Faisez vos recherches! : une plongée audio dans l’univers surréel de QAnon

« Imaginez un mauvais film d’action écrit par un gars de 13 ans paranoïaque qui a gardé absolument toutes les idées qui lui sont passées par la tête, ça vous donne une impression de l’univers QAnon. À côté de ça, l’univers Marvel avec des dieux nordiques qui chillent dans des vaisseaux spatiaux, on dirait un documentaire », lance l’humoriste Colin Boudrias au début du premier épisode de Faisez vos recherches! , un nouveau balado produit par Ricochet dont l’ambitieuse mission est d’essayer de démystifier l’indémystifiable.

Le ton est donné pour une plongée psychédélique aussi instructive que drôle dans au cœur de la complosphère, dont les théories farfelues ont été aussi populaires (et improvisées) que la passion pour la levure durant la pandémie.

Drôle, mais triste à la fois, c’est pourquoi les artisans derrière le balado ont fait preuve de tact pour vulgariser un mouvement mariant pédosatanisme, souliers fabriqués avec des bébés morts et voyage spatio-temporel, sans ridiculiser ses adeptes.

Un pari réussi, qui n’épargne cependant pas les leaders locaux de QAnon derrière la promotion de ces idées loufoques, qui font de l’argent sur la crédulité de leurs ouailles.

Pour discuter de tout ça, Colin Boudrias, Mathieu Charlebois et Liane Décary-Chen me donnent rendez-vous au parc Émilie-Gamelin. Fun fact, les trois camarades ne s’étaient pas encore vus « en présentiel » depuis la création de leurs épisodes (il y en a trois jusqu’ici et dix de prévus). Un projet 100% pandémique, autant dans le contenant que dans le contenu. Et même si le travail se fait chacun chez soi, la complicité est tangible à l’écoute, donnant l’illusion que le trio papote tranquille dans un salon.

Ce sera d’ailleurs la seule illusion de Faisez vos recherches!, qui nous tend au contraire des lunettes pour voir à travers l’épais brouillard QAnon.

J’apporte une pizza large pour la photo de groupe. Une idée de Mathieu pour faire un clin d’œil à la théorie selon laquelle les sous-sols de pizzerias servent de cachots pour garder en captivité des enfants kidnappés.

Comme des superhéros, les trois compères unissent leurs forces et leurs compétences pour traiter du phénomène, quitte à fucker leur algorithme pour cette noble cause.

Il y a Colin Boudrias, un « humoriste confiné qui a beaucoup de temps libre », qui admet candidement avoir décidé de s’intéresser au mouvement QAnon ces derniers mois « parce que le rire et le ridicule me manquaient ».

Le journaliste, chroniqueur et blogueur Mathieu Charlebois – qui admet à la blague (ou pas) avoir fait sa carrière grâce à son instinct pour les choses bizarres sur Internet – s’intéressait pour sa part déjà au mouvement. « Je veux pas avoir l’air du gars qui se vante d’avoir vu Radiohead au Quai des brumes pis qu’il y avait juste cinq personnes dans la salle man, mais j’ai spotté QAnon avant que ça devienne mainstream », raconte le réalisateur du projet dans le premier épisode.

Comme la crise sanitaire l’empêche de philosopher l’instant de plusieurs bières sur le sujet avec ses chums, c’est nous – le public – qui profiterons de ses réflexions.

Enfin, la chercheuse, créatrice et éducatrice populaire en médias numériques Liane Décary-Chen fouille les tréfonds du web pour nous éclairer de – eh oui – ses propres recherches. Un peu à reculons, puisqu’elle faisait au départ exprès de se tenir à plus de deux mètres de distance du mouvement QAnon, après avoir été échaudée par la campagne de harcèlement envers les femmes observée dans la foulée du gamergate. « Je ne savais pas que c’était aussi gros au Québec, je pensais que c’était juste aux États-Unis », admet Liane. Colin note avec justesse que le mouvement est la pire exportation américaine depuis Michael Bay.

Liane compare QAnon à la version internet du petit criss d’à côté qui n’en finit pas de garrocher des roches dans ta vitre pour avoir de l’attention. Mais comme il en manque toujours, il vient maintenant sonner à ta porte.

Les textes sont d’ailleurs truffés de ces métaphores et analogies savoureuses, ce qui aide à mieux faire avaler toutes les niaiseries débitées par QAnon.

Le premier épisode constitue une sorte de cours 101 de QAnon, un peu comme de la vulgarisation scientifique « mais de la chose la moins scientifique ever. »

Colin utilise même sa propre mère comme cobaye pour ramener les auditeurs/rices à la base. « On dit souvent qu’une bonne façon de vulgariser, c’est de faire semblant de l’expliquer à sa mère. Moi je me suis dit, pourquoi faire semblant! », lance l’humoriste, donnant lieu à un fabuleux segment dans lequel la pauvre Michèle semble un peu désemparée devant l’absurdité du phénomène. « Ces gens-là sont convaincus que le monde est contrôlé par une société secrète de l’élite, qui sont des pédosatanistes…», souligne Colin.

