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Est-ce que c’est le temps de refaire votre bucket list?
Quand vient le temps de prendre des décisions dans la vie, je suis pourrie. Mon chum aussi. On peut passer des heures à se demander ce qu’on a envie de faire. Y a toujours trop de choix. On a peur de prendre la mauvaise décision et de passer à côté de quelque chose. FOMO, qu’y disent. Je me demande si j’ai toujours été comme ça, ou si ça s’est développé avec le temps. Il me semble qu’à une époque, je savais ce que je voulais, sans me poser de question. J’étais connectée directement à mes envies, au lieu d’être connectée à mon cell, ou mon ordi. Tous les choix se valent, on dirait, et au lieu d’en faire un, on finit souvent par rester en mou à Netflix and chiller, parce que « sortir faire quelque chose » paraît souvent un effort. Sauf quand il est question de théâtre.
En mettant le pied à la Licorne, mercredi soir, il fallait choisir dans quelle salle on assisterait à Deux pièces pour Étienne Pilon. La petite ou la grande Licorne. Un show divisé en deux. On savait déjà qu’on n’allait pas tout voir. Fait qu’on s’est séparé pendant deux heures, pis c’est là que mon angoisse liée au fait de rater quelque chose a commencé à me chuchoter des mots à l’oreille.
C’est là que mon angoisse liée au fait de rater quelque chose a commencé à me chuchoter des mots à l’oreille.
En entrant dans une des salles (je ne vous dis pas laquelle), j’ai tout de suite eu le feeling d’avoir choisi la bonne. Étienne Pilon lui-même m’accueillait pour me souhaiter un bon spectacle. Je sentais égoïstement un petit inch de réconfort. On nous avait promis Étienne Pilon, pis il était de mon bord. Mais pour combien de temps? Je sentais que je devais profiter du moment, parce que ça n’allait peut-être pas durer. Et c’était exactement ça, le thème du show.
UVAV!
La pièce explore le culte de la performance et le don d’ubiquité. UVAV! (Une vie à vivre : meilleure traduction de YOLO ever). De nos jours, on veut être partout en même temps. Et tout faire. On se définit par nos accomplissements plus que par qui on est. Et avant même d’avoir fini un projet, on vise le prochain. C’est pas pour rien que la méditation pleine conscience est à la mode, c’est rendu que pour vivre le moment présent, il faut le mettre à l’agenda.
Réussir sa vie, c’est-tu le nombre d’événements trendy où on s’est mis attending cette année? La quantité de nos amis Facebook? Avoir un crochet bleu à côté de son nom? Avoir sa maison ET avoir voyagé dans au moins 20 pays avant ses 30 ans? Avoir fait un marathon ET s’être tagué au dit-marathon?
Le personnage d’Étienne Pilon ne jure que par une bucket list, une liste de choses à faire avant de mourir. J’ai jamais pensé faire ça, mais si je me prête au jeu, les trois premières idées qui me viennent en tête seraient :
+Avoir un enfant (ça commence fort)
+Sauter en parachute (original, I know)
+Faire mon propre houmous maison. (Ricardo, sors de ce corps)
J’ai partagé ma liste à mon chum, qui a trouvé mon projet de houmous un peu trop facile. Tant qu’à faire quelque chose avant de mourir, il faudrait idéalement que ce soit grandiose. Je pourrais apprendre le japonais, faire du bénévolat pour la Croix Rouge en Afrique. Mais selon le personnage d’Étienne Pilon, j’aurais avantage à choisir le houmous, parce que c’est un projet que je suis en mesure de réaliser. Si tu mets sur ta liste « aller voir un match de baseball à Trois-Rivières », t’as plus de chance de réussir que si c’est à Boston ou à New York. Selon lui, c’est pas tellement la qualité de la liste qui compte, mais la quantité.
