« Je ne renie pas mes contributions au discours public et à l’avancement des mentalités, mais j’ai aussi vendu de l’espoir cheap qui n’a pas servi à grand-chose. »
Depuis quelques années, Fabrice Vil s’est fait plutôt discret. Principalement connu comme chroniqueur pour Le Devoir et La Presse et comme entrepreneur social à sa fondation Pour 3 Points, il a pris la décision, en 2023, de se retirer de la majorité de ses engagements médiatiques à la suite d’un épisode de maladie affective bipolaire de type 1.
Il avait besoin d’un break. De ne « servir à rien », comme il l’affirme lui-même dans son essai à saveur autobiographique Bon gason! Konpliman! Egare!.
« Je sais pas si c’est ça qui m’a rendu malade, mais ça a été des années très stressantes », affirme le principal intéressé.
C’est un Fabrice Vil en pleine forme, coiffé de courtes tresses, qui se présente au Café Pista de la rue Masson pour me parler de ce projet d’écriture qui marque de son propre aveu le début d’un nouveau chapitre. Longtemps paratonnerre des foudres de la droite, Vil amorce cette nouvelle itération de la vie publique en prenant un pas de recul sur la personne qu’il a été et sur les systèmes sociaux qui balisent notre existence.
« Je fais ça pour la prochaine génération. Je suis nouvellement devenu père, je serai peut-être grand-père ou arrière grand-père et je voulais parler de mes erreurs afin qu’ils aient la possibilité d’aborder les mêmes problèmes différemment », confie-t-il
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Le Fabrice Vil qu’on a connu
Bon gason! Kompliman! Egare! est à la fois un récit autobiographique et une réflexion sur une kyrielle d’idées qui ont eu un impact non seulement sur son auteur, mais probablement sur vous aussi. Des idées comme la réussite, l’élitisme, le respect de l’autorité et plusieurs autres.
Fabrice Vil y raconte la genèse de la personnalité publique qu’on a connu de 2016 à 2023, mais aussi les différentes nuances qui se cachent derrière.
« Je suis arrivé dans l’espace médiatique par accident. Je n’ai pas cherché à être chroniqueur, on me l’a proposé. Je ne me suis jamais identifié à ce rôle-là, non plus », avoue le nouveau quarantenaire.
Sans se victimiser, il affirme avoir accepté ce rôle et être devenu un rouage dans un mécanisme médiatique plus soucieux de se perpétuer à l’infini que de résoudre les grands débats. La discorde, ça paye.
« J’ai été un des premiers commentateurs noirs qui parlait des enjeux de la société québécoise. À l’époque, ça bouillonnait dans l’opinion publique lorsqu’il était question d’enjeux identitaires, de diversité et d’inclusion. C’était explosif et j’étais pas prêt à ça. J’arrivais avec mon bagage de petit gars privilégié de Brébeuf et je croyais que tout le monde allait m’aimer », raconte Fabrice avec le sourire.
Dans son livre, l’ancien directeur général de Pour 3 Points remet en question, à travers sa propre expérience, la validité des figures publiques à titre de « héros » ou de « sauveurs » qui se donnent comme tâche de résoudre des questions beaucoup trop complexes. Il observe aussi que des figures publiques sont souvent issues du même milieu.
« Je regarde qui ont été mes collègues dans mes divers milieux professionnels et ce sont des gens avec qui je suis allé à l’école quand j’avais 11,12 ou 13 ans », révèle Vil entre deux gorgées de tisane. « Y a plusieurs milieux sociaux qui, malheureusement, minimisent les chances d’être choisi pour ces rôles-là. »
Petit gars de St-Michel… et de Brébeuf!
Au-delà de son expérience dans l’univers médiatique québécois, dans son nouvel ouvrage, Vil lève le voile sur les circonstance qui ont fait de lui l’un des rares élus à en faire partie. Originaire de l’Est de Montréal, c’est grâce à sa facilité à l’école et son talent naturel pour les sports qu’il deviendra rapidement ce qu’il appelle lui-même un hybride, capable de fréquenter plusieurs cercles sociaux et classes sociales à la fois.
