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Est-ce que nos parents rockent plus que nous?

Il semblerait que les milléniaux ne rockent pas fort fort.

Par
Benoît Lelièvre
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Ça a encore commencé par une visite chez mon barbier.

Parce que Ron, c’est pas juste un barbier. C’est un consigliere rock hors pair et un coach de vie.

« Écoute le nouveau Judas Priest, » me dit-il, lorsque je franchis le pas de la porte. Pas « As-tu écouté le nouveau Judas Priest? » ou « Qu’est-ce que t’as pensé du nouveau Priest? » Il sait très bien que je ne l’ai pas encore écouté, le nouvel album de Judas Priest Firepower.

Je hoche la tête en prenant une gorgée de café et je vais m’asseoir sur la vieille chaise en barbier en arrière et j’attends mon tour. J’enfile mes écouteurs et mets Firepower sur Spotify et…

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…j’ai une expérience de vie éminente. Pendant 58 minutes, des bonshommes plus vieux que mon père me bottent royalement le cul avec des chansons qui parlent de démons, nécromanciens, loups solitaires et autres bibittes allégoriques (ou pas).

J’ai eu envie de me lancer dans les murs, de lâcher ma job et partir refaire ma vie sur une île du Pacifique, d’aller battre le monde qui était pas fin avec moi au secondaire. Bref j’ai rocké en sale.

Fait que m’en suis posé la question: «C’tu normal que des boomers assez vieux pour partir faire du camping en VR avec leurs petits-enfants l’été me font rocker plus que le monde de mon âge?»

Est-ce que le rock est mort?

«Y’a rien de plus rock que de dire que le rock est mort», me dit Marc-André Mongrain, rédacteur en chef de Sors-Tu.ca. «Le rock, c’est une forme de rébellion à la base. Si tu dis à un rockeur que le rock est mort, c’est juste naturel pour lui d’essayer de te prouver que tu as tort.»

Le rock n’est pas mort en effet, mais il change. Ou plutôt: il s’use.

«Historiquement parlant, la musique rock a servi à déniaiser la société et à slaquer les moeurs. Cette job-là, les groups d’arena rock à la Led Zeppelin l’ont très bien faite. Mais la job est faite, justement.»

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«Historiquement parlant, la musique rock a servi à déniaiser la société et à slaquer les moeurs. Cette job-là, les groups d’arena rock à la Led Zeppelin l’ont très bien faite. Mais la job est faite, justement. Sociologiquement et musicalement, on est rendus ailleurs. Aujourd’hui, les artistes hip-hop ont repris le flambeau de la créativité et de l’innovation musicale. Quand j’écoute Kendrick Lamar ou Vince Staples, ça sonne comme rien que j’ai pu entendre auparavant. Le rock commercial lui, souffre d’une fatigue créative, parce qu’il n’a plus de tabous à aborder.»

Il a raison. Les audiences de musique rock se sont émancipées et extériorisées des années Chuck Berry jusqu’à l’avènement du grunge, alors que le hip-hop commence à peine à sortir des années gangsta rap et à explorer les possibilités du style grâce à des artistes comme Lamar, Staples, Death Grips et bien sûr… Kanye West. Que ça vous plaise ou non, il a eu un rôle capital à jouer dans la transformation du hip-hop au 21e siècle.

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Même son de cloche du côté de Claude Rajotte, critique légendaire et gourou du bon goût musical au Québec durant de longues années: «Des groupes comme Judas Priest, Black Sabbath ou Motörhread, c’était des précurseurs. Ils ont carrément inventé un genre. Même chose pour des groupes comme Led Zeppelin et Deep Purple pour le hard rock. C’était nouveau et excitant à l’époque, mais trois accords sur une guitare, ça fait son temps. Les fans de musique vont toujours naturellement graviter vers les choses nouvelles et excitantes.»

Fatigue créative. Évolution de la musique commerciale au sens large.

Fine.

