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Existe-t-il un chemin vers la rédemption pour les personnes annulées?
Le 10 octobre 2017, j’ai commencé à travailler chez URBANIA comme gestionnaire de communauté. C’était exactement une semaine avant les dénonciations d’Éric Salvail pour inconduites sexuelles, début non officiel du mouvement #MoiAussi au Québec. Après Salvail, sur une période de cinq ans, il y a eu Gilbert Rozon, Bernard Adamus, Michel Venne, Julien Lacroix, Marie-Pier Morin, Philippe Bond et tellement d’autres que j’en oublie leurs noms.
J’ai été aux premières loges de la colère et de l’indignation. Je l’ai lue. Je l’ai ressentie. Je l’ai modérée lorsqu’il le fallait. Beaucoup de personnalités publiques ont dû répondre de leurs actes et assumer la responsabilité de leurs gestes.
Qu’est-ce qu’on fait, en tant que société, avec une personne dont les comportements inappropriés ont été dénoncés et qui est allée se terrer dans le néant technologique? Si elles arrêtent d’exister virtuellement pour le commun des mortels, ces personnes « annulées » ne cessent cependant pas de respirer, de se nourrir et surtout d’avoir besoin de travailler pour survivre et s’accomplir. Vont-elles aller visser des boulons à la GM, comme disait Johnny dans Slapshot?
Avant même de parler de réhabilitation et de retour dans l’oeil du public, je me suis questionné sur les premiers pas à franchir sur le chemin de la rédemption. Évidemment, chaque cas est unique et le spectre des comportements reprochés dans les dénonciations publiques est vaste.
Mais mettons-nous dans la peau d’une personne annulée, repentante et désireuse de faire amende honorable, pour éventuellement retrouver ce qui reste de sa carrière. Que peut-elle faire? Y a-t-il une marche à suivre? Peut-elle réparer les liens avec sa ou ses victime.s ET le public?
« Souvent, ce sont des gens qui s’apprécient entre eux »
Rémi Bourget est avocat en droit civil dans le milieu du travail, un endroit propice aux relations de pouvoir et aux problématiques qui peuvent en découler, comme des inconduites sexuelles par exemple. Il lui arrive d’avoir à intervenir dans des situations pouvant mener à des dénonciations publiques. Au cours de sa carrière, il a représenté des victimes et des agresseurs.
« Le plus tôt je suis impliqué professionnellement dans une situation comme ça, le mieux c’est, m’explique-t-il au bout du fil. Souvent, ce genre de situation se produit entre des gens qui se connaissent et qui s’apprécient. Qui ne veulent pas nécessairement devenir ennemis sur le plan émotionnel, juridique ou financier. »
Rémi Bourget m’explique qu’à ses yeux, la dénonciation, publique ou judiciaire, c’est la bombe atomique des moyens de résolutions. C’est ce qui va faire le plus mal à l’agresseur, mais la victime risque aussi de perdre le contrôle de la situation. Quand notre histoire se retrouve dans les mains de tout le monde et personne en même temps, elle est interprétée avec d’autres contextes et on peut avoir l’impression qu’elle ne nous appartient plus. D’autres options sont disponibles.
« C’est sûr que dans ce genre de cas, c’est crucial qu’il y ait de la sincérité partout autour de la table de discussions. [Un processus de médiation] ne fonctionne pas si la personne à qui les agissements sont reprochés n’est pas prête à prendre responsabilité de ses torts. Entrer dans un processus de médiation ou de justice réparatrice, ça prend du temps, cependant. Quand tout le monde est sincère, on peut trouver un terrain d’entente. Soit au niveau des excuses, au niveau financier, etc. », continue-t-il.
« Un procès, c’est une épreuve sur le plan émotionnel. Tant au civil qu’au criminel. »
L’essentiel de ce que me dit Rémi, c’est qu’idéalement, un cas d’agression, d’inconduite ou de transgression quelconque se règle à l’amiable, entre deux personnes de bonne foi. Tout dépendant de la gravité des actes commis, le meilleur code de conduite pour une personne ayant commis une agression est de prendre responsabilité de ses torts et d’offrir réparations.
Mais évidemment, ça ne se passe pas toujours comme ça.