Il parle, entre autres, de son passage au réputé collège Brébeuf comme d’une pierre angulaire dans la construction de sa personnalité. Son histoire n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de Rue Duplessis de Jean-Phillipe Pleau. Fun fact : les conjointes des deux hommes sont sœurs. « Je n’ai pas senti que j’ai quitté le milieu d’où je viens. Je suis plutôt allé chercher des outils dans des milieux plus aisés, mais ces milieux-là m’ont aveuglé à des vérités pendant longtemps. Mon besoin de réussite à tout prix, il vient de là », raconte Vil.
L’ex-entrepreneur social explique aussi ne pas nécessairement regarder son parcours comme en étant un d’ascension sociale. « Selon mon expérience, les classes plus aisées financièrement souffrent d’autres formes de pauvreté. Au niveau spirituel ou solidaire, par exemple. Ce n’est pas à négliger. Dans les milieu moins fortunés, il y a de la solidarité et de l’amitié que je n’ai constatées nulle part ailleurs. »
Cette poursuite effrénée du succès l’a mené à faire des choix qu’il remet aujourd’hui en question. Il n’hésite d’ailleurs pas à affirmer qu’à une certaine époque, il avait « la tête enflée » et que si ça ne se traduisait pas nécessairement dans son propos, on pouvait le constater par ses actions.
« Quand je dirigeais Pour 3 Points, j’ai eu mon époque où je visais la croissance à tout prix. On avait un beau projet qui fonctionnait bien dans Saint-Michel, mais moi je voulais plus. C’est pour des décisions comme celle-là que je te dirais que j’avais la tête enflée. »
Poursuivant avec un autre exemple, Fabrice Vil remet en question son implication médiatique dans les semaines suivant la mort de George Floyd en 2020. « J’étais sur tous les écrans, sur toutes les tribunes. Je pensais que j’allais régler la question du racisme tout seul. J’aurais pu être plus terre à terre et beaucoup plus dans la réflexion collective », remarque-t-il.
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Et le monde meilleur, lui?
L’auteur de Bon gason! Konpliman! Egare! n’a toutefois pas renié son idéalisme. Au contraire, ce sont plutôt ses méthodes qu’il met en examen à travers son ouvrage. « Je n’ai pas écrit un plaidoyer. C’est plus contemplatif, j’y fait des observations. Je laisse les gens tirer leurs propres conclusions », précise Vil.
La démarche se veut constructive et rassembleuse : Vil tente d’expliquer le contexte familial et sociétal qui a produit son identité médiatique afin que d’autres soient inspirés à le faire. Prendre un pas de recul pour créer un contexte favorable à l’empathie et à l’échange. Ça ne réglera peut-être rien du jour au lendemain, mais qu’avons-nous vraiment réglé dans le débat public depuis 10 ans?
En tant que personne racisée, il est conscient que la partie est loin d’être gagnée et qu’il reste un monde de travail à abattre pour que l’égalité, la diversité et l’inclusion soient mieux incorporées dans les mœurs, mais il ne recule pas devant la tâche. Au contraire.
« Comme personne noire d’origine haïtienne, plus je chemine, plus je constate la tension à se situer entre la souffrance et la joie. C’est quelque chose dont je me rends de plus en plus compte. Le jazz, le blues et le hip-hop parlent continuellement de ça. »
« Je ne peux pas ignorer les problèmes, mais je ne veux pas les laisser gérer ma vie. Cette tension-là garde le feu allumé et évite que je tombe dans la fatigue. »
Dans Bon gason! Konpliman! Egare!, Vil nomme les adversaires comme les alliés par leur nom , mais ne verse jamais dans les attaques personnelles. « J’offre un regard critique, mais je ne condamne pas et je ne méprise pas. Je veux laisser à tout le monde le bénéfice de me dire si j’ai mal compris quelque chose ou peut-être même de changer leur comportement. Je veux pas condamner, parce que je trouve qu’on perd notre humanité en faisant ça. »
À travers un exercice de déconstruction et d’autocritique approfondie, Fabrice Vil met la première pierre à l’édifice d’une réflexion collective sur le climat social ambiant. « Personne n’est un sauveur. Personne ne sauvera le monde par lui-même », philosophe-t-il à l’aube de sa deuxième vie.