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, Manon Poirier, est plus nuancée: «On s’attend parfois au discours d’un ami de la part des RH, mais ce n’est pas leur rôle», explique-t-elle.

«Il faut créer un lien de confiance. Les gens ont besoin d’être compris.»

Oui, les ressources humaines sont responsables des embauches et des congédiements, mais elles sont aussi responsables de la mobilisation, de la rémunération et de la formation des employés. Pour mobiliser les travailleurs, indique Manon Poirier, un climat de travail sain et de bonnes relations de travail sont essentiels.

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«Il faut créer un lien de confiance. Les gens ont besoin d’être compris», explique Catherine Émond, consultante RH et coach professionnelle chez GoRH. «Mais quelqu’un en RH, c’est neutre. On ne peut rien promettre, mais on peut accompagner l’employé.»

«Il y a une différence entre l’empathie et la sympathie», rappelle Manon Poirier. «Un conseiller en RH doit être empathique, mais neutre. Leur rôle est de donner un espace sécuritaire et confidentiel, mais aussi de donner l’heure juste.» Ce qui leur vaut parfois des critiques de la part des travailleurs, mais aussi des employeurs.

Quand le scandale éclate

«En 2017, avec le mouvement #Metoo, tout le monde a été conscientisé», se souvient Manon Poirier, précisant que les scandales ont incité le gouvernement à modifier la Loi sur les normes du travail.

La CNESST enregistre, chaque année, près de 4500 plaintes de harcèlement psychologique.

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Désormais, chaque organisation doit avoir une politique en matière de harcèlement psychologique. «Mais une politique, ça ne fait pas tout. Dans les faits, on n’a pas fait de grands changements», déplore-t-elle.

L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés a misé sur une certification des enquêteurs indépendants. Idéalement, indique Manon Poirier, les enquêtes sur les cas de harcèlement sexuel et psychologique devraient être réalisées à l’externe par des enquêteurs certifiés.

«Ça ne devrait pas être laissé au libre arbitre de l’employeur», tranche-t-elle.

«Certains employés réagissent émotivement, ils pleurent, ils sont en colère. Il faut comprendre leur intérêt. Il y a toujours une intention positive derrière une plainte.»

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Pour le moment, les employés dont la plainte n’est pas reçue par l’employeur peuvent se tourner vers la CNESST ou vers la Commission des droits de la personne. Une solution loin d’être idéale. «Je comprends le stress des travailleurs», dit Manon Poirier, ajoutant que la CNESST enregistre, chaque année, près de 4500 plaintes de harcèlement psychologique.

Rebâtir les ponts

Et 2020 n’aura pas fait grand-chose pour que les ressources humaines regagnent la confiance des employés.

Si la confiance est écorchée, il y a toutefois des pistes de solution, qui commencent souvent dans le bureau des ressources humaines. «L’écoute active est importante. Il faut être empathique et accepter le rythme de la personne. Certains employés réagissent émotivement, ils pleurent, ils sont en colère. Il faut comprendre leur intérêt. Il y a toujours une intention positive derrière une plainte», relève Catherine Émond.

Au-delà de ces qualités humaines, Manon Poirier souhaite aussi que le rôle des ressources humaines soit davantage valorisé et pris au sérieux. «Dans certaines PME, on nomme un conseiller aux ressources humaines qui n’a pas toujours le diplôme et les aptitudes requises», souligne-t-elle. «On ne nommerait pourtant pas n’importe qui pour être comptable. On ne peut pas s’improviser RH.»

Plusieurs patrons réalisent que leur compagnie se portera mieux si leurs employés sont heureux.

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Heureusement, le bien-être des travailleurs est de plus en plus pris au sérieux. Et même s’il reste beaucoup de chemin à faire, Catherine Émond remarque que les choses ont beaucoup évolué. Aujourd’hui, ignorer des plaintes d’employés a un important coût social. Le refus de l’employeur de prendre position est en soi une prise de position, rappelle-t-elle. «Si je tolère, c’est que j’accepte.»

Et on sent que les mentalités et les sensibilités évoluent. Plusieurs patrons réalisent que leur compagnie se portera mieux si leurs employés sont heureux. Et les RH ont clairement un rôle à jouer là-dedans.

«Aujourd’hui, on a besoin de mobiliser les travailleurs et de s’assurer de leur bien-être», conclut Manon Poirier.

*Ces noms ont été changés pour préserver l’anonymat de la personne.