« Pour la victime aussi, c’est un gros engrenage [la dénonciation et ses conséquences] à mettre en marche, souligne l’avocat. Ce qu’elle veut, souvent, ce sont des excuses sincères, une preuve de cheminement de l’agresseur et l’assurance que ce qu’elle a vécu ne sera pas vécu par une autre personne. Parfois, une compensation monétaire aussi. Un procès, c’est une épreuve sur le plan émotionnel. Tant au civil qu’au criminel. »
Réfléchir à la réintégration sociale des personnes annulées, c’est peut-être prendre le problème par le mauvais bout. L’aspect crucial, ce sont les réparations. Comme l’explique Rémi, si un agresseur prend ses responsabilités et que tout le monde y met du sien, dans le meilleur des mondes, la dénonciation publique ne serait plus nécessaire.
L’avenue de la justice réparatrice
« Je ne sais pas comment la justice réparatrice peut contribuer à un dialogue plus large, public. J’y crois, mais pour l’instant, je ne sais pas comment le prendre », m’avoue Marie-Ève Lamoureux, directrice générale de l’organisme Équijustice, qui me reçoit dans ses bureaux lumineux du centre-ville de Montréal. « La justice réparatrice, c’est ce qui se rapproche le plus du sur-mesure dans un monde de prêt-à-porter. C’est pas quelque chose qui convient à tout le monde, et surtout, ce qui s’y passe, ça appartient aux gens qui se prêtent au processus. »
La justice réparatrice est un processus qui vise à développer une justice accessible et équitable pour tou.te.s en donnant aux personnes lésées et à celles qui assument la responsabilité des torts infligés l’occasion de communiquer leurs besoins respectifs et d’y répondre.
La définition peut sembler intimidante, mais Marie-Ève m’explique que le terme « apaisement » est peut-être plus approprié à sa pratique. La justice réparatrice vise à combler un besoin et à apaiser la souffrance de quelqu’un ayant subi des torts en lui permettant de dialoguer avec la personne qui l’a lésé.
« La justice réparatrice, c’est ce qui se rapproche le plus du sur-mesure dans un monde de prêt-à-porter. »
Marie-Ève me dit un « non » clair et net lorsque je lui demande si la médiatisation d’un processus de justice réparatrice serait la solution miracle à une annulation. Son avis sur la situation fait écho à celui de Rémi : « Les balises de ce qui est suffisant comme réparations appartiennent aux gens qui y participent. C’est pour ça que c’est difficile à rendre public, parce que les réparations ne seront jamais suffisantes pour quelqu’un qui n’a pas le contexte. Par exemple, juste le fait de savoir que l’autre a pleuré ou baissé la tête pour la première fois dans sa vie, c’est difficile d’un point de vue extérieur de comprendre que ça fait du bien. Il faut faire confiance au processus et aux professionnels qui l’encadrent. »
La justice réparatrice se concentre d’abord et avant tout sur les besoins de la personne qui a subi des torts. Mais lorsque les conditions ne sont pas réunies pour que ce soit possible (par exemple, si la victime ne souhaite pas participer), le processus se tourne vers la communauté. Marie-Ève Lamoureux me donne l’exemple fictif de jeunes ados qui auraient cassé des fenêtres ou entré par effraction quelque part, créant ainsi un sentiment d’insécurité dans la communauté. Il devient alors important pour les personnes contrevenantes d’apaiser les gens autour d’elles au sens large.
« Dans plusieurs cas, c’est important juste de savoir qu’il y a un agresseur, explique-t-elle. On a tendance à associer l’agresseur à toute une catégorie de personnes. Tous les hommes, tous les conjoints, etc. Le mettre dans une autre posture qu’un agresseur, ça permet de comprendre que les gens ne sont pas juste méchants. Ça aide à arrêter d’avoir peur de tout le monde, tout le temps. »
Si l’on peut tirer une conclusion de tout ça, c’est que pour les personnes annulées qui voudraient être réhabilitées, tout commence avec le désir sincère d’amorcer une démarche de réparation avec la ou les victimes. Tout n’est pas noir ou blanc dans une relation, comme l’ont martelé Marie-Ève Lamoureux et Rémi Bourget pendant nos discussions. Les internautes peuvent bien juger la situation tant qu’ils et elles le veulent, mais personne d’autre que l’agresseur et la victime ne connaît réellement le contexte de leur relation, de l’agression qui s’est produite et de ce qui peut aider la victime à guérir.