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Être drôle ou mourir

Par
Jonathan Roberge
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Ça s’est passé un dimanche soir dans un bar de Repentigny, un bar peuplé de gens différents allant du gars à la barbe en « bâton d’hockey » qui chauffe une Accent modifiée au traditionnel gars de construction qui porte un collier avec une dent de requin et qui se vante de connaître les Cowboys Fringants…

Si les gens du Saguenay ont les bleuets, les gens de Repentigny ont les gens qui connaissent quelqu’un, qui connaît quelqu’un, qui a un cousin qui est allé à l’école avec un des membres des Cowboys Fringants. Ainsi va la banlieue où j’ai grandi.

À l’époque, je faisais des matchs d’impro à tous les dimanches soirs dans un bar de mon quartier. Après un match, je prenais un verre avec les ami(e)s quand tout à fucking coup la porte du bar a claqué solide. Pas claqué du genre «Ah, la douce brise vient de fermer cette porte!»

NON ! Plus du genre “Un monsieur, amant de motocyclette, avec des patchs sur son jacket de cuir, venait de kicker la porte tel un spartiate”.

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Les 50 personnes qui prenaient une pinte ont soudainement fermé leur yeule et ont regardé le dit motard faire son entrée remarquée. Je ne sais pas si c’est le fait qu’il hurlait ou le fait qu’il crissait des coups de baguette de pool sur les bières du monde, mais il attirait notre attention.

Comme de fait, il se promenait entre les tables et semblait chercher le fuck. Il arrive à notre table… Me regarde… Je le regarde… Il me regarde… Je le regarde et il me donne UN COUP DE PAUME DANS LE FRONT!

C’est pas le fun un coup de paume dans le front! Mais je ne fais rien car il est un motard et je suis un jeune improvisateur en linge mou qui vient de finir un show. J’avais soudainement très chaud.

Lui, il transpirait le « Moi contre ta bunts! ». Je fixais ma bière quand il me retapa le front.

À cet affront, je réponds en bégayant :

« Woooo… ok… c’est beau… »

Mesdames, vous avez déjà chanté avec un peigne en guise de micro en vous regardant dans le miroir ? Les gars ont leur penchant masculin de ce geste : ON RÈGLE DES SHITS. Souvent, quand un gars est seul, genre dans la douche, il se fait des scénarios où il pète des gueules et règle des shits… Quand c’est le moment de se pogner pour vrai …on choke.

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Je tremblais. Trois de ses chums arrivent et lui disent que je suis un chic type, que je ne mérite pas de me faire casser la gueule et ils vont donc s’asseoir en gang au bar. Ils prennent des shooters qu’ils se permettent de lancer aux pieds d’une pauvre barmaid sans défense car le gérant est trop peureux pour faire quoi que ce soit.

Qui dit boire de la bière, dit évacuer le houblon un moment donné. Je me lève pour aller à la toilette quand un de mes amis que vous connaissez et que je ne nommerai pas (Alexandre Champagne) me prend par le bras et me dit : « Les toilettes sont juste à côté. Ne repasse pas là! »

Comme un épais, j’ignore les conseils d’un ami et je passe à côté d’eux pour me rendre à la salle de bain. Ce qui devait arriver, arrive. Le monsieur agressif me prend par le bras et me force gentiment à prendre place à ses côtés. Il me regarde avec ses yeux de gars trop sur la poudre qui vient de s’enfiler 60 shooters de whisky et me dit :

« Paraît que té t’un comique toé ? Compte-moi une joke sinon je te tue… »

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« Ok…Ben… Là… C’parce que… Je.. Comment dire… Une joke de même sur le fly ?… »

Il me répète de quoi du genre : « Fais-moi rire sinon t’es mort… »

L’amateur de moto m’offre des shooters. Je vous l’avoue à ce stade de l’histoire: je ne comprenais plus le rapport amour/haine qu’il entretenait avec moi.

Les jokes que je connaissais couraient dans ma boîte crânienne. J’essayais d’en attraper une au vol, mais aucune joke voulait être la responsable de ma mort si elle n’était pas assez drôle…

Dans le but de gagner du temps, je lui dis :

« Je te compte ça en revenant de pisser, OK? Je suis incapable de me concentrer quand j’ai trop envie… »

J’étais au stade où tu ressens ta vessie; tu peux même identifier sa forme en dedans de toi tellement qu’elle est pleine. Tu as juste peur qu’elle implose et que tu te remplisses de pipi.

Mourir, OK ! Mourir en pissant dans mes joggings… Devant mes chums, NO WAY!

J’étais incapable d’être assis confortablement, incapable de me concentrer car la peur paralysait ma créativité. J’ai même hésité à lui lancer un coat sur la tête en espérant qu’il se ferme la yeule comme une perruche dans sa cage.

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Ses acolytes au look « on est des motards méchants pas comme ceux de Sons of Anarchy » me fixaient et m’encourageaient à le faire rire. J’ai pris le shooter et je me suis dit :

« Invente une joke mon Roberge! »

J’ai commencé ma joke avec la pire prémisse de marde de l’humanité :

« C’t’une fois 3 gars… Un Anglais, un Français pis un Newfie… »

Pour être honnête, je n’avais aucune calisse d’idée de ce que je disais… Donc je me suis mis à étirer l’histoire dans l’espoir qu’un punch me vienne en tête…
« faque c’est ça, ils sont dans un avion… là, ils rencontrent un fermier…. pis là ben… »

NON-RIEN-NADA!

Le motard commençait à bégayer des yeux et à déparler pendant que j’étirais mon histoire… Je me suis dit que cet homme devait être un homme fier, ultra-orgueilleux. J’allais donc inventer une finale pas compréhensible, manger mes mots, marmonner 2-3 affaires, prendre mon shooter en riant, taper sur la table et attendre qu’il rie d’orgueil.

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« Bla bla bla bla bla faque, c’est là … Le newfie a mastiqué sa slush ! HAHAHAHAHA »
(PRISE DE SHOOTER) Soupirer en disant que c’est une de mes blagues préférées et attendre sa réaction.

Silence total, il me regarde, je le regarde, il me regarde, j’ai peur pour ma vie et il me dit :

« Crisse qu’est bonne… Je viens de la catcher… Awoie va pisser mon comique! »

Rendu là, je suis allé à la salle de bain pour la forme car toute mon urine s’était évaporée par mes pores de peau. Mes mains moites auraient pu abreuver un village complet.

Un de ses partners est venu me rejoindre dans la salle de bain et me dit:

« Je sais ce que tu viens de faire. Fais attention pour ne pas qu’il s’en aperçoive… Il vient de massacrer un gars à coup de baguette de pool dans le bar à côté parce qu’il avait refusé de le faire rire… SCRAM LE KID! »

Je suis sorti et là, j’ai eu la chienne de ma vie

Le motard au sens de l’humour spécial m’a pris très fort par la nuque et m’a dit :

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« C’est toi qui a inventé c’te joke là ? C’était drôle en crisse mon homme ! La journée que tu fais un one man show, dis-moé le… M’a aller te vouère… »

J’ai quitté le bar avec les jambes molles et un regard perdu…

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