Ça explique pourquoi ma génération ne connecte pas avec les artistes d’arena rock de la même façon que mes parents, mais la colère et la théâtralité du metal et du arena rock, elle est passée où? Le ROCK, quoi, il est rendu où?

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«La colère, c’est pas vraiment l’émotion de notre génération,» avance Marc-André Mongrain. «L’anxiété et l’aliénation sont des émotions qui résonnent beaucoup plus chez les milléniaux que la colère d’un band comme Judas Priest. C’est pour ça qu’on s’identifie beaucoup plus à un band comme Radiohead, par exemple ou à la musique emo. J’étais trop vieux pour cette vague-là, c’était clairement un mouvement d’enfants-rois tourmentés qui se demandaient pourquoi ça marchait pas dans leurs vies.»

Ça veut dire quoi à propos de nous, ça?

On rock définitivement moins que nos parents.

Et c’est par choix. Pas nécessairement parce qu’on est plus pépères que nos parents. On rock moins, parce qu’on veut moins rocker.

J’en ai parlé avec Jean-Michel Berthiaume, doctorant en sémiologie et coordonnateur du labo de recherche Pop-En-Stock sur la culture populaire à l’UQAM (et collaborateur extraordinaire d’URBANIA) afin de comprendre s’il y a d’autres raisons au-delà de l’évolution du rock qui pourraient expliquer ce changement de valeurs entre les générations. Il a soulevé plusieurs excellentes hypothèses, dont celle -ci: « Les loisirs de défoulement se sont multipliés depuis les belles années du arena rock. Aujourd’hui, il y a même des restaurants qui te permettent de casser ta vaisselle. Le concert rock était, à l’époque, un moment isolé où on pouvait sortir le méchant.»

« Les loisirs de défoulement se sont multipliés depuis les belles années du arena rock. Aujourd’hui, il y a même des restaurants qui te permettent de casser ta vaisselle. Le concert rock était, à l’époque, un moment isolé où on pouvait sortir le méchant.»

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C’est pas faux du tout. Aujourd’hui on a les jeux vidéo, les téléphones intelligents, les blogues ou simplement les médias sociaux où on peut s’exprimer sur n’importe quel sujet sans vraiment avoir à faire d’efforts. Notre catharsis, on la gère au quotidien et notre lien à la musique n’est plus nécessairement lié au défoulement. Notre musique préférée est devenue la trame sonore de nos vies au lieu d’une source de défoulement. Le lien qu’on forge avec nos artistes est peut-être moins viscéral, mais il est plus cérébral et surtout, plus intime. Aujourd’hui on va voir un concert pour passer un bon moment et pas nécessairement pour faire sortir le méchant.

On est aussi moins sorteux. Ça ne nous fait pas tripper de dépenser 200$ pour une virée mémorable. On préfère mettre la moitié de cet argent sur nos factures, se payer des sushis, regarder Netflix à la maison et se garder un peu d’argent de poche pour la semaine suivante, parce que nos finances sont tight.

En conclusion

Le rock ne va jamais mourir. L’acte de rocker, non plus.

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Y’aura toujours des gens comme moi, qui auront besoin d’exutoires émotifs over-the-top et qui formeront des sous-cultures qui elles, assureront la survie du genre et qui sait, peut-être même un retour vers la viabilité commerciale dans le futur.

L’arena rock, les grandes prestations théâtrales devant des audiences hystériques…. ça semble être chose du passé.

Rocker, ça se fait encore, mais ce n’est plus cool.

C’est pour ça que oui, nos parents rockent plus que nous. Notre génération n’a jamais vraiment cherché à rocker plus fort que la leur, on a simplement pris une autre direction.

J’ai juste peur qu’un jour, il n’y ait plus de nouveaux bands pour me donner des expériences de vie éminentes.

En attendant, j’vous laisse avec une p’tite décharge d’énergie qui a fait mon bonheur, il y a quelques semaines:

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