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Je ne vous le cacherai pas: partout, et surtout au Québec, il est difficile d’être auteur. Je sais de quoi je parle, j’en suis une. Plus précisément, auteure de bande dessinée. Une auteure qui fait du dessin. Beaucoup, beaucoup de dessins, et j’écris les histoires que je dessine — ce qui ne me procure pas deux chèques de paie pour autant. Je porte le titre d’auteure et non celui d’illustratrice.
Le calcul des cacahouètes
J’ai commencé mon parcours avec le modèle traditionnel en édition, c’est-à-dire une mise en marché du livre entièrement prise en charge par un éditeur qui accorde à l’auteur 10 % du fruit des ventes. Donc, sur un livre coûtant 20 cacahouètes, l’auteur touchera deux cacahouètes (oui, oui, juste deux piasses!). Sommes-nous d’accord sur le fait que c’est très peu?
Les auteurs québécois qui gagnent bien leur vie selon le modèle traditionnel se comptent sur les doigts d’une main.
Si l’on considère qu’il s’agit du seul revenu de l’auteur traditionnel, est-ce qu’on s’entend pour dire qu’il va falloir en vendre en tas des livres, avant d’avoir suffisamment de cacahouètes pour vivre? J’ai beau croire que nous aimons lire au Québec, mais notre bassin de population ne peut malheureusement pas soutenir ce modèle traditionnel de façon viable.
Notez que la moyenne des exemplaires vendus au Québec varie de 1000 à 3 000. Voilà pourquoi les Québécois qui gagnent bien leur vie selon le modèle traditionnel se comptent sur les doigts d’une main.(On pense tout de suite à Michel Tremblay, bingo!)
De mon côté, j’ai tout essayé. Avec ma série jeunesse, Titi Krapouti, j’ai commencé par signer un contrat traditionnel où je cédais tous mes droits d’auteur jusqu’à 70 ans après ma mort ! (Je les ai récupérés depuis…)
Pourquoi j’ai choisi la voie d’auteur-entrepreneur?
Avec ma série pour ados Terre sans dieux, j’ai signé un contrat où j’autorisais pendant cinq ans l’exploitation du livre sans céder mes droits.
Et avec ma série pour adulte Dryade, j’ai publié moi-même le livre avec l’aide d’une campagne de socio-financement. Et devinez quoi, c’est cette option qui s’est révélée la plus viable! Je suis moins bien distribuée, on ne trouve pas mes livres dans toutes les librairies, mais j’en vis!
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Aujourd’hui, je suis propriétaire des droits de mes trois séries BD et je travaille activement et à temps plein à développer mes propriétés intellectuelles.
Pourquoi j’ai choisi la voie d’auteur-entrepreneur? C’est très simple… continuons à compter les cacahouètes.
Un auteur classique imprime avec son éditeur traditionnel 10 000 exemplaires de son livre coûtant 20 cacahouètes chacun. L’auteur touche 10 % sur les ventes, donc deux cacahouètes par livre. Si, et je dis bien si, tous les livres sont vendus, l’auteur empoche 20 000 cacahouètes.
L’auteur-entrepreneur doit diversifier ses sources de revenus.
Et voici un auteur-entrepreneur qui imprime 1 000 exemplaires de son livre dont le prix est également de 20 cacahouètes. Si chaque livre coûte cinq cacahouètes à imprimer, l’auteur-entrepreneur gagne donc 15 cacahouètes par livre vendu. Considérant qu’au Québec, il est plus facile de vendre 1 000 livres que d’en vendre 10 000, combien touchera l’auteur-entrepreneur? Faites le calcul.
Je ne suis pas une déesse des maths, mais le résultat équation m’a bluffée. Et vive la théorie!
Dans la pratique, l’auteur-entrepreneur doit diversifier ses sources de revenus.
Les bourses et subventions, il ne faut pas trop compter là-dessus.
Quand on devient entrepreneur de la plume
Les campagnes de financement, c’est bien, mais ce n’est qu’une partie de la solution. En plus de demander beaucoup de travail de la part de l’entrepreneur, ces campagnes ne procurent qu’un coup de pouce. Kickstarter porte très bien son nom.
Les bourses et subventions offertes aux écrivains sont toujours les bienvenues, mais il ne faut pas trop compter là-dessus. Personnellement, je vis directement et indirectement de ma plume…
- en donnant des ateliers dans les bibliothèques, écoles et festivals de BD;
- en développant mes propriétés intellectuelles et en créant des partenariats avec des artistes d’autres domaines, notamment en créant une figurine, des bijoux et des peluches à l’effigie des personnages de mes différentes séries;
- en faisant du dessin de commande;
- en participant à des conventions et festivals de BD où je peux directement rencontrer mes lecteurs et leur présenter mon travail;
- en mettant des livres en consignation en librairie;
- et finalement, en vendant mes livres par la poste.
Ce dernier élément m’amène à un sujet qui me tient à cœur: les frais postaux au Canada.
Le timbre en or OU quand la poste te vide les poches
En tant qu’auteure-entrepreneur, mon modèle d’affaires devrait davantage reposer sur les envois postaux. C’est même la base du socio-financement!
Or, des frais postaux exorbitants au Canada m’en empêchent. Rendez-vous compte: je consacre une année ou deux à la conception et à la réalisation d’un livre, je l’imprime à mes frais et lorsque je l’envoie à un lecteur en Europe, je touche 30 cacahouètes… et la poste en empoche 40. Et c’est le tarif le moins cher que j’ai pu trouver! Les lecteurs européens ou américains y pensent à deux fois avant de m’acheter un livre.
Je vis de ma plume, mais ça pourrait être mieux, car le revenu que les ventes par la poste génèrent n’est, comme qui dirait, «pas des masses». Et comme tous les écrivains québécois, je souffre du fait que notre littérature traverse peu nos frontières.
Il serait judicieux de permettre à la culture québécoise de sortir plus facilement de nos frontières, postalement parlant.
S’il existait un tarif postal privilégié pour les livres et pour la culture québécoise, comme on en trouve en France ou ailleurs, mon modèle d’affaires serait beaucoup plus intéressant pour les lecteurs d’ailleurs. Ce modèle d’affaires sans intermédiaires permettrait aux auteurs-entrepreneurs de mieux vivre de leur art en élargissant le bassin de population ayant accès à leur travail.
Pour promouvoir la littérature canadienne et québécoise imprimée sur du bon vieux papier, il serait judicieux de lui permettre de sortir plus facilement de nos frontières, postalement parlant.
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L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) célèbre en mars 2017 ses 40 ans d’existence! Cette organisation travaille depuis toutes ces années à la promotion et à la diffusion de la littérature québécoise, ici et partout à travers le monde. À l’occasion de cet anniversaire, URBANIA donne la parole à l’une de ses membres afin de démystifier la vie et le gagne-pain de nos auteurs.