.jpg)
Mes hommages.
Il y a 10 ans tout juste, je rentrais d’Angleterre. J’y avais passé quelques mois à servir de l’agneau à la menthe, suçoter des fish’n’ships emballés dans du papier journal dont le mot croisé était entamé et, accessoirement, m’amouracher d’un Anglais qui mettait beaucoup de choses dans son nez (pour la pastorale de la chose, imaginons-le à l’instant le museau garni de crayons de cire).
Un grand été. Et un retour des plus déchirants. Paumée, le cœur dans l’eau et le derme huileux de toute la friture que j’avais ingérée en écoutant du James Blunt (Hé. Ho. Il venait à peine de percer, c’était LA MANNE. Il célébrait la beauté, la redondance et l’agonie, et c’était précisément ce dont j’avais besoin. Halte-là, les regards de dédain), je tenais bon en téléphonant toutes les cinq minutes au Jean Coutu pour savoir si mes photos de campagne anglaise et de machines à cigarettes étaient prêtes.
Elles ne l’étaient jamais.
C’est que quand les grands étés prennent fin, le petit retour au quotidien et au kleenex dans la brassée de jeans correspond souvent à un coup de pelle sur les gencives: tu sanglottes et te demandes pourquoi tu saignes de la bouche si dru.
C’est pourquoi, de bon matin, je me suis levée avec la ferme intention de conquérir Montréal, de me trouver un emploi, devenir femme du monde et, avec un peu de chance, faire retentir mon succès si fort dans le Yorkshire qu’Adam (LES CRAYONS DE CIRE) se languirait de mon indiscutable charisme et traverserait l’océan à la marinière pour se joindre à ma business et me faire des petits.
Sans consulter la moindre petite annonce ou affichette, j’ai fait ce que toute femme du monde en devenir fait, dans les films, quand You make my dreams come true se met à jouer et que ses sandales cocktail font résonner le trottoir au rythme du rebondi de sa permanente: je suis allée porter des CVs sur Saint-Laurent.
C’est par là que débuterait ma conquête.
J’étais SI paumée. Si confuse et désireuse de m’occuper le mollet que la toute première chose que j’ai sue, c’est que je me suis retrouvée devant le Buonanotte, petite main crispée sur 15 curiculum vitæ qui se targuaient d’avoir complété un cours de gardienne avertie (un argument-clé inventé de toute pièce).
Ils allaient tomber sous le charme.
Ce jour-là, une chaleur accablante et moult souhaits d’hydratation pour le 3e âge étaient à l’ordre du jour. Chaque pas qui m’avait menée devant l’établissement avait couvert mon faciès d’une couche supplémentaire de sueur et de désarroi, mais que le diable l’emporte; je repartirais pas de là, pas de job. Je portais un bermuda anglais (j’ignore ce qu’est un bermuda anglais; mais la confiance de me l’être procuré dans Picadilly Circus était ce que Patsy Gallant est au lancer du paréo avant de se garrocher dans la piscine creusée de Michèle) et je m’étais aussi parée de ma petite blouse de dentelle vert menthe, avec un début de jupette qui masquait à merveille le muffin top que je cultivais depuis le cégep.
UNE VESTALE.
J’ignorais ce qu’était le Buonanotte. J’y était vaguement allée, plus jeune, avec ma famille, un soir de haute festivité, et tout ce dont je me souvenais, c’est qu’on y mangeait chic et que les gens bien signaient une assiette.
Et comme je venais de passer les derniers mois à m’improviser serveuse en trimbalant des bains de doigts à l’eau citronnée sur un cabaret au-dessus de ma tête, j’étais surqualifiée. En plus, je complétais toutes mes phrases par « I kid you not ». Un rêve sur deux pattes, avec les petits pieds par en-dedans. ILS SERAIENT CERTES CONQUIS.
J’entre, donc, le poitrail dressé vers la petite fille de l’accueil en tâchant de me stuffer l’angoisse dans le souriceau de queue de cheval de type Week-end chez Bernie que j’avais réussi à me crafter pour m’exhiber la maîtrise capillaire (une maîtrise sous-estimée).
Je regarde la petite fille.
