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Esthétique de la mascotte
Il y a déjà quinze jours que le Journal de Montréal a annoncé sa nouvelle formule. Plus facile à lire, dit-on, sans nous expliquer ce que ça peut bien vouloir dire, à part enlever une lettre à l’alphabet – ce n’est pas comme si l’infographiste du JdM était particulièrement audacieux. Mais il ne s’agissait pas que d’un changement de logo; on annonçait aussi de nouveaux chroniqueurs, dont quelques-uns, se vantait-on, seraient même, ô Seigneur Jésus, des gauchistes!
Le Journal a toujours été réputé pour son populisme. Ce populisme passe ces temps-ci par une id éologie généralement assez à droite, vaguement identitaire, et cousine du Tea Party. Bon, ce n’est pas bien grave ça non plus. On pourrait même saluer l’arrivée de Jacques Parizeau, de Martine Desjardins ou de Josée Legault comme chroniqueurs et/ou blogueurs, se disant que ça va équilibrer le discours. Ou, comme l’IRIS, être fiers de pouvoir, enfin, rejoindre un nouveau segment de la population.
Ce serait le comble de la naïveté.
Il y a longtemps eu, à Fox News, une émission qui s’appelait Hannity & Colmes, où le libéral (au sens « progressiste ») Alan Colmes donnait la réplique au conservateur Sean Hannity. Colmes était, si on veut, le « progressiste de service » de Fox. Il devait, lui aussi, se dire qu’il apportait un point de vue différent à des gens qui ne s’abreuvaient que de discours droitiste. Sauf que tout le monde s’entendait pour dire que Colmes n’était qu’un prétexte, une manière pour Fox de pouvoir se déclarer neutre alors que, pendant les 23 autres heures de la journée, la droite avait droit de cité.
Et c’est, précisément, ce qui se passe avec les chroniqueurs « gauchistes » du Journal de Montréal depuis deux semaines. Non seulement leurs chroniques, à quelques exceptions près, sont-elles modérées au point de n’offrir que le contrepoids le plus symbolique à la rhétorique enflammée des chroniqueurs établis, Martineau et Desrochers en tête, mais le grand gagnant de tout ça reste encore le Journal.
Parce qu’il peut, lui, désormais balayer du revers de la main toute accusation de biais; il suffira, pour un éditorialiste se sentant critiqué, de montrer du doigt ce bel arc-en-ciel d’opinions diverses pour se dédouaner et prétendre à un comité de rédaction neutre et équilibré.
Mais non, ce n’est pas vrai, et ce ne le sera probablement jamais, que les analyses de l’IRIS trouveront un écho aussi fort chez le lectorat du JdM que les chroniques de Martineau. Les jokes de mononcle de Michel Beaudry auront toujours plus de lecteurs que Martine Desjardins, aussi articulée et pertinente puisse-t-elle être.
Qui plus est, le capital de sympathie des nouveaux venus, aussi militants et citoyens soient-ils, prend nécessairement une débarque dans l’imaginaire de leur base de fans, lorsqu’on les imagine déposer le chèque signé par PKP dans leur compte en banque. Un des défauts de la gauche, c’est connu, est le sentiment d’avoir le monopole de la vertu. Crier au vendu, au bandit, au traître, est un des passe-temps favoris du militant moyen; rappelons-nous les hauts cris poussés lors du passage de LBB au Parti Québécois. Concrètement, quand un progressiste décide de se retrouver en compagnie de conservateurs, il mine, souvent de manière permantente, sa crédibilité auprès de sa base.
À noter : l’IRIS a cru bon de déclarer, haut et fort, qu’aucun chèque du Journal ne se retrouverait dans ses coffres. C’est, certes, bien noble.
Mais le problème ne se trouve pas au nombre de zéros qu’il y a sur le chèque; après tout, je ne sais pas combien paye un article dans le Journal de Montréal; que ce soit 30$ ou 3000$, le résultat reste le même. L’instrumentalisation d’une certaine gauche par la droite établie ne passe pas que par l’argent. Ce que fait le Journal est bien plus insidieux : en prenant sous son aile des gens qui se trouvent, en quelque sorte, à devenir les ambassadeurs progressistes dans le bastion des Martineaus et des Bock-Cotés*, il en fait ni plus ni moins que des mascottes.
Et c’est comme ça que le discours de gauche se retrouve perverti, vidé de son sens et de sa force, en toute complicité, par ses pauvres représentants tous contents de s’être fait repêcher, parce qu’ils croient encore qu’il suffit d’être imprimé pour être lu et qu’il suffit d’être lu pour être compris.
* D’ailleurs, si quelqu’un peut me dire comment on met au pluriel « Martineau » et « Bock-Côté », j’aimerais bien. Comment on dit? Martineaux? Bocks-Côtés?
Photo : “keep it real” (2008)