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Ă la rencontre dâun lecteur de bonne et mauvaise aventure et dâun serveur excentrique.
MaĂźtre Tom Mon Gee, lecteur de bonne et mauvaise aventure
Rue de la GauchetiĂšre, vers dix heures, Ă©tĂ© comme hiver, Ă lâextrĂ©mitĂ© de la grande terrasse en bois du restaurant Poon Kai, le vieux maĂźtre Tom Mon Gee prend place. Seul, une jambe croisĂ©e, tournĂ© vers la rue
piĂ©tonniĂšre, le regard vague, on lâimagine, conformĂ©ment au clichĂ©, en grand sage chinois, en vĂ©nĂ©rable philosophe. DĂ©trompez-vous.
Lâillusion du sage paisible se dissipe trĂšs vite. Aborder lâhomme de 70 ans, câest dĂ©clencher une conversation qui ne se terminera que quand il lâaura dĂ©cidĂ©. Il se lĂšve brusquement et place ses deux mains sur ma tĂȘte : «Your head is hard. Like a coconut! ». La duretĂ© de votre calotte crĂąnienne, votre physionomie, la largeur de vos trous de nez, la roseur de vos ongles et, bien entendu, les sillons dans les paumes de vos mains sont les barĂšmes sur lesquels se fie Tom Mon Gee pour vous lire et prodiguer ses conseils.
Il affirme, fier comme un paon: « En 1960 à Hawaï, je me suis classé dans les dix meilleurs diseurs de bonne aventure au monde. La compétition fut remportée par mon grand-pÚre qui avait 87 ans ! »
MaĂźtre Gee appartient Ă la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration de voyants : « Jâai enseignĂ© Ă mes six enfants, mais ils ne veulent pas en faire un mĂ©tierâŠÂ » dit-il en riant, « la mĂ©decine paie mieux ! ».
Debout sur la terrasse devant le buffet chinois, il regarde la rue de la GauchetiÚre en allumant lentement une cigarette. Un dernier conseil avant de partir ? «Une femme, une seule » marmonne-t-il. Hein?!? «Oh, vous pouvez essayer plusieurs femmes⊠mais une à la fois ! ».
Tong, alias Tom, serveur excentrique
Dans un recoin de notre minuscule quartier chinois, Tong sâactive Ă servir des clients non Chinois dans un restaurant au nom pas chinois. Parfois, les notes que Tong griffonne dans son carnet ne sont pas des caractĂšres chinois, mais bien une caricature de votre gueule de fin de soirĂ©eâŠ
Tong, qui veut dire « sucré » en chinois, sâappelle aussi Tom pour les Occidentaux. La nuit dans le restaurant v.i.p., les clients sont Blancs, Noirs, basanĂ©s, ils sont pimps ou escortes, «mais la nuit de NoĂ«l, il nây a que des Juifs et des Chinois », affirme le serveur comme pour me rassurer.
Un propriĂ©taire de salon de massage vient interrompre la discussion, un grand Noir baraquĂ© accompagnĂ© dâune jeune femme. Tong le dirige vers une table : «Oh, Monsieur est gros. Il doit manger beaucoup!» Comme la propriĂ©taire nâest lĂ que deux heures par semaine, Tong se permet dâĂȘtre comme ça, vraiment lui-mĂȘme. « Si les gens ne sont pas contents, je leur dis : je suis Chinois, nâessayez pas de comprendre!»
Et si on se moque de lui ? «Oh, je leur donne du take-out ! »
Tong travaille six jours par semaine, que fait-il pour se dĂ©tendre le septiĂšme jour? « Il mâarrive de prendre une biĂšre. Ou deux. Ou trois ! Beaucoup de biĂšre ! » Ă 3 heures du matin, quand Tong met la clĂ© dans la porte du v.i.p., il fuit le Chinatown pour aller dĂ©vorer un cheesecake.
Selon lui, il nây a rien Ă faire dans le quartier chinois. Et le diseur de bonne aventure en face ? «Ah lui! Tu dois croire Ă ces choses-lĂ , sinon ça ne vaut pas la peine. Sinon, nây va pas, rien de ce quâil dit ne va se produire. Il faut y croire, et câest la mĂȘme chose pour les fortune cookies ! »
Ce reportage est issu du #12 spécial Ethnies | été 2006
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