Logo

Être le visage d’une marque de char au temps des changements climatiques

Les constructeurs automobiles misent sur des vedettes jeunes et dans le vent. 

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
Publicité

Karine Vanasse qui file comme dans un film d’action à bord d’un Nissan Rogue, Marilou qui nous invite à vivre le WAH en Hyundai, Volkswagen qui nous promet du gros « funk » avec Pier-Luc Funk et Mélissa Désormeaux-Poulin qui vante les modèles électriques de Kia : de plus en plus, les constructeurs automobiles misent sur des vedettes dans le vent pour vendre des chars.

Mais dans le contexte où la planète brûle et les changements climatiques kidnappent notre hiver, est-ce que ce rôle devient inconfortable?

On a (vraiment) essayé d’en jaser avec un de ces nombreux porte-paroles, en vain. En plus de ceux énumérés ci-haut, on a aussi contacté Mariloup Wolfe (Chevrolet) et Marc Dupré (GMC), de même que d’anciens, comme Guillaume Lemay-Thivierge, mais toujours rien! J’ai également écrit à quelques constructeurs automobiles (Nissan, Hyundai, Volkswagen), sans succès non plus.

Publicité

Aurais-je perdu mes légendaires skills journalistiques ou est-ce que ce sujet est comme un caillou dans la roue en alliage du nouveau Sierra 1500 de GMC?

L’idée n’est pas de condamner ces artistes ou d’insinuer qu’ils se défilent (ils sont tous très occupés, me dit-on), mais mon petit doigt me dit que c’est plus facile de les faire parler de leurs activités artistiques.

Mais bon, c’est pas parce que les principaux intéressés ne sont pas disponibles que mon sujet n’est pas bon.

Pas le choix, par contre, de me rabattre sur d’autres intervenants.

Le plus vieux métier du monde (OK, pas tant)

D’abord, un cours d’histoire 101 sur les « vedettes porte-paroles de char » s’impose, rendu possible grâce à l’expertise du journaliste automobile Germain Goyer (Écolo Auto).

D’emblée, il m’explique que le phénomène ne date pas d’hier, citant le fameux : « Allez hop, cascade! » de l’imitateur André-Philippe Gagnon dans les années 90. Sans oublier la verve de Marc Labrèche au volant de sa Volkswagen et Martin Drainville chez Ford pour faire connaître la Festiva.

Publicité

Germain conçoit par contre qu’on peut se demander si cette position est devenue aujourd’hui moins confortable qu’une Honda Civic berline.

« La question est légitime. Je dirais que c’est plus une question de moralité que d’acceptabilité. Si l’artiste et son agent acceptent de s’associer à une marque et que celle-ci est satisfaite, quel est le problème? Si la personne qui regarde la pub est choquée, ça ne la regarde qu’elle-même », explique le chroniqueur automobile.

Il observe malgré tout un virage plus écolo chez certaines marques, qui utilisent leurs porte-paroles pour faire valoir des véhicules électriques ou à faible émission. « Il faut trouver des personnalités qui collent à la marque. Avec Marilou, on mise beaucoup sur les modèles électriques (IONIQ 5 et 6). Même chose pour Pier-Luc Funk qui pousse l’ID.4, le modèle de l’heure chez Volkswagen. Pour Nissan, Karine Vanasse vante des modèles électriques, mais également non électriques, comme le Rogue », relève Germain.

Publicité

Il ajoute que certaines marques sont moins défendables d’un point de vue environnemental, comme GMC et sa sélection de VUS et de pickups représentés par Marc Dupré ou encore Jeep qui compte désormais Martin Petit sous sa bannière (il faisait, ironiquement, campagne pour la Smart, il y a 15 ans). À nouveau, Germain se penche sur le casting des vedettes choisies. « Tu l’imagines (Martin Petit) avec ses bottines et sa chemise à carreaux sortir de la ville de temps en temps », souligne Germain.

Le choix des visages n’est pas fait sur un coin de table et est le fruit de profondes réflexions, enchaîne le chroniqueur. Tant le constructeur que l’agence publicitaire sont impliqués dans cette décision et ils sont bien sensibles au caractère distinct du Québec. Les scandales et controverses sont aussi mauvais pour les affaires, note Germain Goyer, citant la fin abrupte de l’association entre Maripier Morin et Buick en 2020. « L’équipe légale du constructeur fait ses recherches et certaines marques hésitent à cause de ça. Par exemple, il n’y a actuellement pas de porte-parole chez Mazda ni Subaru, pourtant de gros vendeurs au Québec. »

Publicité

Le stratège en communication Louis Aucoin (AUCOIN Stratégie & Communication), abonde dans le même sens sur l’importance d’un bon jumelage. En plus d’une voiture, on vend aussi un mode de vie. « L’acte d’achat est toujours motivé par une émotion. C’est par exemple tout l’univers émotionnel de Marilou qu’on tente de vendre : ce qui la distingue, son authenticité, ses valeurs. Si elle se met à vendre des pickups, il y a peut-être des gars qui vont se dissocier de la marque. En contrepartie, avec Guillaume Lemay-Thivierge, on vendait l’action, la vitesse », raconte l’expert en relations publiques.

Cachet de PDG

Bon, on ne tournera pas autour du pot plus longtemps, l’argent est le principal moteur de ces associations entre des personnalités et des constructeurs automobiles. C’est pas juste payant d’être la tête d’affiche d’une marque, c’est archipayant, confirme Germain.

