.jpg)
Faire les auditions de Star Académie quand on chante mal
Je l’avoue : je chante mal. Très mal.
Mais ce n’est pas mon atroce voix qui allait m’empêcher de repousser les limites du journalisme de terrain. Voilà pourquoi, le 12 septembre dernier, j’ai décidé de mener ma propre enquête de fond sur le déroulement de la première étape du phénomène culturel qu’est Star Académie : les auditions.
L’arrivée
C’est par un avant-midi nuageux de septembre que je marche d’un pas décidé sur le boulevard René-Lévesque. Devant moi, une fille semble se diriger elle aussi vers le Fairmont Reine Élizabeth, où ont lieu les auditions. Elle s’arrête un moment devant une fenêtre, se replace les cheveux, puis disparaît dans les portes tournantes de l’hôtel. Je m’y engouffre à mon tour.
Clairement, les gens ne viennent pas seulement pour honorer le droit du public à l’information : ils ont de réelles aspirations musicales.
Les préposées à l’accueil sont à l’image de toutes les autres qui travaillent à ces auditions : souriantes et avenantes. Ici, « candidats » s’écrit au féminin puisque nous sommes essentiellement de jeunes femmes blanches. Nous sommes peu nombreuses dans le hall, chaque personne a une heure précise de rendez-vous. Après avoir montré mon Vaxicode aux préposées, on m’invite à monter à l’étage.
N’écoutant que mon intuition de journaliste undercover en quête du scoop du siècle, j’en profite pour m’aventurer près des deux salles d’auditions. De l’une d’elles émane une splendide voix féminine. Devant la porte, une autre jeune femme attend son tour en compagnie d’une préposée. Des bribes de leur conversation parviennent jusqu’à mes oreilles: « Fais-toi confiance, murmure la préposée, personne ne sait qui sera pris ». La candidate hoche la tête, elle a l’air nerveuse. Clairement, les gens ne viennent pas seulement pour honorer le droit du public à l’information : ils ont de réelles aspirations musicales.
Le questionnaire
je n’ai strictement aucune idée de quoi répondre à la question «Pourquoi pourriez-vous gagner Star Académie?».
Nous sommes cinq ou six aspirants assis dans la salle d’inscription, bercés par une chanson de Lara Fabian qui joue de manière opportune dans les haut-parleurs. Avant de me donner en spectacle, je dois remplir en ligne un questionnaire d’une dizaine de pages. La longue liste de questions porte sur mes aspirations artistiques, mes artistes favoris ou mes motivations à participer à Star Académie. Une adolescente est assise avec sa mère devant l’ordinateur à ma gauche. Elle tape avec énergie sur le clavier et semble avoir en tête des réponses précises aux questions.
.jpg)
Je l’envie un peu, puisque je n’ai strictement aucune idée de quoi répondre à la question « Pourquoi pourriez-vous gagner Star Académie? ». (Réponse: N/A) J’opte ensuite pour la sincérité. À la question « Quelle est votre plus grande faiblesse en tant qu’interprète? », je réponds « ma technique vocale ». Mais je sourcille devant : « Avez-vous connu des embûches, des épreuves personnelles? ». N’ayant aucune histoire touchante à divulguer à la production, je décide de passer. Mais quand on me demande quels sont mes trois artistes internationaux favoris, je réponds avec enthousiasme : Usher, Taio Cruz et Jacques Brel.
L’attente
Je vais ensuite prendre ma photo, sur laquelle j’arbore fièrement mon numéro, le 527. Puis, une gentille préposée nommée Laurence m’emmène à ma salle d’audition, la numéro deux. Les deux préposées devant la salle m’expliquent le fonctionnement de l’audition et me rassurent : « Ça se peut que les juges te demandent de chanter une chanson dans un autre registre [je n’en ai qu’un, ce qui risque de compliquer les choses], ça se peut aussi qu’ils te coupent pendant ta chanson, mais ne t’inquiète pas, ce n’est pas nécessairement mauvais signe. » Je hoche la tête, compréhensive, tout en sachant très bien que si ça se produit, ce sera nécessairement mauvais signe.
L’audition
je pousse la chansonnette, égale à moi-même : je fausse sans arrêt et je ne suis pas le rythme de la trame.
Dans la salle, l’atmosphère est détendue et les deux juges sont souriants. On me demande mon nom, mon âge et la chanson que je vais interpréter, ce à quoi je réponds avec énergie : « Les moulins de mon cœur de Michel Legrand, mais la version de Frida Boccara ». C’est devant un Luis Clavis sceptique que je pousse la chansonnette, égale à moi-même : je fausse sans arrêt et je ne suis pas le rythme de la trame. Je multiplie néanmoins les regards pleins d’assurance vers les juges ainsi que les mouvements de bras, ce qui, je l’espère, me vaudra de ne pas être coupée après seulement quelques secondes. La juge à ma gauche me sourit avec compassion. Je surprends deux techniciens à l’arrière qui s’échangent des coups d’œil, se demandant visiblement pourquoi on ne m’arrête pas, mais je poursuis ma performance avec aplomb. Dès que j’ai expiré ma dernière note, j’affiche un grand sourire, visiblement fière de ma performance. Mission accomplie.
La fin
Par politesse, l’une des juges me pose quelques questions sur mon parcours :
- -Suivez-vous des cours de chant?
- -Non.
- -Pensez-vous en suivre bientôt?
- -Non. Je voudrais, mais j’ai pas vraiment le temps, avec l’université.
Épilogue
Mon audition terminée, je sors de la salle, et les deux préposées me demandent d’attendre un peu. Elles consultent leur ordinateur, attendant visiblement un message quelconque. Elles semblent le recevoir rapidement, puisqu’elles me confirment que je peux partir.
En me dirigeant vers la sortie de l’hôtel, j’aperçois Meghan Oak, une candidate de l’année dernière, qui entre dans le lobby. Dommage, j’aurais bien voulu qu’elle ou Lunou assistent à ma prestation qui relevait, à n’en pas douter, du chef-d’œuvre.
L’année prochaine, peut-être.