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De toutes mes coupes de cheveux et de tous printemps, on m’a arrêtée sur le coin de la rue pour quérir une information. Mais ça ne s’est pas toujours passé comme dans une pub de Tangerine.
Parce que tout va toujours bien, dans les pubs de Tangerine. Le petit rouquin et sa tasse orange sont fort aise: ils vivent une vie calme, paisible et sereine, comme dans la forêt des sapins verts. Ils parlent doux, prennent leurs chèques en photo et font même du SEADOO, pour l’amour du saint-ciel. Y’a pas mieux.
Oh, je peux toujours m’équiper d’une tasse orange et m’abandonner au nautisme, moi aussi. Méditer mature sur un fil de fer. Mais la nature (et le pelvis de ma mère) m’ont dotée de ce fascinant, mais surtout rassurant faciès qui, semble-t-il, incite à l’apostrophade. Au « Excusez-moi, madame ».
Apparence que j’ai le visage en forme de kiosque d’information.
Petits cils bienveillants. Lunettes rondes, joues rebondies et demi-sourire toujours un peu collé à ma bette, vestige de mes siècles de vente de chemisiers pour monsieurs sous pression, font apparemment de moi la candidate toute désignée pour demander des affaires sur le trottoir sans risque de se faire trancher, puis déguster avec un verre de Chianti.
– Scuse, c’est où le Couche-Tard le plus proche?
– C’est par où, Baie-d’Urfé?
– CHU QUI, MOÉ?
C’est pas mêlant, un homme un peu chancelant m’a même déjà arrêtée pour que je l’aide à mettre son coupe-vent sur le terre-plein du boulevard Saint-Joseph (ce que j’ai fait).
Ne pas avoir la tête d’une psychopathe, c’est chouette. Ça me permet de passer aux douanes sans me faire tâter la fourche mais surtout, de gesticuler dans tous les sens sur le régulier pour t’indiquer le Woolco le plus près, parce que faire le chemin avec mes petits bras, ça m’aide.
Ça me permet aussi de fendre le vent en te courant après, deux secondes plus tard, pour te dire que je t’ai bien malgré moi envoyé dans le mauvais sens. Cessez de me demander votre chemin, je ne suis qu’une pardue avec une bonne tête. Mais une pardue qui veut aider.
Et ce qui me fascine, c’est ceux qui en veulent un petit peu plus.
Ceux à qui les noms de rues et l’heure du passage du prochain autobus ne suffisent pas. Ils veulent connaître la couleur des bancs. Les goûts musicaux du chauffeur. Et ils veulent que tu les rassure sur le pourquoi de quéssé que la ‘taubus est pas passée comme tu leur avais dit, à la seconde prévue. Sur ce qui va arriver avec leur journée si tu peux pas noliser un hélicoptère pour qu’ils puissent faire leurs commissions.
On dirait que de ce temps-là, j’en croise beaucoup, des comme ça.
Et ma toute dernière en lice, une qui a dû en ramasser, des rubans pour assiduité au cours de Labomaths, c’est cette brave citadine à la coiffure impeccable et parée d’un imper griffé que j’ai croisée cette semaine. Le regard hagard, elle déambulait, le talon aiguille s’enfonçant systématiquement dans la terre battue du Parc Laurier, avec la détermination d’une madame qui va se rendre avec dignité quand même que les genoux y’ déboîtent. Un petit morceau de paradis à regarder. Un cas de fusain, mes amis.
Et évidemment, elle nous a repérées assez vite merci, mes lunettes pis moi.
– La rue Brébeuf, c’est où?
Je regarde autour de moi pour m’assurer qu’aucun valet ni personnel spécifiquement engagé pour combler ses menus besoins de citoyenne Angus ne sont pas déjà après lui tracer une mappemonde avec leur sang. Un « bonjour » ou une esquisse d’une ride d’expression n’étaient pas inclues dans le forfait, et j’avais intérêt à me le tenir pour dit.
Mais comme je ne souhaitais pas la recroiser cassée en deux dans un trou de canal un peu plus tard, le talon aiguille couvert de pigeons prêts à l’échanger contre un sac de graines, je lui ai servi mon plus chaleureux accueil.
– Votre manteau est très élégant. Et la rue Brébeuf, elle est juste là.
Mon bras sûr et guidé par un index pointé vers la rue la plus près ne sembla cependant pas suffire à la citoyenne en question. Elle voulait, je ne saisis trop pourquoi, GAGNER.
Elle voulait que je sois celle qui était perdue. La faiblarde du duet.
Elle s’est donc efforcée de plisser ses petits yeux nâcrés en regardant au loin avec un effort inouï, comme si j’étais après lui montrer le diamant vert de Michael Douglas à 3 km de distance à la brunante. Comme si j’étais pas bonne bonne dans ma job de pointeuse de rue qui est pourtant juste là, calvaire.
– La rue est là madame. Juste là. LÀ. Mon index touchait presque au trottoir, je vous le promets.
– Mais c’est pas une rue, ça.
ALORS. L’égérie de Dior, victorieuse, me pointait la petite trail de terre défrichée par les assidus de la course autour du parc. Un chemin qui doit bien faire 15 pouces de large, en bouette, à quelques mètres de nous et sur lequel un potelé joggeur s’affairait à ne pas respirer trop fort pour ne pas interrompre notre échange de la plus haute voltige.
Pour sauver son égo, ce matin-là, la bonne dame avait décidé de m’apprendre ce qu’était une rue. De me livrer les secrets de la sauce, de l’urbanisme et des lignes oranges.
J’ai donc pris sur moi de me confondre en excuses et d’admettre à la seconde que Brébeuf n’était effectivement pas l’évidente et très dégagée rue que je lui avais d’abord pointée avec assurance, mais bel et bien cette petite veine de terre sillonant le parc. Cette fine ligne de glaise qui voulait vivre.
C’est comme ça, le Plateau. Des fois, ça rappelle la Nouvelle-France.
Et si vous avez besoin d’une indication, vous me trouverez près d’un cours d’eau, accroupie, après manger de la confiture avec mes mains à même le pot en maudissant le petit côté cheap de Pierre Lebeau.
La bise.
PS TENDRESSE :: allez donc chez le diable.