-Oh… my God, soupire sa maman, en lui demandant ce que signifie le Q (dans QAnon).

« Vraiment pas le genre de questions que tu t’attends à recevoir de tes parents », rétorque le fils.

Mathieu Charlebois s’attarde sur les têtes d’affiche québécoises de la complosphère, notamment Alexis Cossette-Trudel, décrit comme « le Véronique Cloutier de la conspiration » dans le showbizz de Faites vos recherches.

Le chroniqueur aime particulièrement les jumeaux Tadros, dont il suit la « carrière » depuis l’époque où ils chantaient des tounes de bitcoins.

On lui doit (à Mathieu, pas aux jumeaux) un environnement sonore fait de sons électroniques des années 80 et d’ambiances musicales planantes entremêlés aux extraits disjonctés des porte-voix du mouvement.

Mathieu nous guide dans cette « industrie de l’explication », où les « libres-penseurs » – surnommés les suiveux de Q par le trio – pensent ironiquement tous pareils.

Les choses se corsent dans le deuxième épisode, où l’on décortique les théories de QAnon. Pas de détour ni de gants blancs, on n’est pas chiches sur les détails. « On avait fait une promesse dans le premier épisode et à Faisez vos recherches!, on n’est pas comme QAnon. Quand on promet quelque chose, ça arrive! », souligne d’ailleurs Liane, raillant au passage les nombreuses dates de « grand ménage » constamment repoussées par le mouvement, pour cause de « il ne se passe jamais fuck all ».

Après avoir évoqué l’influence du cinéma dans le narratif de QAnon ( la red pill de La Matrice, etc.), le trio nous entraine dans le crunch. Bébés tués et torturés, pendaisons secrètes, arrestations de vedettes hollywoodiennes, réseaux de tunnels satanistes sous New York : tout y passe, incluant l’obsession des adeptes pour Clinton et le milliardaire Georges Soros, responsables (et complices) de tous les maux de la terre.

Liane simule même ce qui ressemblerait à un bulletin de nouvelles artistiques dans un monde QAnon. « En manchette, un retour sur les planches pour Marcel Leboeuf, des robes à couper le souffle sur le tapis rouge de la Guerre des tuques 3: la revanche de Cléo, mais d’abord: Tom Hanks a-t-il encore mangé un enfant? La gourmandise est un vilain défaut Tom! Et tout ça à Pédo-Potins! »

Au fait, saviez-vous que la chanteuse Beyoncé n’existe pas? On apprend qu’il s’agit d’une Italienne qui se fait passer pour une afro-américaine afin de pousser l’agenda Black Lives Matter financé par….par….eh oui Georges Soros.

Je passe rapidement sur la fascination des suiveux de Q pour le satanisme (une tradition anglo-saxonne) et la symbolique des souliers rouges « fabriqués avec de la peau de bébés humains tués et torturés par les personnes qui les portent ».

Juste ça.

Il y a tellement de matière que l’énumération de ces théories déborde dans l’épisode 3, avec l’adrénochrome prélevé sur les enfants pour produire un sérum d’immortalité. Ah, on évoque aussi la mort simulée de JFK Junior, qui est toujours vivant ET en mission dans l’ombre pour sauver le monde aux côtés de Donald Trump.

En fait, le fameux Q de QAnon, c’est peut-être lui!

Toutes ces théories « secrètes » existent bel et bien et sont connues des adeptes du mouvement. Un drôle de paradoxe, note Mathieu. « Comment ça marche une lutte secrète quand le plan est constamment révélé au grand jour? Si Stéphane Thibodeau est capable de déceler les messages codés et sait qu’Hillary Clinton sera arrêtée la semaine prochaine? »

À travers ce balado, Liane, Colin et Mathieu ont fait un travail de vulgarisation, sans pour autant s’imposer une pression journalistique. « Qui dois-je appeler de toute façon pour vérifier des infos sur un réseau de tunnels pédosatanistes sous New York? », demande Mathieu.

Colin ajoute avoir fait preuve de rigueur pour « quelque chose qui n’a pas d’allure. »

Et puis de toute façon, Liane estime que la neutralité serait un piège dans le traitement de ce mouvement, en plus de lui donner une légitimité d’exister. « En journalisme, on vérifie les faits, mais un des faits est qu’il n’y a rien de vrai », résume-t-elle.

Colin espère enfin que le podcast donne des outils à des gens pour discuter avec des proches qui seraient pris dans cet engrenage divorcé du réel. Encore plus à l’heure où toutes les prophéties annoncées par le mouvement ont fait chou blanc. « Si t’es encore dans QAnon aujourd’hui, t’es creux », résume Mathieu.