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Est-ce que la cote de crédit gouverne nos vies à notre insu?

Quelques questions pour mieux comprendre ce système de cotation individuelle.

Par
Julien Lamoureux
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En janvier, attiré par une promotion avantageuse, j’ai décidé de souscrire à une nouvelle carte de crédit. Puisque je n’ai pas besoin de deux cartes du genre, j’ai voulu annuler celle qui m’accompagnait alors depuis 12 ans.

Je m’apprêtais à dire adieu à cette carte sans frais aux récompenses modestes qui m’a assisté sur quatre continents, qui m’a servi pendant de nombreuses soirées bien arrosées (suivies de la découverte, avec effroi, de toutes les dépenses engrangées après une heure du matin) et qui m’a permis de m’abonner à une flopée de services de streaming.

Au moment d’entamer les démarches, une petite voix dans ma tête m’a dit : « Et ta cote de crédit?!?! ». Quoi, ma cote de crédit? « Annuler la carte que tu as depuis plus d’une décennie, ça pourrait faire baisser ta cote. » Ah bon?

J’ai fouillé un peu en ligne et je n’ai pas trouvé de réponse claire. Mais il semble en effet qu’annuler une carte pourrait, au bout de quelques années, avoir un impact négatif sur sa cote. Puisque la bonne vieille Visa que je pensais détruire n’a pas de frais mensuels, je l’ai simplement gardée.

Mais conserver une carte dans le seul but de conserver un pointage un peu abstrait (à mes yeux, du moins) me semblait quand même absurde.

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Le comportement responsable serait de ne pas risquer de perdre, de me faire voler ou de me faire frauder une carte qui m’est inutile dans la vie de tous les jours, non?

J’ai donc voulu y voir plus clair dans les zones d’ombre du score de crédit et j’ai parlé à deux expert.e.s pour répondre à mes questions.

QUI DÉTERMINE MA COTE DE CRÉDIT?

Au Canada, deux entreprises privées, soit Equifax et TransUnion, récoltent les informations auprès des créanciers afin d’établir le score de chaque personne. « C’est des modèles qui sont privés : l’agence ne dit pas exactement comment son modèle permet d’arriver à tel ou tel score », indique Philippe D’Astous, professeur agrégé au département de Finance à HEC Montréal.

Mais on peut quand même deviner certaines choses, poursuit-il : manquer un paiement de carte de crédit ou avoir trop de lignes de crédit ouvertes en même temps, c’est néfaste. « Je ne tomberais pas dans le piège de tenter de “jouer” avec la cote de crédit. C’est comme les diètes : mangez bien, sachez ce que vous mangez, sans tomber dans l’extrême. »

Un problème du passé, c’est que c’était compliqué (et parfois coûteux) de s’informer sur sa propre cote de crédit. « Il y a eu des améliorations au Québec dans les dernières années », selon Maude Pugliese, professeure à l’Institut national de recherche scientifique (INRS) et directrice de l’Observatoire des réalités familiales du Québec.

« Maintenant, on a accès à notre dossier complet gratuitement. »

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Les membres des Caisses Desjardins peuvent par exemple voir leur score à tout moment directement dans AccèsD.

LA COTE DE CRÉDIT EST-ELLE UN SYSTÈME ÉQUITABLE?

Notre score peut être utilisé par un.e propriétaire à qui on veut louer un logement, par une banque à qui on demande une hypothèque, par une entreprise qui veut nous embaucher et par bien d’autres compagnies privées. La question de sa capacité à réellement donner de l’information sur le comportement financier de quelqu’un est donc primordiale.

Maude Pugliese et Philippe D’Astous s’entendent pour dire que c’est un système qui fonctionne généralement bien, mais qui est loin d’être parfait.

« Pensons à quelqu’un qui a eu une grosse bad luck et qui a dû déclarer faillite. La faillite reste sur le dossier pendant sept ans. Cette personne veut se remettre sur pied, trouver un emploi, accéder au logement, mais, continuellement pendant sept ans, va voir l’impact de [sa faillite] », explique le professeur de HEC.

