J’étais souvent dans le sous-sol de mon église. Il y avait toujours trop de chaises en bois ou pliantes, des nappes du Dollarama et un buffet improvisé qui sentait l’ail, le pancit et le poulet de Noël hors saison. C’est là que j’ai découvert mon premier Québec. Celui de la communauté, du bén évolat, du service, des gens qui se serrent les coudes, même lorsque les chaises n’étaient pas assez solides.
Pendant près de dix ans, mon père a été Grand Chevalier des Chevaliers de Colomb d’un conseil presque entièrement filipino. Mais, de temps en temps, des Québécois de souche d’autres conseils venaient nous rendre visite et on partageait un repas avec eux après la messe. Je voyais la curiosité dans leurs yeux en regardant la nourriture. Ce fut l’un des premiers référendums culinaires pour plusieurs. À la fin, tout le monde a dit « oui », parce qu’il y avait du dessert.
C’est dans ce sous-sol que j’ai découvert mon premier Québec. Pas encore un pays dans ma tête, mais un endroit où je me sentais déjà chez moi.
Langues sous le même toit
À la maison, mon cerveau jonglait avec cinq langues : le tagalog pour les demandes parentales, l’hiligaynon pour les confidences, le kinaray-a pour les secrets de famille, l’anglais pour regarder Mutsumi Takahashi sur CTV, et le français pour survivre à la cour d’école.
Le franglais, c’était la colle qui maintenait le tout ensemble. Je n’aurais jamais réalisé qu’un jour, quelqu’un, quelque part, trouverait ça problématique.
En grandissant, je n’étais pas indépendantiste. Le pays, je l’ai découvert plus tard, à la fréquence de mes rencontres, de mes études ou voyages en région, et de mes propres contradictions. On ne naît pas avec une opinion : on la construit.
On ne naît pas souverainiste non plus
J’ai grandi dans une nation en quête d’identité, mais que beaucoup aimeraient qualifier de pays.
Sa langue, le québécois, j’ai appris à la connaître dans le sous-sol d’une église, dans les couloirs d’une école, dans les riffs des Cowboys Fringants et les refrains de Céline. Une playlist confuse, mais cohérente. Je ne l’ai pas apprise seulement à Montréal. Je l’ai apprise en Gaspésie, où le vent parle plus fort que n’importe quel commentateur politique. Je l’ai apprise en Estrie, où les montagnes ressemblent souvent à des vagues gelées. Je l’ai aussi apprise dans le Bas-Saint-Laurent en regardant le soleil tomber dans l’eau jusqu’à disparaître.
Ces paysages démontrent que le Québec a déjà l’âme d’un pays.
Quand la jeunesse parle
Dimanche soir, en regardant Tout le monde en parle, j’ai écouté Mounir Kaddouri (alias Maire de Laval), Lou-Adriane Cassidy et Kinji00, trois jeunes indépendantistes qui se confiaient sur leurs expériences et leur réalité. J’ai reconnu ce pays dont ils parlaient et, comme diraient les jeunes d’aujourd’hui : Mounir l’a cook. Il parlait avec son cœur, pas avec son Petit Robert ou son Bescherelle.
À ce moment-là, je me suis dit que croire au Québec ne devrait pas dépendre d’un cursus ou d’un pedigree politique.
Il y a des gens qui aiment tellement le Québec qu’ils rêvent d’une langue française sans un seul mot d’anglais. Je les appelle, avec respect, les protecteurs du français québécois. Car pour plusieurs autres, le Québec parle TikTok, le métro, les sous-sols d’église, ou même la poésie de rue. Nous n’avons pas la même histoire, alors forcément, nous ne la racontons pas de la même manière. Et c’est très bien ainsi.
Au fond, nous voulons tous la même chose : un Québec sûr de lui, tant dans sa langue que dans son histoire. Certains accordent plus d’importance à protéger ce qui nous fonde, d’autres à accueillir ce que l’on devient. Ces élans se confondent et se complètent. Nous avançons avec nos accents, nos références et même nos contradictions.
L’important n’est pas d’avoir une seule façon d’aimer notre Québec, mais de continuer à le construire ensemble.
La langue, un chantier vivant
Je suis né ici, mes parents sont devenus citoyens. Notre famille n’a pas immigré pour voir la vie défiler, mais pour la construire. J’ai grandi avec ce privilège immense de pouvoir dire « nous » en parlant de ce pays.
Dans le 514, le français se mélange au monde entier : il se créolise. Il vit. Il danse. Il absorbe.
Chaque année, des jeunes de partout au Québec inventent des mots qui se joignent à notre lexique officiel. C’est notre français qui se réinvente en direct, dans les cours d’école, sur TikTok, dans nos bouches. La créativité lexicale n’est pas une fantaisie, mais un acte politique. Chez nous, le français n’est pas un monument. C’est un chantier. Et la jeunesse en est l’architecte.
Un pays qui existe déjà
Je crois au Québec en tant que pays. Celui qui existe déjà dans nos réalités quotidiennes. Celui où un jeune peut dire qu’il est Québécois sans devoir se soumettre à un questionnaire sur ses origines. Celui qui sent à la fois la tourtière et le riz frit.
J’ai le Québec tatoué sur mon cœur, comme le chante Sébastien Côté dans Outarde.
Pas en bleu royal ou en motif fleurdelisé, mais dans la langue qu’on parle, dans les efforts qu’on fait, dans l’amour qu’on porte à ce projet collectif : le Québec.
Le pays existe déjà. Il a ma voix. Il a la vôtre. Il a toutes celles qui se croisent dans un couloir de métro.
Le pays existe déjà. Nous n’avons juste pas encore fini de le construire.
Et si, bientôt, le Québec apprenait à dire kilig, ce frisson joyeux quand l’amour nous surprend?

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