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Et si Dieu était une femme?

Coup d'oeil vers les déesses en cette Journée internationale des femmes.

Par
Camille Dauphinais-Pelletier
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En passant quelques minutes sur Google, on peut rapidement trouver des calendriers de déesses, apprendre des rituels lunaires à faire en leur honneur, acheter des statuettes les représentant sur Etsy et même booker différents voyages spirituels pour visiter des lieux de cultes de déesses. Internet nous le confirme : il y a un intérêt pour les déesses en 2018!

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Difficile par contre de chiffrer le phénomène, parce que ces pratiques se font beaucoup de façon personnelle, et que les formulaires de Statistique Canada ne posent pas la question « Vénérez-vous une ou plusieurs déesses? ».

« On voit resurgir le culte des déesses un peu partout, sur le web et entre individus, que ce soit avec l’art de la déesse, les relectures de textes religieux, de nouvelles représentations de déesses, le tourisme de la déesse… Il y a même du yoga de la déesse, avec des positions qui relèveraient d’elles », explique Patrick Snyder, professeur au département d’histoire de l’Université de Sherbrooke et spécialiste des liens entre les femmes et les religions.

« On voit resurgir le culte des déesses un peu partout, sur le web et entre individus, que ce soit avec l’art de la déesse, les relectures de textes religieux, de nouvelles représentations de déesses, le tourisme de la déesse.»

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« On sait que ça existe, que c’est un phénomène mondial, mais c’est difficile de le déterminer. Pour percer un peu le mystère de ce mouvement, qui semble avoir une ampleur incroyable, il faudrait explorer le big data pour voir le trafic web sur le thème des déesses », dit-il.

En attendant, des données amassées sur le Mouvement de la déesse (dont les adeptes vénèrent une seule déesse) indiquent que le phénomène est surtout populaire aux États-Unis et en Grande-Bretagne, que les adhérent(e)s sont surtout des femmes, principalement blanches, provenant de différentes religions, de la classe moyenne, et assez jeunes : âgées entre 26 et 41 ans.

La déesse unique, créatrice du monde (et de controverses)

Les fidèles du Mouvement de la déesse considèrent qu’une déesse unique a été vénérée universellement à la fin de la Préhistoire, au sein d’une société matriarcale à laquelle on aurait intérêt à revenir. L’historienne et archéologue américaine Marija Gimbutas a notamment fait circuler cette idée à partir des années 70, se basant entre autres sur les statuettes retrouvées un peu partout à travers le monde et les siècles, pour démontrer son hypothèse.

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Parenthèse controverse : Marija Gimbutas a essuyé de nombreuses critiques d’universitaires qui estimaient qu’elle mélangeait sans vergogne les peuples et les époques, et avançait bien des hypothèses à partir de peu de preuves. D’ailleurs, ses critiques les plus acerbes provenaient… de chercheuses féministes! « Les académiciennes féministes reconnaissent que le Mouvement de la déesse a incité des spécialistes à faire des recherches sur le statut de la femme dans la Préhistoire et à mieux comprendre le culte d’Isis, ou de Marie. Mais le manque de preuves scientifiques [des théories de Gimbutas] remet en question la crédibilité des études féministes dans les universités, et elles soutiennent qu’il faut des assises fortes », explique Patrick Snyder.

Le Mouvement met aussi en opposition une déesse féministe douce, pacifique, écologique en opposition avec un dieu masculin de force et de guerre. Une opposition binaire qui cantonne les deux sexes dans des rôles bien précis…

Et si Dieu était entre autres une femme?

S’il est peu probable que l’ensemble d’une société à une époque donnée ait vénéré une unique déesse féminine, pas besoin de chercher bien longtemps pour trouver des déesses féminines qui ont effectivement été vénérées – et qui n’avaient pas que des rôles secondaires.

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L’une des rock stars est Isis, qui est devenue une déesse très importante, à la puissance universelle, au premier siècle avant Jésus-Christ. On la connaît surtout comme déesse égyptienne, mais son culte s’est tellement étendu qu’elle a eu des temples jusqu’en Grèce et en Italie.