Et soudainement, la faillite disparaît et l’accès au crédit revient.

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Pour l’experte de l’INRS, c’est plutôt ce qui entre dans le calcul de la cote – et surtout ce qui n’entre pas dans celui-ci – qui est problématique.

Un.e locataire aura beau payer son compte d’Hydro et son loyer sans faute pendant 15 ans, ce comportement ne fera jamais monter sa cote de crédit, parce que ces informations ne sont pas prises en compte. Toutefois, le paiement d’une hypothèque compte. Un.e locataire qui oublie de payer son cellulaire ou sa carte de crédit pendant un mois serait donc plus désavantagé.e qu’un.e propriétaire.

Ça va plus loin. Philippe D’Astous assure que des études américaines ont démontré que la cote de crédit désavantage les personnes noires et d’origine hispanique. Est-ce que c’est la discrimination historique des populations racisées qui fait en sorte que leur score est plus bas ou bien est-ce la faute de biais dans le calcul même de la cote? Aucune réponse claire n’existe, mais le fait est que chez nos voisins du sud, c’est plus difficile d’avoir un prêt bancaire si on n’est pas Blanc.he.

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Se basant sur les résultats d’une récente étude sur l’endettement au Québec à laquelle elle a participé, Maude Pugliese abonde dans le même sens. « Ce qu’on constate dans le cas des personnes racisées, c’est que même quand elles ont le même niveau de revenu, le même patrimoine, elles sont plus susceptibles [que des personnes blanches] d’avoir été refusées au crédit dans le passé. »

Un problème plus aléatoire, mais qui montre aussi les failles du système : Equifax et TransUnion ne sont pas à l’abri d’erreurs humaines ou informatiques. En 2021, une enquête d’une association de consommateur.rice.s américain.e.s a révélé qu’une personne sur trois avait trouvé une erreur dans sa cote de crédit. Eh oui, plus d’un tiers.

C’est arrivé à Maude Pugliese elle-même. Elle s’est fait refuser une carte de crédit parce qu’une entreprise de télécommunications (dont elle préfère taire le nom) avait mis à son dossier, par erreur, un défaut de paiement « épouvantable ». Le pire, c’est que même si elle a pu enlever de son dossier le défaut de paiement, le refus de la carte de crédit, lui, demeure.

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EST-CE QUE LA COTE DE CRÉDIT VA TROP LOIN?

« Ce qui me fait un peu plus peur, c’est que ces cotes de crédit sont utilisées maintenant quand on fait une demande d’assurance, quand on fait une entrevue pour un emploi ou pour trouver un logement, admet Philippe D’Astous. Une personne qui veut se remettre sur pied, mais qui a une tache sur son dossier, peut commencer à penser qu’elle tourne en rond. »

C’est un cercle vicieux qui apparaît dans l’existence même de ce score : pour l’améliorer, il faut dépenser. « Ce que ça encourage, c’est la consommation à crédit, résume Maude Pugliese. Il y aurait matière à une implication du public pour réglementer au minimum les usages légitimes de la cote de crédit. On gagnerait à avoir une réflexion sur ces enjeux-là. »

C’est vrai que la cote de crédit peut sembler gravée dans le roc, inébranlable et impossible à remettre en question.

« Là où il me semble y avoir un problème, c’est la place qu’on donne à la cote de crédit dans notre société. » – Maude Pugliese

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Il existe toutefois des systèmes alternatifs qui pourraient eux aussi offrir des pistes de solution. Le test psychométrique, par exemple, évalue les individus selon leur comportement et leur personnalité plutôt que sur leur historique de crédit.

Malgré tout, ça prend un système et celui de la cote de crédit, bien que faillible, est peut-être le moins pire. « À la base, c’est un système qui est là de bonne foi, pour que les gens aillent au bout de leurs engagements et pour s’assurer que l’info est partagée avec toutes les institutions financières », estime Philippe D’Astous.

Entre un système qui prend trop de place et pas de système du tout, « c’est une ligne mince à naviguer ».