.jpg)
Être cyberdépendant en temps de pandémie : comment ça se vit?
En 2020, ne pas être « accro » aux réseaux sociaux, à son téléphone intelligent ou aux jeux vidéos relève de l’exploit.
Pratiquement tout le monde est connecté en permanence. La preuve, même Josélito Michaud s’est récemment inscrit sur la plateforme de Zuckerberg, annonçant du même coup qu’on pouvait le suivre sur Twitter, Instagram et sa chaîne YouTube.
Comme quoi, cette année n’a pas fini de nous surprendre.
Pour plusieurs, le fait de consulter ses emails à la salle de bain et s’endormir éclairé du halo bleuté du cellulaire n’a rien d’anormal. Pour d’autres, l’utilisation de ces appareils électroniques frisent l’obsession et nécessitent de sérieuses interventions. Dans ces cas-là, il n’y a pas de guillemets autour du mot accro.
Heureusement, des ressources comme Le Grand Chemin existent pour venir en aide aux adolescents aux prises avec des problèmes de dépendance.
On s’est entretenu avec Marco Richard, intervenant spécialisé du centre de Saint-Célestin qui s’occupe du programme de cyberdépendance et Dominic Rousseau, un patient du centre qui a récemment entamé un programme de réinsertion sociale pour se sortir de l’emprise des jeux vidéos. L’idée était de comprendre comment cet enjeu s’est transposé en pleine pandémie.
Un problème méconnu, mais bien présent
S’il est clair que la cyberdépendance c’est beaucoup plus sérieux que le simple fait de passer un peu trop de temps sur Instagram, Marco Richard explique qu’il n’existe pas encore de définition claire de ce phénomène. «Les scientifiques ne s’entendent pas pour mettre des balises précises autour du problème. Ici au centre, on le qualifie d’utilisation problématique d’internet».
OK. Mais comment savoir si notre utilisation est problématique justement? «Il faut tenir compte des conséquences associées à la situation. C’est correct de passer une partie de notre temps libre sur internet. Mais lorsqu’on commence à négliger notre hygiène, notre alimentation, nos relations avec notre famille et nos amis pour gagner du temps afin de jouer aux jeux vidéos ou pour scroller ses réseaux sociaux, là ça devient une dépendance, explique Marco.
Pour être accepté au Grand Chemin, le patient doit être âgé de 12 à 17 ans et être recommandé par un «mécanisme d’accès en dépendance» (comme un centre en réadaptation) de la province. Un parent ou un adolescent ne peut donc pas appeler directement pour suivre une thérapie.
«L’école, c’est le principal facteur de protection. C’est sûr qu’en les laissant devant des écrans toute la journée à la maison, les risques de développer des dépendances sont augmentés.»
Quel rôle a joué la pandémie dans l’augmentation de cas de cyberdépendance? «C’est désormais plus difficile d’avoir une idée de l’étendue des besoins. D’habitude, la plupart des références pour des jeunes en cyberdépendance proviennent des intervenants dans les milieux scolaires. Mais comme beaucoup de jeunes font l’école à la maison et qu’il y a une réduction des services, on a moins accès à ces références», résume Marco Richard, qui croit néanmoins que la pandémie n’a pas dû aider les jeunes susceptibles de développer des dépendances. « L’école, c’est le principal facteur de protection. C’est sûr qu’en les laissant devant des écrans toute la journée à la maison, les risques de développer des dépendances sont augmentés ».
S’assurer que les jeunes qui sortent du centre après 8 à 10 semaines, soit la durée du séjour requis, ne replongent pas dans le gouffre de leur écran constitue également un défi supplémentaire enchaine l’intervenant.
En temps normal, le centre de Saint-Célestin peut accueillir 14 jeunes avec des troubles de dépendance (toxicomanie, jeu excessif et cyberdépendance) à la fois. Mais à cause des mesures sanitaires, seulement la moitié des patients peuvent être admis en ce moment. «On est un centre de bout de ligne, de dernier recours. Il n’existe pas un autre endroit au Québec où il y a une plus forte intensité de traitement», assure Marco.
Les adolescents qui débarquent au centre n’ont accès à aucune technologie, sauf un ordinateur pour leur permettre de faire leurs travaux scolaires « sous surveillance » et le visionnement d’un film « thérapeutique » par semaine.
Ils doivent également participer à des thérapies de groupe où des «jeux» sont utilisés pour leur faire réaliser des choses sur leur dépendance. « Que ça soit quelqu’un qui vient pour un problème de consommation de drogue, d’alcool ou de cyberdépendance, on va les faire travailler autour des mêmes objectifs comme l’affirmation de soi », témoigne l’intervenant, qui reconnaît que ces thérapies peuvent être particulièrement difficiles pour les personnes cyberdépendantes étant donné leur nature souvent plus introvertie.