« Au début du christianisme, on retrouvait trois cultes en concurrence : le culte de Mithra, dans lequel on sacrifie des taureaux; celui d’Isis et la religion de Jésus », explique Patrick Snyder. Les empereurs romains (à partir de Constantin) ont tranché : c’est le christianisme qui a été déterminé comme religion de l’Empire romain. Mais dans un autre contexte, ç’aurait pu être Isis : comme quoi ce n’était pas un culte mineur.

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Et à travers tous ces accomplissements, elle trouvait le temps d’allaiter Horus.

Il y a aussi Tara – « la grande divinité du bouddhisme », dit Patrick Snyder. Dans l’hindouisme, on trouve Devî et Durga, mais aussi Kali, qui représente quand même un effrayant pouvoir de destruction, tout en étant aussi la mère de l’Univers (pas pire!). Dans les spiritualités amérindiennes québécoises, on trouve aussi plusieurs esprits féminins, comme la Mère gibier, la Mère caribou ou la Mère castor. Chez les peuples Inuits, il y a Sedna, souvent représentée comme une sirène, qui est d’ailleurs (marqueur intéressant) la divinité dont les représentations sont les plus populaires chez les marchands d’art inuit.

Les grands textes de l’islam, du judaïsme et du christianisme sont souvent retravaillés pour porter plus d’attention au rôle des femmes, qui a souvent varié selon les époques. « On a découvert qu’en Mésopotamie, pendant environ 200 ans, la grande divinité qui trônait au sommet de la hiérarchie était Ishtar. Donc à un moment dans l’histoire, une déesse y trônait au-delà des autres divinités », souligne Patrick Snyder.

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Et même lorsque les dieux dominaient, les déesses pouvaient avoir une place importante dans la pratique spirituelle au jour le jour. « Dans plusieurs cultures anciennes, les divinités mâles dominaient dans les grands temples, mais souvent, le peuple n’y avait pas accès, c’étaient seulement pour les prêtres. Par contre, les divinités féminines pouvaient être portées sur un genre de collier, un peu comme quelqu’un porterait une croix aujourd’hui. Il y avait un élément transcendant : le dieu est au-dessus de toi, et la déesse est celle qui t’accompagne, qui est immanente, proche des gens, autant des femmes que des hommes. C’est une différence qui est reconnue comme fondamentale dans les cultures anciennes », explique l’historien.

Les déesses, outils féministes?

On pose la question à Patrick Snyder : croyez-vous que la vague de revalorisation des déesses vient d’une certaine écoeurantite face au fait que dans les grandes religions, les dieux et personnages importants semblent toujours être des hommes?

«Pour le Mouvement de la déesse, il y a un lien entre le dieu patriarcal, le dieu mâle, et les sociétés patriarcales dans lesquelles il s’inscrit. Toute la stratégie de la critique féministe des traditions religieuses va en ce sens.»

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« C’est évident : la réponse est un gros oui. Pour le Mouvement de la déesse, il y a un lien entre le dieu patriarcal, le dieu mâle, et les sociétés patriarcales dans lesquelles il s’inscrit. Toute la stratégie de la critique féministe des traditions religieuses va en ce sens. Les théologiennes féministes savent que le discours religieux du pape ou de l’Église est aussi politique (par exemple sur les questions de l’avortement et de la contraception). C’est la même chose en islam : le féminisme islamique, c’est à la fois une relecture des textes, mais aussi une critique des politiques. »

D’ailleurs, le culte des déesses semble souvent amalgamé à une critique des violences faites aux femmes et de la destruction de la nature.

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Illustration : Gideon Wright

Il est donc important de porter attention à cette vague d’intérêt pour les déesses, même quand c’est fait d’une façon qu’on pourrait trouver un peu maladroite. « C’est quand même un phénomène important sur lequel il faut se pencher. Les femmes sont en train de construire une nouvelle forme de spiritualité qui va peut-être supplanter plusieurs traditions religieuses qu’on connaît à l’heure actuelle », résume Patrick Snyder.

« Dans certains livres, on raconte l’histoire de déesses dont on ne connaît pourtant pas le véritable contexte historique, culturel et religieux… Mais en même temps, ce n’est pas grave si ça peut soutenir une personne au jour le jour », dit-il.

Après tout, il y en a plusieurs, des mystères de la foi.