Logo

Étude de l’université Harvard : avoir des relations sexuelles avec un masque, vraiment?

On a demandé à la santé publique et à une chercheuse en santé sexuelle ce qu'elles en pensaient.

Par
Jasmine Legendre
Publicité

Il y a maintenant 12 semaines que la plupart des Québécois ont pris la direction de la maison en se conformant aux exigences gouvernementales, dont celle de ne pas partager leur lit avec des histoires d’un soir. En fait, même si l’histoire durait plus qu’un soir, si vous n’aviez pas la même adresse, on vous disait d’oublier ça.

Dans les premières semaines du confinement, les consignes d’Horacio Arruda étaient claires. Il invitait d’abord les adolescents le 16 mars à éviter les échanges de produits biologiques, pour ensuite ajouter le 7 avril que «la monogamie est préférable de ce temps-ci». Bref, ce n’était pas le temps de forniquer à gauche, à droite.

Mais le vent chaud annonçant l’été souffle et l’université Harvard semble sentir les pulsions des célibataires qui commencent à avoir hâte qu’on leur donne le feu vert pour découcher. Dans une étude récente, l’université américaine a fait la liste d’une foule de mesures tendant à «sécuriser» les rapports sexuels. Et cette fois-ci, « sécuritaire » ne veut pas dire se protéger contre les ITSS, mais plutôt contre le coronavirus. Leur prémisse est la suivante : «puisque la sexualité joue un rôle important dans la vie de la plupart des individus, les autorités de santé publique devraient s’attarder à la question le plus tôt possible.»

«On a beaucoup ri de la façon dont ça a été rapporté par Salut Bonjour, mais même dans l’article on met en évidence que si l’abstinence se poursuit dans le temps, ça met à risque notre santé mentale.»

Publicité

Les chercheurs ont donc émis leurs recommandations, énonçant d’abord les pratiques sexuelles les plus sécuritaires en allant jusqu’à celles ayant un plus fort potentiel de contagion à la COVID-19. Comme en faisait foi cette chronique de Gino Chouinard à Salut Bonjour il y a quelques jours (ça commence à 01:48:00), la liste a de quoi laisser perplexe. L’une des recommandations pour éviter la contagion lors d’un rapport sexuel? Porter un masque pendant l’acte, puisque la distanciation sociale est difficile à respecter lors des ébats.

On recommande aussi de désinfecter avec des wipes les surfaces touchées pendant le coït et d’éviter le sexe oral. C’est qu’on aurait trouvé des traces du virus dans les matières fécales des gens infectés. On encourage d’abord l’abstinence, mais si la tentation est trop grande, on opte pour la prudence avec un grand «p».

Captures d’écran Salut Bonjour

Publicité

Selon Sara Mathieu-C., chercheuse en santé sexuelle et consultante scientifique pour le Club Sexu, les chercheurs derrière l’étude sont conscients qu’il est peu probable que les recommandations soient suivies par la majorité des gens. «On a beaucoup ri de la façon dont ça a été rapporté par Salut Bonjour, mais même dans l’article on met en évidence que si l’abstinence se poursuit dans le temps, ça met à risque notre santé mentale», fait-elle savoir.

Que dit la Santé publique?

L’impatience se fait sentir d’autant plus que différents sons de cloche sur la question nous parviennent de partout sur la planète. Les relations sexuelles sont déconfinées au Danemark, et depuis mercredi elles le sont aussi au Royaume-Uni. Le premier ministre du Royaume-Uni a toutefois été très clair : «un booty call avec quelqu’un que vous avez fréquenté trois mois l’an passé n’est vraiment pas sur la liste des contacts acceptables».

Publicité

Au Québec c’est plus nuancé. «On parle de recommandations et non pas d’obligations», explique Madalina Burtan, responsable des communications à l’Institut national de santé publique du Québec.

«On se demande c’est quoi une digue dentaire et on comprend mieux c’est quoi l’épidémiologie et les chaînes de transmission parce qu’on en parle tous les jours.»

Et de quelles recommandations parle-t-on? Sur les sites du ministère de la Santé et de l’INSPQ, on martèle encore la même ligne depuis bientôt trois mois. «Les personnes qui ne vivent pas sous le même toit doivent éviter les rapprochements physiques de moins de deux mètres, incluant les contacts sexuels. Cette consigne s’applique à tous les partenaires sexuels qui ne vivent pas sous le même toit, qu’il s’agisse de nouveaux partenaires, de partenaires occasionnels ou réguliers.»

Publicité

Comme l’université Harvard, les autorités sanitaires du Québec encouragent la masturbation pour réduire au maximum le risque de transmission. Ils demandent aussi de réduire le nombre de partenaires sexuelles, et s’ils ne proposent pas d’utiliser le masque, ils suggèrent toutefois d’utiliser un autre moyen de protection : la digue dentaire.

Pour Sara Mathieu-C., le fait qu’on recommence à parler de protection sexuelle, même si c’est pour nous suggérer de porter le masque, pourrait avoir des impacts positifs sur le safe sex. «Ça ouvre les questionnements, se réjouit-elle. On se demande c’est quoi une digue dentaire et on comprend mieux c’est quoi l’épidémiologie et les chaînes de transmission parce qu’on en parle tous les jours.»

Est-ce qu’on peut encore appeler ça une relation sexuelle?

Comme on porte maintenant un couvre-visage dans les lieux publics, qu’on fait la file pour aller à l’épicerie et qu’on adhère davantage au télétravail, est-ce que le sexe tel qu’on le connaît est voué à disparaître, du moins pour ceux qui ne sont pas déjà dans une relation stable? Est-ce que porter un masque n’enlèverait pas la pertinence (et le fun) des rapprochements sexuels?

Publicité

Pour la chercheuse en santé sexuelle, suivre à la lettre les consignes de l’étude Harvard ne peut être envisageable que dans le role play. «Ça dépend de la raison pour laquelle tu veux avoir des relations sexuelles. Briser l’isolement? Ressentir de l’affection? Le scénario sexuel qu’on propose avec digue, condom, masque et Purell, ça ne répond pas vraiment au besoin d’affection de la majorité des gens», soutient-elle.

«Le scénario sexuel qu’on propose avec digue, condom, masque et Purell, ça ne répond pas vraiment au besoin d’affection de la majorité des gens.»

Si la sexualité n’était plus la priorité dans les derniers mois, alors que l’anxiété et l’insécurité trônaient au sommet de la liste, elle revient tranquillement reprendre sa place. « Les gens seront mis devant leur balance décisionnelle: ce qui compte et ce dont j’ai besoin. Est-ce que ça vaut le risque de contracter la COVID pour retrouver une satisfaction sexuelle?»

Publicité

Si pour vous la réponse est oui et que vous décidez de ne pas suivre les recommandations de la santé publique (notez qu’on ne vous encourage à rien, c’est entre vous et votre conscience), il faudra selon Sara «tricher intelligemment». C’est-à-dire, peut-être essayer de rester avec un cercle de partenaires plus réduit et limiter le sexe anonyme pour le moment. Ne serait-ce que pour pouvoir fournir à la Santé publique les coordonnées de vos partenaires, puisqu’il s’agit d’une maladie à déclaration obligatoire, comme les ITSS.