En plus de l’implantation de mesures sanitaires, Marco Richard confie que le personnel s’est « cassé la tête » pour notamment permettre aux jeunes de continuer de recevoir des visites de leur famille et pour donner des formations aux parents sur la cyberdépendance. « Souvent ils sont peu outillés. La toxicomanie, on en entend parler depuis 100 ans. Mais les enjeux concernant la cyberdépendance sont peu connus ».
Les références pour les problèmes de cyberdépendance doublent chaque année
En apprendre plus rapidement sur ce problème typique du 21e siècle semble primordial étant donné qu’il est là pour rester et risque même de s’amplifier si on se fit à l’intervenant. « Selon nos données à l’interne, les références pour les problèmes de cyberdépendance doublent chaque année. Pour l’année 2019-2020, on a eu 26 jeunes en traitement pour ça et on a reçu 266 demandes d’aide de parents ou d’intervenants. C’est quand même assez impressionnant », admet Marco.
Gamer toute la nuit sans pouvoir s’arrêter
Pour Dominic, ce n’était pas les notifications sur Instragram ou Facebook qui le faisaient tripper. C’était les jeux vidéo. « Je ne faisais rien d’autre. Je ne sortais plus dehors, je ne mangeais plus, je me lavais plus. Je pouvais jouer 16 heures d’affilée, de 15 heures à 6 heures du matin», raconte le jeune homme de 17 ans originaire de Joliette.
Je ne faisais rien d’autre. Je ne sortais plus dehors, je ne mangeais plus, je me lavais plus.
Ne sachant plus quoi faire pour gérer l’utilisation excessive de jeux vidéo, ses parents ont contacté le centre de réadaptation en dépendance de Joliette, où Dominic avait déjà un dossier depuis quelques mois, pour leur demander leur avis. Le centre les a alors référés au Grand Chemin.
« Au début, je ne voulais vraiment pas y aller. Mais quand je me suis rendu compte que mon comportement faisait mal à mes proches, là je me suis dit que je devais faire quelque chose », confie l’adolescent.
À son arrivée au centre, il se rappelle ne pas avoir eu spécialement envie de jouer aux jeux vidéo. C’est lorsqu’il a aperçu un ordinateur que la tentation s’est fait sentir. « J’ai réussi à réprimer mes pulsions et à passer à autre chose quand même assez rapidement ».
En fait, son passage de 10 semaines au Grand Chemin s’est déroulé plus harmonieusement qu’il ne l’aurait pensé au départ. « On est vraiment encadrés, mais pas d’une manière désagréable. On nous laisse quand même une grande liberté et on ne se sent pas étouffé », concède Dominic.
Il reconnaît toutefois que la chimie du groupe n’était pas toujours idéale. «C’était vraiment up and down. Certains jours, c’était vraiment le fun et d’autres, j’avais envie de quitter carrément. J’ai appris un peu à la dure qu’il faut chacun faire des efforts pour s’assurer du bonheur du plus grand nombre ». L’adolescent a néanmoins réussi à se faire des amis avec qui il a gardé contact à sa sortie du centre.
«En théorie, j’aurais le droit de jouer à mes jeux avec modération. J’ai seulement décidé de me donner cet objectif-là pour me forcer à trouver d’autres loisirs.»
Depuis qu’il a quitté l’établissement du Centre-du-Québec le 1er octobre dernier, Dominic s’est donné comme mission de ne pas toucher à ses jeux vidéo pour au moins deux mois. « Quand on est cyberdépendant, ce n’est pas comme un toxicomane qui ne doit plus toucher aux substances. En théorie, j’aurais le droit de jouer à mes jeux avec modération. J’ai seulement décidé de me donner cet objectif-là pour me forcer à trouver d’autres loisirs », explique le jeune homme au bout du fil.
Pandémie oblige, Dominic s’est tourné vers des passe-temps plus solitaires. Il s’est notamment trouvé un intérêt pour la lecture. « Un de mes amis de thérapie m’avait proposé un livre donc je suis allé l’acheter. C’est gros pour moi parce que je n’aurais jamais fait ça il y a quelques mois », ajoutant du même souffle qu’il a également commencé à faire de la mécanique avec son père.
La guerre est loin d’être gagnée pour l’adolescent, mais il voit l’avenir d’un bon oeil. « Je n’ai pas encore deleté les jeux de mon ordi. On dirait que je ne suis pas encore capable. Mais pour l’instant je ne l’utilise que pour mes travaux d’école et j’aimerais que ça reste de même encore longtemps ».