La mort (ne) vous va (pas) si bien
La pièce s’intéresse toutefois à un sujet bien plus profond : le deuil. Étienne Pilon et son amie fictive Catherine Bourdages ont tous les deux perdu leur troisième mousquetaire : leur ami Chris s’est enlevé la vie il y a 20 ans. Leur deuil a commencé à ce moment-là, mais de manières différentes. L’un se tourne vers l’avenir et ne veut jamais regarder en arrière ou faire la même chose deux fois, l’autre baigne dans la nostalgie. L’un accumule les projets pour remplir le vide, l’autre a peur d’aller au bout de ses rêves et reste dans l’ombre. L’un évite de passer du temps avec son enfant pour ne pas l’influencer négativement, l’autre est envahi de culpabilité à l’idée de le faire garder toute une soirée.
Je n’ai jamais vécu de méga deuil dans ma vie. Des petits deuils ordinaires, comme perdre un chat et un premier amour. Avant, j’aurais été du genre à me rouler en boule dans un coin et à me repasser mentalement en boucles tous les souvenirs à ne pas oublier. Maintenant, j’aurais plus tendance à me lancer corps et âme dans le travail pour tout oublier. Je suis devenue une workaholic soft (comparé à mon chum), mais une workaholic pareil. C’est bien plus facile de m’étourdir avec des deadlines que de vivre l’angoisse du silence. Si mon chum me laisse demain, y a de bonnes chances que je me découvre une passion pour l’escalade, que je me réinscrive à des cours d’italien et que j’aie une envie soudaine de danser la salsa tous les mardis soirs.
Ce que je peux dire c’est que Simon Boulerice, qui était là mercredi et qui assistait à la pièce au premier rang, a été rebaptisé Cheval Serpent.
À la Licorne, deux options s’offrent à nous, mais là non plus, je ne vous dis pas lesquelles. Ce que je peux dire c’est que Simon Boulerice, qui était là mercredi et qui assistait à la pièce au premier rang, a été rebaptisé Cheval Serpent. Pourquoi? Il faudra y aller pour comprendre. FOMO, qu’y disent…
Chacune des deux salles vit très bien individuellement. Le texte de Jean-Philippe Lehoux est intelligent, drôle, et la mise en scène de Charles Dauphinais ajoute une couche supplémentaire d’humour en envoyant des clins d’œil complices au public. Étienne Pilon s’incarne lui-même avec beaucoup d’autodérision et de confiance, tandis que Myriam Fournier est touchante de vérité et de vulnérabilité.
De deux licornes à unicorn
J’ai eu du fun tout le long, mais j’en ai eu encore plus après le show, quand mon chum et moi, on s’est raconté nos deux versions autour d’un verre au bar du théâtre. J’étais surexcitée de tous les liens qu’on pouvait faire entre ce qu’on venait juste de vivre. Il m’a dit d’emblée qu’il avait l’impression d’avoir choisi la bonne salle, parce qu’il était convaincu de n’avoir rien manqué. Je me disais pourtant la même chose. Finalement, ça importait peu. La force du spectacle, c’est aussi ce qu’on ne voit pas. C’est quand tous les morceaux deviennent un tout, comme si un casse-tête en 3 dimensions prenait enfin forme. Et ça nous force à délaisser nos téléphones le temps de se raconter notre expérience. Pis là, on vit vraiment le moment présent.
En revenant à la maison, mon cerveau continuait à spinner. Est-ce que j’ai tout fait ce que je voulais faire dans la vie? Qu’est-ce qui me reste à accomplir? Mon chum, lui, baignait dans la nostalgie. Il revivait 1996, une époque où on n’était pas encore envahi d’écrans qui nous propulsent dans une autre dimension virtuelle, une époque qui ne nous poussait pas constamment à nous comparer les uns les autres et à exiger plus. Au bout du compte, Deux pièces pour Étienne Pilon n’a pas vraiment de conclusion, ou de solution au deuil, mais elle ouvre une immense porte à la réflexion sur notre incapacité à savoir comment vivre nos émotions, sur l’absence contemporaine de repères.