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Vous souvenez-vous de ce ciel orangé en plein jour, l’été dernier? Ou, plus récemment, de la tornade de Brossard, de Jasper dévoré par les flammes, des pluies diluviennes qui ont submergé nos sous-sols?
Hier, on m’a demandé si je souffrais d’écoanxiété. Après un bref silence, j’ai répondu que non. Choix qui a semblé surprendre mon auditoire. Ce refus ne traduit pourtant ni un nihilisme désabusé, ni un scepticisme borné, mais plutôt une sorte d’engourdissement, peut-être même une fuite inconsciente. L’urgence climatique, dans toute son ampleur, semble parfois trop vaste pour m’atteindre en profondeur. Ce n’est pas tant une angoisse qui m’habite, mais une mélancolie diffuse face aux pertes qui s’accumulent.
Ce sentiment étrange de vertige se manifeste pourtant souvent ; que ce soit sous l’oppression des nuits d’été suffocantes, des 10 degrés en janvier ou quand des orages imprévisibles déchaînent leur violence, comme cette grêle qui s’est abattue sur le Mile End cette semaine.
Un instant de panique me traverse alors le corps, pour s’éteindre peu à peu dans une détresse sourde. Le bouleversement écologique en cours ne se contente pas de ravager notre environnement; il s’insinue aussi, en silence, dans les recoins de notre santé mentale.
Je ne suis pas un ermite retiré dans les montagnes, alors j’essaie de faire ma part : je recycle, je me déplace uniquement en vélo et j’évite les livraisons. Mais au-delà de ces gestes, que puis-je réellement faire de plus? M’enchaîner devant les bureaux de François Legault? L’entarter? Rien de tout cela ne semble capable de stopper l’inexorable flot de mauvaises nouvelles. Et cette impuissance, je ne suis sûrement pas le seul à la ressentir.
Malgré ma foi — sans doute un peu naïve — en la capacité d’adaptation presque instinctive de l’humanité, je ne peux m’empêcher de penser que notre époque sera celle qui aura cédé à l’inaction, tant sur le plan individuel que collectif, face à la crise climatique. N’ayez crainte, ce texte n’a ni l’intention de culpabiliser, ni de prêcher une quelconque morale, mais de poser une question : si je ne suis pas écoanxieux, suis-je en proie à la solastalgie?
Mais avant tout, que signifie ce terme peu connu?
La solastalgie désigne un malaise existentiel qui naît de la perte de notre environnement. Qu’il soit causé par l’urbanisation, les conflits ou les bouleversements climatiques, ce sentiment révèle l’interdépendance entre notre bien-être émotionnel et celui de notre milieu de vie.
J’ai discuté avec Katharina Niemeyer, professeure et directrice du Centre de recherche Cultures-Arts-Sociétés à l’Université du Québec à Montréal, qui travaille sur ce sujet avec sa collègue Magali Uhl depuis plusieurs années. « C’est une forme de tristesse, de détresse impuissante face à la transformation irréversible de nos lieux familiers. On peut réparer certaines choses, mais elles ne seront jamais plus les mêmes. »
La nostalgie d’un lieu-temps dont la métamorphose semble irrévocable.
Pour illustrer ce concept, Katharina Niemeyer explique : « Imagine un magnifique pommier que tu contemples chaque jour, et soudain, il disparaît. Ce vide, cette absence, c’est précisément ce que nous cherchons à définir. »
Forgé en 2003 par le philosophe de l’environnement Glenn Albrecht, ce concept partage des similitudes avec l’écoanxiété, mais la différence essentielle réside dans la temporalité de la détresse. L’écoanxiété est une inquiétude tournée vers l’avenir, face aux catastrophes environnementales à venir. La solastalgie, elle, s’enracine dans l’immédiateté de la perte et du bouleversement de notre environnement actuel.
Avez-vous connu ces hivers où l’on jouait au hockey chaque soir sur la patinoire du quartier? Ce temps-là semble avoir fondu si vite, remplacé par un scénario que l’on croyait encore lointain, mais qui s’impose aujourd’hui avec une brutalité inattendue.
La solastalgie traduit cet attachement brisé à un passé qui semble désormais infiniment plus lumineux qu’un avenir aux allures dystopiques. C’est ce sentiment de voir le paysage et le climat de notre enfance se transformer au point de devenir méconnaissables, laissant derrière eux une impression de dépossession.
« Le risque est de voir notre lien avec la nature s’effriter, comme on l’observe chez certaines communautés autochtones, dont les repères s’estompent à mesure que les constructions s’étendent. C’est comme devenir un exilé chez soi », ajoute la professeure.
Bien que le Québec semble, pour l’instant, moins durement touché que d’autres régions du globe, l’inquiétude n’en est pas moins palpable. Que ce soit face à l’effritement des quatre saisons ou à l’érosion des berges aux Îles-de-la-Madeleine, la menace du déclin écologique pèse sur notre avenir. On peut parier que la solastalgie, ce mal de l’âme causé par les bouleversements environnementaux, sera encore plus intense demain qu’aujourd’hui.
Moi qui suis né au 49e parallèle nord, il n’est pas exclu qu’un jour, en plein décembre, je souffle mes bougies vêtu de shorts. Reste à savoir combien il y en aura à ce moment-là sur le gâteau.