« Il y a énormément d’argent à faire dans le domaine de la publicité automobile. Les cachets sont dans les six chiffres bien sonnés, comme le salaire d’un PDG d’entreprise, pour quatre pubs et une apparition au Salon de l’auto. Les personnalités qui refuseraient se priveraient de beaucoup d’argent », admet le chroniqueur autoMOBILE.

Publicité

Même si les vedettes choisies comme porte-paroles sont sans doute déjà très nanties, avec de prolifiques carrières, elles acceptent ces contrats parce que ça rapporte, assure le stratège Louis Aucoin. « Je n’en reviens pas de l’impact de ces influenceurs sur les ventes. Si bien que je me demande encore pourquoi continuer avec la publicité traditionnelle », déclare-t-il.

Peut-on blâmer les artistes d’une telle manne au nom de l’environnement? Même l’employée d’Équiterre à qui j’ai parlé refuse de le faire. « Chaque artiste a son propre code moral. Moi, si j’étais célèbre, avec mes valeurs, c’est sûr que je m’informerais sur l’industrie et leurs pratiques », nuance toutefois l’analyste en mobilité durable Anne-Catherine Pilon.

Quant à la crédibilité de ces porte-paroles, c’est une autre histoire. « Pour avoir parlé à quelques-uns d’entre eux, disons qu’au niveau de leur intérêt et du savoir, c’est assez limité… », tranche Germain, en pesant ses mots.

Instrumentaliser la nature avec un VUS

Si elle n’accuse pas les vedettes porte-paroles de faire fausse route, Anne-Catherine Pilon d’Équiterre dénonce toutefois quelques pratiques nocives et dangereuses de l’industrie automobile. À commencer par le fait d’instrumentaliser la nature en montrant des véhicules en pleine forêt ou des VUS en train de traverser le lit d’une rivière pour démontrer leur savoir-faire hors des sentiers battus.

Publicité

Même chose pour la conduite dangereuse, la vitesse ou un côté fast and the furious pour inciter les gens à investir dans certains types de bolides dits performants.

Anne-Catherine fait un parallèle intéressant avec l’industrie de la cigarette, où dans un passé pas si lointain, des personnalités, dont les célèbres Pierrafeu, en faisaient la promotion.

Qui sait si les pubs de chars auront l’air aussi anachroniques dans une trentaine d’années. Mais pour l’heure, l’industrie de la voiture a encore la pédale au plancher. Anne-Catherine observe cependant une sorte d’éveil collectif, une prise de conscience qui occupe de plus en plus d’espace dans la sphère publique, notamment en ce qui a trait au débat entourant l’imposition d’une taxe pour les véhicules polluants.

« Les porte-paroles ont une responsabilité. Ils vont peut-être exiger certains critères, comme de parler exclusivement de véhicules électriques ou de petits formats moins énergivores en essence », suggère l’analyste en mobilité durable, d’avis qu’il faut urgemment revoir la place de l’auto (et son nombre) dans notre société.

Publicité

« Même si tu mets de l’avant des modèles électriques, tu cautionnes quand même la compagnie dans son ensemble comme porte-parole », souligne-t-elle.

L’environnementaliste juge enfin paradoxal de voir des vedettes appréciées des jeunes vanter les mérites de l’industrie automobile. « Les jeunes sont les plus écoanxieux et susceptibles d’être déçus par ces gens-là. Il y a peut-être justement une volonté de l’industrie automobile d’aller conquérir cette génération, mais c’est une lame à double tranchant. »

Et l’avenir?

À entendre nos experts, ce n’est pas demain la veille que les vedettes influentes se garderont une gêne pour devenir le visage d’une marque de voiture. « J’ai l’impression qu’on n’est pas encore là, qu’on se définit encore par notre auto. Mais il est fort probable qu’à titre de porte-parole, tu ne voudras pas représenter n’importe quoi », croit le stratège en communication Louis Aucoin. Selon lui, de nombreux artistes continueront à accepter ces mandats ($$$), mais sous conditions.

« Ça sera une porte de sortie pour les personnalités lorsque la marque offrira la possibilité de devenir porte-parole seulement pour un modèle électrique ou à faible consommation au lieu de la marque en général, afin de se rapprocher de ses valeurs. On est en chemin vers ça, mais on n’est pas encore là », résume-t-il.

Publicité

Même son de cloche pour le chroniqueur automobile Germain Goyer, convaincu que certains artistes accepteront de plus en plus à reculons de vendre des voitures à essence. « Mais en ce moment, même s’il y a des voitures électriques, le porte-parole est associé à la marque au complet », insiste-t-il.

Du côté d’Équiterre, Anne-Catherine Pilon aimerait surtout voir les artistes exiger un meilleur encadrement pour les publicités, en demandant d’inscrire l’empreinte carbone d’un véhicule à même la pub, comme on le fait pour les risques associés au tabagisme sur les paquets de cigarettes. Elle souhaite aussi voir la fin des pubs tournées en pleine nature.

Enfin, cet article n’encouragera certainement personne à balayer du revers de la main une fortune pour vanter les mérites d’un véhicule.

Mais si cette idée tient encore la route en 2024, à quand une grosse vedette pour promouvoir le transport en commun?

Publicité