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La bienséance dans les interactions sociales a évolué à grande vitesse avec l’arrivée du numérique. Les occasions d’engendrer des imbroglios interpersonnels sont plus nombreuses. Ces situations qui confinent parfois au malaise ne sont pas seulement l’apanage des gens plus ou moins mésadaptés socialement, comme je le suis. Les règles du civisme en ligne se sont rapidement définies à mesure que la technologie évoluait, mais gardent les mêmes bases qu’à l’époque du télégraphe, de la lettre ou du fax. C’est-à-dire qu’elles sont plutôt floues.
Je suis sûr que Marc Aurèle s’est déjà demandé dans quel délai il est socialement acceptable de répondre à une missive. Il faut maintenant aussi se demander à quelle fréquence est-il convenable d’envoyer des textos à un correspondant ou combien d’émojis de gars qui lève les bras dans les airs pour exprimer son désarroi est trop d’émojis de gars qui lève les bras dans les airs pour exprimer son désarroi. C’est difficile à dire. 🤷🏻♂️
Il m’est récemment arrivé une situation de cet acabit. Je suis allé voir la pièce Deux femmes en or au théâtre La licorne. Une pièce adaptée du film du même nom qui mettait en vedette deux de mes idoles de jeunesse : Donald Pilon et Donald Lautrec. Pas que j’ai vécu ma jeunesse dans les années 70, mais plutôt parce qu’au cégep, dans les années 90, j’ai découvert que le cinéma québécois de cette époque faisait un excellent accord mets-vin avec le THC (un accord film-boucane).
J’étais donc bien content d’aller voir cette pièce (en toute sobriété), que j’ai beaucoup aimée. Si je connaissais un peu le théâtre, je vous dirais pourquoi, mais je ne m’aventurerai pas plus que de dire que je l’ai beaucoup aimée. Surtout qu’elle mettait en vedette une de mes connaissances : Steve Laplante. Steve, que vous connaissez entre autres pour la série Léo qu’il a coécrite et dans laquelle il tient le rôle de Chabot, ou pour des films récents comme l’excellent Viking et le pété Babysitter.
J’ai donc texté mes félicitations à Steve après la pièce.
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C’était le 20 avril dernier et je n’ai toujours pas eu d’accusé réception.
J’ai rencontré Steve dans un pool de hockey chez le gars des annonces de A&W. Ni l’un ni l’autre n’avons gagné ce pool. Cette idée aussi de prendre PK Subban à l’apogée de son déclin. Il n’y a pas grand-chose à dire sur cette rencontre. Dans un pool de hockey, on se contente d’échanger des blagues sur des choix de premiers tours qui ne devraient pas être des choix de premier tour ou sur des joueurs de Canadien qu’on a choisis trop tôt. Il ne faut pas être émotif dans un pool de hockey.
J’ai réalisé par la suite que Steve était le voisin de l’un de mes bons amis qui possède un couteau électrique pour couper son rosbif. Je le précise parce que Steve et moi nous sommes déjà moqués conjointement de ce couteau électrique dans un beau moment de complicité. Nous avons par la suite joué au golf ensemble, Steve, le propriétaire du couteau électrique, et moi. Il n’y a rien de mieux pour tisser des liens que de jouer au golf. Même moi, sur une ronde de quatre heures, je finis par parler un peu, que ce soit de couteaux électriques, de machine à faire des spirales de zucchinis ou de petite cuillère à faire des boulettes de cantaloup.
Quelques mois plus tard, nous improvisions même un souper bien arrosé chez le voisin de Steve. Une belle soirée, si je me souviens bien (elle était belle, mais arrosée). Bref, je connais quand même un peu Steve. Suffisamment pour avoir demandé à son voisin, mon ami, de me refiler son numéro de téléphone afin de lui texter mes félicitations.
Un texto qui allait mener tout droit à ce cul-de-sac discursif duquel je peine à m’extirper.
Depuis, je ne cesse de spéculer, même si je sais très bien que 99 % des hypothèses pointent vers un dénouement positif. En réalité, je me souviens que j’ai envoyé ce message au moment précis où le wifi de Radio-Canada lâchait. J’étais au bureau et il n’est pas impossible que mon texto se soit perdu entre le moment où le wifi lâchait et celui où mon téléphone se reconnectait à la 5G. J’ai de la misère à évaluer la chose parce qu’il semble que Steve n’ait pas de iPhone. Le texto est en vert et je ne vois pas de mention « distribué ». D’ailleurs, est-il possible que mon message se soit retrouvé dans une sorte de spam de textos qui existerait dans l’univers parallèle d’Androïd (ou de Blackberry, je ne suppose de rien)? Ou peut-être n’ai-je pas le bon numéro?
Peut-être aussi que Steve a tout simplement vu mon message, a souri de contentement et a jugé qu’il n’était pas nécessaire de répondre. Ça se peut, je fais ça moi-même à l’occasion. Il s’est peut-être aussi dit: « je vais lui répondre plus tard », mais a été déconcentré par autre chose. Un appel en mandarin de l’Ontario lui indiquant qu’il était victime d’une fraude, la sonnerie du micro-onde lui indiquant que son macaroni était à point, ou la réalisation qu’il n’avait pas encore sortit ses vidanges. Tout ça est possible.
Mais il reste aussi ce 1 % de chances qu’il ait décidé de ne pas répondre parce qu’il me haït. On sait jamais. J’en connais des gens qui me haïssent. Peut-être que j’ai fait une blague de trop à la radio sur les gens qui s’appellent Steve. Peut-être qu’il a cru me voir regarder mon téléphone pendant la pièce (c’est même pas vrai). Peut-être qu’il n’a pas apprécié ma référence à Donald Pilon.
Ce 1 % m’a empêché de faire ce que j’aurais probablement dû faire, c’est-à-dire le relancer d’un deuxième texto. Ou bien lui téléphoner. Ou aller cogner à sa porte. JE SAIS OÙ TU HABITES, STEVE! Ou mieux encore, oublier tout ça et ne pas écrire une chronique sur la chose.
Peut-être que si je l’avais relancé, peut-être que si je lui avais écrit, “Yo Steve, as-tu reçu mon texto bro?”, peut-être qu’il m’aurait expliqué les raisons de son mutisme (une banale erreur) et peut-être qu’on aurait développé une relation épistolaire. Je lui aurais parlé de son voisin mon ami dont le chien s’est fait arroser par une moufette cette semaine. On aurait bien rigolé. Il m’aurait parlé de l’aura de Heineken autour de chez lui et évoqué l’idée de s’acheter un masque à gaz. On aurait eu du fun.
Je pense qu’on est passé à côté d’une belle occasion, mais tout n’est pas perdu. Je sens que cette sortie publique fera bouger les choses. Je sens que bientôt, on pourra en rire sur un terrain de golf.
MISE À JOUR!
Steve m’aime encore!
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Pourquoi le premier texto est en vert? Pourquoi Steve ne l’a jamais reçu? Mystère.
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