Elle me regarde.
Je soutiens son regard et lui souris en constatant avec effroi, mais sans regarder, que j’ai la fly ouverte. Vous savez, cet instant précis du constat. Tu te revois après te désaccroupir, t’essuyer, remonter tes shorts mais PAS ta fly. Le petit oubli qui lèse.
Elle avait beau me regarder dans les yeux, il y avait déjà plusieurs secondes que ses cils soyeux avaient posé dédain sur ma fourche exposée.
Je décidai de ne pas en faire cas et de la remonter comme la Reine se remonterait braguette au Royal Ascot: avec vigueur et (sans doute l’aide de trois êtres qualifiés).
Elle me regarde toujours.
Je la regarde et décide de mettre fin à cet épuisant tennis de cornées pour me présenter le précieux, l’utile et le gardiennage averti.
Elle connaissait précisément l’objet de ma visite. Ne se présente pas jeune femme, comme ça, en plein milieu d’après-midi avec ses petites feuilles nerveuses, pour commander un plat de gnocchis ou mettre des têtes à prix en parlant pas fort avec des hommes en costard. Et comme je n’avais pas à mes côtés une barouette remplie de Yukon Gold, j’étais pas la livreuse de patates, non plus.
Elle connaissait l’objet de ma visite, mais oh! que ça ne semblait pas faire son affaire. Jamais mon corps n’avait ainsi été détaillé, et le dégoût qui résultait de l’analyse était effarant.
Pan. Pour la première fois de ma vie, j’ai su que j’étais grosse.
IMMENSE. Un cas de Jenny Craig aigu.
Puis, j’ai vu le reste du personnel. Des mannequins. De grandes cannes au pelage lustré. J’aurais pu en soulever quatre rien qu’avec ma ponytail.
J’ai à peine eu le temps de me présenter fleurette qu’elle m’a immédiatement coupée (COUPÉE DANS MA PHRASE DE BONJOUR) pour me dire sèchement qu’ils ne cherchaient personne. Et surtout pas de potelée à l’aura de gravy qui devait avoir besoin d’un bâton pour se gratter la chute de reins.
C’est ainsi qu’elle se remit à fixer son lutrin, lutrin sur lequel il n’y avait rien.
Cet instant de ma vie où autrui m’a signalé combien j’étais inadéquate (et surtout furieusement moche), je l’avais oublié. Jusqu’à ce que je vois passer cette photo de concurrente d’Occupation Double, robe-uniforme fuschia, balles célébrées, gencives saines et petite assiette signée de la main d’un client de renom dans ses mains de serveuse Grade A, concurrente qui elle, a eu cette chance qu’on m’a refusée il y a une décennie.
Je me demande ce qu’il serait advenu de moi si, par une chance inouïe, on m’y avait engagée. Je dirigerais peut-être la salle de bal. La terrasse. Une maison de passe. J’aurais frayé avec la haute. Porté de très petites robes. Me serais usé le talon et cultivé la grâce sur les cuisses de tant de gens bien.
Au lieu de ça, je me suis trouvé une job dans un petit resto de Westmount et me suis disloqué le genou quatre semaines plus tard en servant dans une noce. Béquilles pour deux mois (le temps de rompre fiançailles avec mon Anglais et de sombrer dans un abîme de bagels au fromage jaune).
Si tel était mon destin, je préférais m’être fendu la rotule au-dessus de l’épaule d’une tante Gladys venue assister à un mariage que devant cette garce qui m’avait refoulée dans le portique d’un restaurant de pâtes.
J’ai, depuis, retrouvé confiance et ralenti ma cadence de bagels.
Et je souhaite, de tout mon ventricule, beaucoup de bonheur à cette jeune femme qui m’a, jadis, sprayée de son portique avec un restant de Raid. Beaucoup de bonheur et une promotion à la gérance ou l’essuyage de verres.
You go, gurl (JE NE SUIS PAS AIGRIE).
La bise.
PS TENDRESSE : ma vie pour qu’on me demande un jour d’y signer une assiette. MA VIE.
***
Pour lire un autre texte de Catherine Ethier : “Guylaine Tremblay va bien”