Je n’ai pas partagé de photos de ma face en 2009 versus ma face maintenant sur Facebook ni Instagram. Peut-être que j’ai eu un peu peur de toutes les théories conspirationnistes qui entourent le 10 years challenge, peut-être que j’ai juste vraiment trop embelli pour vous imposer ma face d’il y a dix ans, who knows?
Par contre, l’avalanche de throwbacks dans mon fil de nouvelles m’a rappelé à quel point 2009 a désormais l’air lointain et archaïque, théâtre de modes déjà full pine dépassées et d’idolâtries musicales encore naïves. Cette année-là, je suis allé à mes premiers concerts d’Animal Collective, de Deerhunter et de mon crush musical de l’époque, Girls. J’étais toujours dans la première rangée, submergé d’un son pas si bon que ça, à essayer de mettre le grappin sur une vibe particulière qu’on pourrait peut-être aussi décrire comme « le moment présent ».
10 ans plus tard, la scène indie a considérablement changé. Les coqueluches de l’époque n’ont pas toutes gardé leur aura. Certains artistes ont pris des directions stylistiques à dérouter un GPS. D’autres se sont hissés dans les hautes sphères du panthéon du rock. Le temps devient presque aussi palpable que les poches sous mes yeux, et l’idée me vient de faire part des mouvances de la dernière décennie par l’entremise de 5 incarnations musicales qui ont fait la pluie et le beau temps en 2009. Mon « Que sont-ils devenus » va peut-être vous faire prendre un vertigineux coup de vieux, mais la ride en vaut la peine. La « ride ». La pognez-vous?
Animal Collective — Progression puis régression
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Disclaimer : En fouinant dans les vieilles critiques des premiers albums du groupe américain, je constate que si quelque chose a profondément changé dans les 10 dernières années, c’est bien la constellation des médias musicaux et le rôle que ceux-ci jouent sur la musique. Merriweather Post Pavilion sort en grande pompe début janvier 2009, et le site Pitchfork fait résonner tambours et trompettes. À l’époque, la fourchette la plus célèbre de la musique indépendante affectionne le rock et se tient encore loin de la scène hip-hop (et incidemment d’un immense pan de culture).
2009 : Dans la bulle indie, Animal Collective a une place de choix. Buzzant déjà depuis 2 ou 3 albums à tendance folk-punk-expérimental, un soudain virage électro-beachboyesque propulse le band vers une popularité sans précédent. Les boites à rythmes, les synthés et les échantillons remplacent les loops de guitares et les tambours lo-fi. Si le groupe s’aliène sa frange puriste avide de radicalité, il s’ouvre à un public plus jeune, plus vaste (et les mauvaises langues diront) plus high.
2019 : On peut dire que la formation est retournée dans les marges dont elle était issue, mais est-ce par choix ou par la faute d’albums plus récents qui semblent être à la recherche de leur propre esthétique? Animal Collective a mué de nombreuses fois, redéfinissant sans cesse en quoi un album challengeant pouvait aussi être un divin plaisir esthétique. La joie s’amenuise sur Centipede Hz, puis sur Dancing With, mais le groupe réussit encore à titiller notre curiosité, notamment dans les ramifications solos d’Avey Tare et Panda Bear.
The xx — Jamie deux sans trois
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2009 : Un nouveau son fait rage sur les radios collégiales : des voix candides, mais brisées apposent des mélodies fragiles sur des riffs de guitares ultra-dépouillés, ponctués de beats electro de circonstance. The xx lancent un premier album qui s’écoute aussi bien que se mange une pop-tart chaude à point. L’offrande fait un peu l’effet d’un poing de fer dans un gant de velours. Le minimalisme assumé du groupe permet à ses chansons de pénétrer en catimini l’imaginaire collectif.
2019 : Autant la timidité esthétique de The xx faisait son charme à ses débuts, autant une assurance fierce donne le ton aux plus récentes œuvres du groupe. Le trio s’est servi de sa popularité pour se donner une leçon. Leurs ambitions sont désormais définitivement pop et leur son s’en ressent. La carrière solo de Jamie XX s’entrelace avec celle de sa formation. Son électro à lui se fait plus subtil et plus pénétrant, qualités qu’il infuse avec brio dans sa cohorte adorée.
Fever Ray — En faire moins, mais le faire avec soin
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2009 : Karin Dreijer est déjà enveloppée d’un certain aura de mystère grâce aux productions idiosyncrasiques du duo électro qu’elle forme avec son frère sous le nom The Knife. Son premier album en solo fait un pas de plus en direction de l’onirisme et l’inusité. Les couleurs sont sombres et glaciales, les textures, frémissantes et la voix de Karin, trafiquée à souhait, rend son projet immédiatement reconnaissable entre tous. L’entrée en matière de Fever Ray griffonne d’un noir charbon indélébile la scène électronique indépendante.
2019 : Fever Ray attend jusqu’à la fin des années 2010 avant d’empoussiérer le monde d’un nuage phosphorescent avec un deuxième album attendu. Entre temps, les productions de son autre projet, The Knife, ont pris un sacré gallon. Shaking The Habitual, sorti en 2013, trône sur les palmarès des critiques. Alors que Shaking est empreint d’un message à tendance féministe, l’album solo Plunge aborde la question du genre et des dynamiques de pouvoir. L’icône désormais queer déstabilise, transcende et sublime la scène où elle s’est établie.
St. Vincent — Montrer les dents
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2009 : On ne connait pas encore très bien l’auteure-compositrice-interprète dont le vrai nom est Annie Clarke. Elle a collaboré avec de respectables artistes tels que Sufjan Stevens, vient tout juste de sortir un deuxième album, Actor, étoffé et dense, dont les compositions grandioses évoquent à la fois la musique classique et la musique indie. Le talent et l’ingéniosité de St. Vincent sont incontestables et énoncent la promesse de grands accomplissements à venir.
2019 : St. Vincent a su, au fil des années, porter sur ses épaules le poids majestueux de réputations diverses. Avec son album éponyme de 2014, elle gagne l’aura double d’un caméléon à la Bowie et d’une guitare héroïne des temps moderne (elle lance d’ailleurs une gamme de l’instrument). Son Masseduction éclabousse la deuxième moitié de la décennie de sonorités pop et electroclash, prouvant la capacité de l’Américaine à se renouveler. 2019 nous la dévoile à la réalisation du prochain album de Sleater-Kinney, un autre indice de sa polyvalence.
Avec pas d’casque — Toujours en tracteur
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2009 : Est-ce que ce sont des inflexions à la Animal Collective que l’on entend sur quelques chansons de Dans la nature jusqu’au cou, deuxième album d’Avec pas d’casque, groupe à tendance folk bancal du réalisateur à temps partiel Stéphane Lafleur? Les guitares acoustiques sont quasi désaccordées, la voix se fait chétive et la poésie passe pratiquement à travers le linge. On parle ici d’un country décalé qui attire une base de fans fidèles fredonnant à voix basse les chansons en allant faire l’épicerie.
2019 : Les racines folk sont toujours là, intouchées et encore plus profondément ensevelies. Avec pas d’casque, sur ses plus récents albums, nous dit qu’il est possible d’un peu toujours faire la même chose, à condition de bien le faire. Avec une intégrité à l’épreuve de tous les contrats de disques, la formation sert un country ultra-contemplatif sur Effets spéciaux. Elle fait maintenant partie des incarnations musicales les plus respectées de la scène locale. On entonne les paroles du groupe un peu comme un entame une prière.